L’Académie française, vénérable institution fondée en 1635 par Richelieu, vient de rentrer dans le débat qui se joue autour de la réforme du collège. C’est par une déclaration adoptée à l’unanimité de ses membres dans sa séance du jeudi 11 juin 2015 que cet organe a pris position.
Le 25/06/2015 à 00:03 par Victor De Sepausy
Publié le :
25/06/2015 à 00:03
On pourra s’étonner du retard avec lequel intervient cette vive attaque des choix opérés par le ministère de l’Education nationale. Mais il fallait peut-être tout ce temps pour que les académiciens puissent pleinement s’imprégner du texte de cette réforme.
Il faut noter cependant que cette intervention a quelque chose d’historique puisque, comme le rapportait Le Figaro, « La Compagnie n'a pas contesté une réforme depuis quarante ans et la mise en place du collège unique », confirme Jean-Mathieu Pasqualini, directeur de cabinet du secrétaire perpétuel, Mme Hélène Carrère d'Encausse.
A titre personnel, certains académiciens avaient pu faire part de leur point de vue mais il n’y avait pas eu de texte commun. C’est désormais chose faite, avec une déclaration qui entend venir défendre la langue française et attaquée une réforme qui nivèle par le bas.
L’Académie française s’insurge contre l’interdisciplinarité qui risque de donner la part belle à l’actualité, et réduire d’autant l’enseignement des disciplines et l’acquisition des fondamentaux.
Mais l’enseignement des humanités et, à travers elles, de la langue française, est aussi en péril. Le coup porté au latin et au grec est vivement dénoncé mais aussi le peu de place laissé aux textes littéraires en sixième. Ce qui fait dire à la célèbre institution que la réforme du collège et des programmes n’est pas satisfaisante.
« 1. La réforme d’ensemble concerne à la fois la réforme des programmes d’enseignement de la fin du primaire et du collège, qui sont encore en consultation, et la réforme du collège qui a fait l’objet d’un décret et d’un arrêté sans que les programmes enseignés soient définis. Il y a là un défaut de structure qui interdit la compréhension et dissimule la logique même des réformes proposées.
2. L’Académie déplore que l’ensemble de la réforme repose sur deux principes implicites : l’affaiblissement des disciplines fondamentales et le bouleversement du calendrier d’acquisition « des connaissances et des compétences », c’est-à-dire leur remplacement au profit de thématiques interdisciplinaires.
Les projets posent en fait le principe d’un effacement des disciplines traditionnelles au profit de « thématiques interdisciplinaires », dont l’objet est le plus souvent ponctuel, dicté par l’actualité ou directement appelé par l’environnement immédiat des élèves.
La confrontation des disciplines, couramment pratiquée depuis des décennies, s’avère assurément féconde. Mais les « enseignements pratiques interdisciplinaires » (E.P.I.) ne se développeront nécessairement qu’au détriment des disciplines qu’ils prétendent fédérer, seules à même de transmettre les savoirs fondamentaux qui manquent à tant de collégiens.
Comment les élèves pourraient-ils construire par eux-mêmes un savoir à partir des approches « transversales et plurielles », caractéristiques de ce type d’enseignement, s’ils ne disposent pas de la formation élémentaire, reposant sur des bases solides dans les disciplines fondamentales, qui fait aujourd’hui défaut à un trop grand nombre d’entre eux au sortir de l’enseignement primaire ?
À trop privilégier la « transversalité », on risque de favoriser une dispersion des savoirs, une fragmentation des contenus préjudiciable aux élèves en difficulté, et de retarder la consolidation des acquis de base, qui ne peut être obtenue que par la transmission de savoirs objectifs et mesurables.
Pour les mêmes raisons, l’Académie s’inquiète du remplacement des programmes établis par année et par discipline par des « cycles » de trois ans mêlant toutes les matières et les associant autour de projets pratiques et de « thématiques transverses ». Le bouleversement complet du calendrier, pourtant nécessaire, d’apprentissage des connaissances au profit de « parcours » propres à chaque élève, dans le cadre d’« itinéraires pédagogiques » élaborés au sein de chaque établissement, ne permettra pas de lutter efficacement contre l’échec scolaire, ne favorisera pas « la réussite pour tous », que la réforme s’assigne pour objectif, et a toute chance de perpétuer voire de développer les inégalités.
3. L’Académie insiste sur sa vive préoccupation concernant la place faite à la langue française dans les projets de réforme en cours. Elle considère qu’aucun redressement de notre système éducatif ne pourra être opéré si l’accent n’est pas mis sur l’apprentissage du français, dont la maîtrise et la compréhension sont la condition d’accès aux autres disciplines. Les difficultés rencontrées par un trop grand nombre d’élèves dès l’entrée au collège proviennent des lacunes constatées dans l’acquisition du socle des connaissances dispensées dans l’enseignement primaire : elles tiennent en particulier à une maîtrise insuffisante de la lecture et de l’expression écrite et orale.
