Malgré la bonne volonté du ministère de l’Education nationale, une nouvelle fois, les concours de recrutement d’enseignants de mathématiques n’ont pas réussi à faire le plein. Face à ce déficit chronique, une réaction s’impose car il s’agit tout de même d’une des matières fondamentales dans le secondaire. Les résultats de la dernière évaluation CEDRE en mathématiques démontrent par ailleurs que le niveau des élèves est en forte baisse (voir notre article).
Le 13/07/2015 à 10:55 par Victor De Sepausy
Publié le :
13/07/2015 à 10:55
Pour remédier à cette situation, il est plus que nécessaire d’arriver à recruter des enseignants d’un niveau satisfaisant mais aussi en nombre suffisant. Avec les centaines de postes perdus durant ces dernières années, il devient très difficile d’assurer les remplacements au cours de l’année scolaire et des classes passent parfois des mois sans professeur de mathématiques.
La Commission française pour l’enseignement des mathématiques (CFEM), qui avait déjà pu s’entretenir avec le ministère concernant ce problème de recrutement, vient de lancer un nouvel appel. Il faut dire que pour la session 2015 du CAPES externe de mathématiques on compte 1097 admis en liste principale (sans liste supplémentaire) pour 1440 postes soit 343 postes perdus, ce qui constitue un manque de 23,8%. Au concours externe du CAPES 2014 seulement 838 postes ont été couverts sur 1243 proposés.
La « Stratégie mathématiques » mise en place en décembre 2014 (voir notre article) ne semble pas arriver à remplir correctement ses objectifs.
Dans un communiqué, la CFEM analyse la situation actuelle mais se fait aussi porteuse de propositions pour arriver à inverser la tendance. Pour la CFEM, cette crise de recrutement vient de « la réforme ratée, dite "mastérisation", de Nicolas Sarkozy a profondément détérioré le système de formation des enseignants, et provoqué une chute du nombre de candidats aux concours de recrutement, à un moment où les besoins s'avéraient élevés.
Il a donc fallu en 2012 trouver un moyen d'attirer plus de candidats. Le gouvernement a choisi le système des Emplois d'Avenir Professeurs (EAP), malgré les défauts relevés par un certain nombre d'experts. Ce système, mal cadré, géré de façon très disparate suivant les académies, peu financé, non évalué pendant 2 ans, n'a pas permis de faire remonter les candidatures dans les disciplines déficitaires, pour deux raisons : il y avait dans ces disciplines peu de candidats satisfaisants les conditions nécessaires pour être EAP, et le travail exigé des EAP ne permettait pas aux quelques étudiants recrutés de réussir leurs études dans de bonnes conditions.
En décembre 2014, la CFEM s’est fortement impliquée dans la « Stratégie Mathématiques » du Ministère de l’Éducation nationale, qui avait pour objectif de développer l’enseignement des mathématiques sous toutes ses formes pour le rendre plus attractif. Cette mobilisation a permis, entre autres activités, l’organisation du Forum Mathématiques Vivantes, à Paris, Lyon et Marseille, sur le thème ‘Les mathématiques nous transportent’, les 21 et 22 mars dernier.
Dans les réunions de la commission de suivi de cette Stratégie Mathématiques - la dernière était le 16 juin dernier – nous avons régulièrement posé la question du recrutement des enseignants, en soutenant la perspective d’un pré-recrutement des enseignants en première année de licence, dispositif qui a fait ses preuves à d’autres moments de crise de recrutements. Cette perspective n’a jamais été retenue – à vrai dire jamais discutée.
Deux semaines après cette réunion de la commission de suivi, nous venons d'apprendre par divers rectorats, sans qu'aucune annonce officielle n'ait été faite, que le dispositif EAP, déjà fortement réduit l'an dernier dans une grande discrétion, était placé en voie d'extinction et qu’un nouveau dispositif était expérimenté désormais, sous la forme d’un master en alternance.
Nous tenons à réagir fortement devant cette situation.
