Des centaines de romans – uniquement des romans – prêts à envahir les tables des librairies, dans l’espoir de conquérir les lecteurs. La rentrée littéraire, cette grande manifestation de désespoir dans l’industrie du livre compte parmi les marronniers de la profession. Une chose qui revient, malgré soi, et dont on ne pourra pas faire l’économie. Pas vraiment, en fait... Mais rien n'empêche d'en avoir conscience.
Le 09/08/2016 à 15:04 par La rédaction
Publié le :
09/08/2016 à 15:04
Aurore D - bonnes feuilles de marronnier, CC BY SA 2.0
Par Stéphane Daumay
Ce terme journalistique, repris par la sphère du marketing, explique pourquoi les grandes surfaces mettent en place des promotions sur « l’univers du blanc » en janvier ou théâtralisent leurs surfaces de vente lors d’une foire aux vins à l’automne. Idem pour les hebdomadaires qui publient le palmarès des villes où il fait bon vivre avec une régularité digne d’un coucou suisse.
Tandis que les concessionnaires automobiles ouvrent leurs portes et celles de leurs berlines avant l’été. Enfin, l’immuable fête des mères est inscrite par le marbrier du marketing sur le calendrier des postes (et du commerce) chaque dernier dimanche de mai, à la grande satisfaction de tout le microcosme de la consommation. Vous l’aurez compris, un « marronnier » c’est une actualité commerciale ou éditoriale qui revient chaque année et à laquelle il est difficile d’ échapper.
Et plus précisément les romans. La rentrée littéraire incarne le marronnier de la chaîne du livre, même si pour l’ensemble des éditeurs le programme de septembre-octobre concentre le plus gros de leur activité annuelle. Un marronnier donc, aux multiples ramifications et aux boutures généreuses. Non seulement l’éditeur crée l’évènement mais le libraire l’accompagne avec l’ampleur qu’il souhaite lui accorder. Nous parlons ici de la face visible du marronnier littéraire. Les racines en sont multiples et pléthore de jardiniers s’attèle à la tâche bien en amont afin de fournir à l’arbre engrais, lumière et visibilité. Pour qu’au final la récolte augure des plus beaux fruits littéraires et apporte les meilleurs rendements commerciaux.
Pour cela, le rituel est parfaitement rodé : programme éditorial couché sur le papier en janvier au plus tard ; stratégie marketing étudiée au printemps ; budget promotionnel validé par les contrôleurs de gestion ; plan promo média finalisé par le service de presse ; tournées d’auteurs, salons littéraires et autres interviews quasi programmés. Rien (ou presque !) n’est improvisé et une vraie dynamique promotionnelle et prescriptive au bénéfice du programme éditorial est mise en place par les directions commerciales et les attaché(e)s de presse.
Car l’équilibre budgétaire d’une maison d’édition, à la ligne éditoriale principalement littéraire, est intrinsèquement dépendant des « mises en place » de la rentrée, liées elles-mêmes aux objectifs décidés par l’éditeur et corroborés ou ajustés par son diffuseur. A savoir combien d’ouvrages seront travaillés par les libraires ; quel nombre d’exemplaires trouveront leur place sur les tables des librairies indépendantes et les enseignes ainsi que sur d’autres points de vente grand public (GSS et GSA – grandes surfaces spécialisées et alimentaires) tout comme des lieux plus confidentiels (maisons de la presse, boutiques de musées, mémorial…).
Elle s’est mise en ordre de marche depuis des mois pour réussir cette rentrée (chez le libraire). Oui, le terme est fort approprié. L’éditeur, à travers l’auteur et son manuscrit, doit « rentrer » en librairie. Plutôt que de subir la rentrée littéraire et de décider seul parmi les 560 romans annoncés pour l’automne 2016, le libraire, ultime maillon de la chaîne du livre avant le lecteur, peut à dessein compter sur toute l’interprofession pour accompagner, influencer voire diriger et au final valider son choix. Avant l’été les réunions de la rentrée littéraire¹ servent de répétition générale. Toute la chaîne du livre est à l’occasion en pleine effervescence. Aussi complexe qu’indispensable, elle échappe dans sa structure à ceux qui fréquentent les librairies. Explications.