L’Académie française rappelle que le patrimoine littéraire constitue un élément essentiel de l’enseignement de la langue française et qu’il doit, à ce titre, donner lieu à un programme précis pour chacun des cycles scolaires. Elle regrette vivement la disparition quasi complète, dans le document – par ailleurs incompréhensible dans sa formulation – concernant la classe de 6e, de toute référence à des textes, des œuvres ou des courants littéraires, tandis que pour les autres classes du collège, seuls quelques genres sont mentionnés.
Réduire la place des humanités, matrice de notre civilisation, mettre le latin et le grec sur un pied d’égalité avec les langues régionales, dont l’enseignement relève d’une tout autre problématique et renvoie à d’autres finalités, est aussi un mauvais coup porté à la langue française. Apprendre le latin et le grec n’est pas consacrer à des langues « mortes » un temps qui serait mieux employé en étudiant une ou plusieurs langues « vivantes », c’est avant tout découvrir notre propre langue, dont la maîtrise ouvre l’accès à toutes les disciplines et à la culture en général.
L’Académie française, au terme de la réflexion qu’elle a menée sur les enjeux et les modalités de cette réforme, et après avoir examiné les dispositions contenues dans les textes adoptés par le Conseil supérieur des programmes, appelle d’abord à préserver les disciplines traditionnelles sans lesquelles les lacunes dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux, trop souvent constatées au sortir de l’école primaire, ne pourront être comblées au collège.
Elle appelle ensuite à rendre à la maîtrise de la langue française la première place, et à favoriser cet apprentissage par un véritable enseignement des langues anciennes aussi largement que possible.
L’Académie a la certitude que le redressement du système scolaire, si impatiemment attendu par la Nation tout entière, devra, d’une part, s’inscrire dans la continuité de notre culture, faite d’enrichissements successifs et respectueuse de ses origines, et d’autre part, résister à la tentation de la facilité, qui n’a jamais eu d’autre résultat que l’aggravation des inégalités. L’exigence constitue le principe fondateur de l’école de la République ; elle doit le rester ou le redevenir.
Pour toutes ces raisons, l’Académie française estime nécessaire de reconsidérer les principes et les dispositions des réformes proposées. »
De son côté, Pierre Léna, cofondateur de La main à la pâte et membre de l’Académie des sciences, a fait aussi part de ses craintes sur la concrétisation de la réforme du collège, dans un texte publié par les Cahiers pédagogiques. Mais, au contraire de l’Académie française, ce scientifique voit d’un bon œil l’interdisciplinarité pour les élèves en difficulté.
« Notre école n’atténue pas les inégalités de naissance ou de milieu social, elle les creuse surtout au collège, à grands frais pour la nation. La réforme propose deux remèdes, qui veulent réagir enfin à cet échec : plus d’autonomie pour les professeurs, moins de cloisons entre disciplines. De nouveaux programmes et horaires doivent les traduire en cadre de travail.
Le postulat sous-jacent est qu’en faisant du collège un lieu de vie collective et de découverte, moins structuré par le seul horizon du lycée général, les adolescents y épanouiront mieux la diversité de leurs talents et y trouveront matière à orientation positive. Le travail interdisciplinaire aidera ceux dont le contexte familial ne donne pas les codes culturels de la réussite scolaire, codes qui ne se résument pas pour eux à un accès au latin ou au grec. Rien ici d’incompatible avec la poursuite de l’excellence pour tous. »
Encore faut-il que les enseignants arrivent à s’approprier ces pratiques sans les vider de leur substance. En revanche, Pierre Léna reste plus dubitatif sur les projets de programmes.
« J’ai lu les programmes actuellement discutés. J’y trouve une étonnante inflation de langages codés, qui ressemblent à une incantation plus qu’à une stratégie. Je ne vois pas comment un conseil d’école ou de collège, un principal animant son équipe de professeurs, a fortiori des parents peu au courant de cette langue scolaire, vont comprendre ce flot de prescriptions et s’organiser. Quand le mot ‘compétence’ est employé cent fois en cinquante pages, quand le terme objet ‘technique’ l’est dix fois et le mot ‘science’ une seule, je me demande si on a bien le souci de l’enfant et de l’adolescent qui sera ‘orienté’ en fin de collège – cet élève qui est le motif même de la réforme.
Plutôt que de prescrire par décret des PIIODMEP (sic ! – imagine-t-on l’expliquer aux parents dans un quartier sensible ?), les programmes ne doivent-ils plutôt préciser comment ils créent l’occasion donnée à chaque forme d’intelligence de prendre confiance, de découvrir comment un métier à venir pourra se relier à un savoir appris ? Je conçois que les professeurs aient besoin de documents détaillés mais il est essentiel qu’à destination de la société et des parents, ce qui est attendu de nos enfants soit clair et bref, peut-être sous forme d’une courte narration, niveau par niveau. »
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Guillaume Armantier)
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