1. Nous sommes choqués que l'on ne nous ait pas du tout parlé de ce changement important lors de la réunion de la commission de suivi. Les responsables étaient évidemment au courant, on ne fait pas un tel changement en une semaine. Comment envisager un travail commun dans ces conditions ?
Quel est le sens d’une commission de suivi de la stratégie mathématique? Nous demandons que le Ministère précise ses intentions à la fois sur la Stratégie Mathématiques et sur la place qu’il envisage pour les acteurs du domaine.
2. Nous avons appris, par d'autres sources, qu'il y a eu un rapport de l'IGAENR sur le dispositif EAP. Cela fait deux ans que nous demandons une telle étude, et nous avions par nous-mêmes réalisé une étude locale. Comment se fait-il que nous n’ayons pas été informés dans le cadre de la commission de suivi ? Nous souhaitons naturellement avoir accès à ce rapport (éventuellement à une version de travail), et connaître les conclusions que le cabinet en a tirées.
3. Les arguments pour le master en alternance ne tiennent pas ; on sait qu'au niveau du CAPES, ce dispositif ne permettra pas une formation correcte, et il intervient trop tard (M1) pour être formateur et attractif. Il pourra peut-être pallier le problème hautement spécifique du manque de PE en Guyane, mais pas les 400 postes qui manquent au CAPES de mathématiques. L'ensemble de la communauté est opposé aux masters en alternance, pour des raisons que nous avons exposées en détail lors de la dernière réunion de la commission de suivi. Proposer cette initiative comme seule réponse au problème de recrutement n’est pas raisonnable, et nous ne pourrons pas soutenir ce projet. Que dira le cabinet dans deux ans, quand il s'avérera que nous avions fait la bonne analyse sur les masters en alternance, comme nous l'avions fait sur les EAP et la mastérisation, sans qu'aucune conséquence n’en soit jamais tirée?
4. Le système général des bourses n'est pas une réponse au problème. Des bourses de 1000 euros par an, même si c'est louable dans le principe, ne suffisent pas ; rappelons qu'en Sciences, le taux de succès en licence tourne entre 10 et 20%, comme le montrent divers suivis de cohorte, et comme le savent tous ceux qui enseignent en licence de mathématiques. Il serait très intéressant de savoir ce qu'il en est pour les boursiers : une étude existe-t-elle ?
Il faut vraiment un dispositif spécifique pour le recrutement des enseignants, avec des moyens financiers proportionnés : pour recruter 30 000 étudiants par an en régime normal, formés à bac+5 (soit 150 000 étudiants en formation chaque année), un budget de 30 millions d'euros par an (chiffre du PLF 2013) ne correspond qu’à 200 euros par étudiant et par an : c'est totalement insuffisant.
De plus, divers documents (rapports du CNOUS, commission des finances du sénat...), montrent que l'effort financier de l'état dans ce domaine a baissé depuis 2012, et la suppression des EAP continue cette tendance. En matière de recrutement d’enseignants, les économies d’aujourd’hui préparent les désastres de demain. Ce qui se passe aujourd’hui confirme hélas ce que nous disions hier.
Une fois de plus nous plaidons pour un pré-recrutement des enseignants. Rappelons que nous avions déjà proposé il y a 3 ans que les pré-recrutés puissent cumuler leur bourse avec le salaire, et qu'on ne voit pas pourquoi le pré-recrutement ne pourrait pas être ciblé sur les zones et disciplines déficitaires : il suffit d'affecter les postes, ce que le Ministère sait faire. »
A titre de comparaison, l’Angleterre connaît des difficultés similaires pour recruter des enseignants de mathématiques. Mais, outre-Manche, comme l’avait noté en mars dernier le Café pédagogique, la solution trouvée est plutôt radicale. Pour recruter de bons profs, l’Etat met de l’argent sur la table. Si les futurs enseignants pouvaient déjà prétendre à une prime de 40 000 livres, les bons étudiants scientifiques qui se tourneront vers ce métier pourront avoir en plus 15 000 livres. Ce qui fait tout de même un total de 55 000 livres, soit 77 000 euros…
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Jimmie)
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