Du producteur au consommateur, la chaîne du froid doit impérativement être respectée (camion frigorifique, sac congélation, congélateur) pour qu’au final le sorbet soit dégusté par toute une tablée. Il en va de même pour un ouvrage. La chaîne du livre doit être suivie scrupuleusement (éditeur → diffuseur → distributeur → libraire) pour que le lecteur puisse choisir et acheter le bon livre, au bon moment, sur le bon point de vente, sur la bonne tablée et apprécier son achat. Loin d’être un joug qui rendrait ses auteurs, compositeurs et interprètes assujettis et esclaves les uns aux autres, la chaîne du livre est cependant intrinsèquement interdépendante pour la bonne diffusion et distribution du livre. Un peu de pédagogie à destination d’un public non initié.
Le diffuseur, que j’avais fut un temps défini avec malice comme la force obscure de la chaîne du livre, vient « diffuser » l’information auprès du libraire pour lui présenter un programme de nouveautés (office), d’opérations commerciales (florilège de poches, thématique culinaire, cahiers de vacances…), de sélections de fin d’année ou tout simplement faire un pointage des meilleures ventes comme du fond de catalogue (réassort).
A travers son délégué commercial qui vient régulièrement à la rencontre des libraires de son secteur, le diffuseur représente souvent plusieurs maisons d’éditions. Par exemple le représentant GEODIF (groupe Eyrolles) présente aux libraires le catalogue des Éditions Eyrolles (maison d’édition du groupe) ainsi que d’autres éditeurs tiers (prestataires de cette diffusion et n’appartenant pas au groupe Eyrolles) comme les Éditions Quae, les Éditions de Saxe ou encore les Presses Universitaires de Rennes. Seules quelques rares maisons ont leurs représentants « exclusifs » (École des Loisirs, Gallimard, Robert Laffont, Albin Michel…). Le diffuseur est garant des CGV (Conditions Générales de Vente) négociées avec le libraire ( % de remise sur PPHT – Prix Public Hors Taxe ; échéance de paiement ).
Le diffuseur, au cours d’un bilan annuel, doit faire appliquer des critères d’évaluation, tout autant quantitatifs (nombre d’exemplaires commandés sur l’année) que qualitatifs (vitrine dédiée à l’éditeur, inviter un auteur). Ces critères, dûment suivis, permettent au libraire de voir sa marge (% de remise) augmenter pour qu’il puisse dégager une (faible) mais viable rentabilité. Pour mieux comprendre les subtilités évoquées, le Syndicat de la Librairie Française a publié un dossier complet à propos des usages commerciaux.
pleclown CC BY SA 2.0
La diffusion resterait une coquille vide, tel un chef cuisinier sans son cellier, si elle ne faisait appel à un distributeur, qui sans surprise distribue les livres. A ce jour, une petite dizaine d’acteurs se répartissent le marché en France. Jouant un rôle essentiel et déterminant en tant que plateforme logistique, le distributeur entrepose les ouvrages (jusqu’à 80 millions de livres par exemple à la Sodis), les expédie sur les points de vente et gère les invendus en librairie, nommés « retours ».
C’est aussi lui qui facture aux libraires leurs approvisionnements. Surtout, le distributeur fait office de « ventre » des métiers du livre. C’est là où tout s’opère à l’ombre des entrepôts. Une vraie ruche animée en permanence par des opérateurs de saisies, des magasiniers, des caristes, des chargés de clientèle, de relation éditeurs, relation clients, des directions commerciales, suplly chain….
Ces infrastructures, pouvant s’étendre sur plusieurs hectares, se nichent dans des zones industrielles à la plastique singulière et se démarquent des bureaux haussmanniens de nos éditeurs parisiens : Lagny s/ Marne (77) pour Sodis ; Sermaises (45) pour Union-Distribution ; Malesherbes (45) pour Interforum ; Maurepas (78) pour Hachette. La gestion des flux est plus qu’un métier : ce sont de multiples talents mis au service de la face cachée du livre, autant ignorée du grand public qu’indispensable pour les acteurs du livre. Eux-mêmes en ignorant souvent la complexité et l’énergie déployée.
Véritable organisation industrielle, la supply chain (gestion de la chaîne logistique) des distributeurs permet de livrer tout point vente dans les meilleurs délais. Le fameux délai de livraison permet aux libraires de recevoir les colis dans les 48h ouvrés suite à la passation de commande. Lorsqu’il s’agit d’une commande client, la formule réactivité libraire + délai livraison restreint permet d’obtenir un résultat consolidé et pérenne entre le libraire et son client.
Un vrai service client de qualité rendu possible par toute la machinerie du livre qui se met en ordre de marche au quotidien dans des conditions optimales, avec une attention portée à la rentrée littéraire qui sera servie en librairie dès la deuxième quinzaine d’août.
Retrouver la chaîne du livre papier, en infographie.
Par La rédaction
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