Avec l’instauration de règles plus spécifiques concernant la vente d’abonnement pour les livres numériques, le marché a pu, durant l’année 2015, amplement évoluer. En France, les deux acteurs Youboox et Youscribe sont les premiers porteurs de cette offre – mais pas les acteurs uniques : izneo pour la bande dessinée et Abonnement Kindle figurent parmi les opérateurs. L’analyse du marché apporte ainsi de sérieuses pistes sur la manière dont ce secteur se développe.
Le 13/09/2016 à 09:33 par Nicolas Gary
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13/09/2016 à 09:33
Paolo Braiuca, CC BY 2.0
En terme de chiffre d’affaires, le secteur de l’abonnement représente 1,3 million € si l’on totalise les résultats de Youboox et Youscribe. Les comptes d’Amazon sont plus secrets que l’origine de la Joconde, et de son côté, izneo n’est pas spécifiquement dédié à cette offre. Prenant donc Youboox et Youscribe en référence, on peut d’ores et déjà constater une forte évolution du chiffre d’affaires entre 2014 et 2015 – passant de 532.000 € à 1,274 €, respectivement 452.900 pour Youboox et 794.400 pour Youscribe, sur l’exercice 2015.
La croissance est donc forte, à 139 %, mais en regard de ce que peut être le poids de l’édition – 4 milliards € – c’est encore une goutte d’eau dans l’océan. D’ailleurs, selon les données du Syndicat national de l’édition, le livre numérique représentait pour 2015 163,8 millions €, soit 6,5 % du CA global du livre.
izneo, qui cumule des casquettes de libraire, distributeur, abonnement pour le public comme pour les bibliothèques – avec une position assez dominante – réalise par ailleurs 1,156 million de CA. Une légère hausse de 3,39 % en regard de 2014, mais un résultat net qui se creuse, passant de 212.500 € de pertes à 644.400 €. En matière d'abonnement, difficile donc de parvenir à dégager une idée précise.
Seul indicateur auquel se reporter, les déclarations d’Hervé Gaymard, en mai dernier. Le député, membre du Conseil d’administration de la maison Dargaud, expliquait en effet qu’izneo avait apporté une forme de licence globale, dans le domaine de l’édition. « Il y a une offre légale, comme on dit, et attractive. Et d’après ce que l’on me dit, ce n’est pas un franc succès. Et il n’y a pas non plus un piratage énorme qui est pointé. »
Parvenir à chiffrer ce que peut représenter « pas un franc succès », est complexe. Entre 5 et 15 % du chiffre d’affaires ? Plus ? Sollicitée, la société nous explique être « en pleine refonte de ses parcours et offres clients et, de ce fait, nous ne souhaitons pas communiquer sur ces aspects tant que le lancement n’aura pas eu lieu ». Et de préciser : « La date de mise en production dépend encore d'un certain nombre de facteurs mais nous visons un lancement fin octobre/début novembre.»
Fnac a de son côté plusieurs réflexions sur le modèle, certainement avec Kobo, mais à cette heure, rien n’est encore défini. Une approche qui ressemblerait plus à celle de la téléphonie mobile, reposant sur un calque du forfait + smartphone, où le forfait serait remplacé par des ebooks et le téléphone par un lecteur ebook. Coralie Piton, directrice de la stratégie et du livre chez Fnac, assurait croire fermement au modèle de streaming, mais doutait du principe de l’offre à 10 € mensuels, peu ou prou.
Quant à Amazon, il n'a simplement pas été sollicité : le cybermarchand a tendance à arroser la presse de déclarations-chocs sans aucune donnée intéressante. La rédaction respecte ce choix, mais n'a pas jugé bon de perdre son temps.
Selon les données collectées par ActuaLitté, les éditeurs constateraient une majorité de revenus liés à l'abonnement par leur présence dans Youboox, par rapport à Youscribe – de l’ordre de 90/10 – avec des variables. Par ailleurs, très peu sont présents sur la plateforme Abonnement Kindle – là encore à quelques exceptions.
Obtenir une perspective globale du marché est d’autant plus difficile que, pour faire vivre son offre, Amazon recourt aux ouvrages d’auteurs autopubliés. Si en matière de vente à l’unité, Amazon représente entre 40 et 60 % des ventes, « on peut légitimement attendre qu’ils réalisent, en France, l'équivalent du chiffre d’affaires que représentent Youscribe et Youboox », observe un éditeur numérique. Autrement dit, le marché global de l'abonnement représenterait autour de 2,5 millions € – chiffre à prendre avec des pincettes toutefois.
En France, trois marchés très distincts se confrontent, chacun porté par un acteur :
• Youscribe, repose sur une base de documents uploadés et librement (ou non) consultables, associée à une librairie (vente unitaire) ainsi qu’une offre d’abonnement – 8,99 €.
• Youboox, propose deux modèles, le freemium, où la lecture de livres est gratuite, avec l’affichage de publicités et l’abonnement – 7,99 €
• Abonnement Kindle, au catalogue notoirement constitué d’une offre de livres autopubliés, uniquement sur abonnement – 9,99 €.
Toutefois, il est indissociable, pour Amazon, de considérer qu’Abonnement Kindle est avant tout un produit d’appel, qui s’intègre dans un écosystème plus global – avec la vente unitaire d’ebooks, autant que de livres papier, ainsi que l’offre Kindle Owners' Lending Library, proposée gratuitement aux abonnés Premium.
Si les offres commerciales pour le grand public sont financièrement attractives, les éditeurs sont, dans leur ensemble, incapables d’avoir une vision globale de ce que ces marchés représentent. « On parle souvent du streaming, ou de l’abonnement, confondant les deux approches sans vergogne », nous explique un diffuseur. « Même si l’on ignore ce que représentent les abonnés de Abonnement Kindle, on sait qu’une fois encore, Amazon est un acteur non négligeable. »
Cependant, pour ce professionnel, il importe avant tout de distinguer les approches de chacun. « Youboox, Youscribe et AK ne se battent pas avec le même modèle. Et moins encore avec les mêmes moyens. »
Pour saisir précisément ce que représente le marché du streaming – comprendre la lecture avec publicité – et l’abonnement – sur inscription et paiement mensuel – il serait intéressant de comparer le modèle de la musique ou encore de la Vidéo à la Demande. « Dans un cas, on a Deezer et Spotify, qui ont une offre gratuite conditionnée par la publicité. Et en face, on retrouve Apple, qui pour la musique, a choisi l’offre payante. D’ailleurs, il est intéressant de constater que ni Google ni Apple ne se sont positionnés encore sur l’abonnement », observe-t-il.
Concrètement, pour les éditeurs, les revenus liés aux offres de chacun des trois acteurs peuvent aller du simple au triple, nous assure un distributeur numérique. « L’idée de ne proposer qu’une offre d’abonnement est la plus efficiente : il suffit d’observer le développement de Netflix pour comprendre. Pas de streaming ou de freemium : on n’accède pas à Netflix si l’on n’a pas rentré les codes de sa carte bleue... »
Amazon a décidé de chasser sur le territoire qu’a réservé Netflix, et d’ailleurs, le cybermarchand a investi dans la production de séries exclusives. « Et c’est avec un modèle d’abonnement payant qu’Amazon s’est lancé. Comprend qui veut » souligne un éditeur numérique. Une offre frontale, puisqu’Amazon et Netflix proposent pour 9,99 $ leurs catalogues de films et séries.
« S’abonner à Netflix est une chose, mais peu de personnes lisent suffisamment pour amortir un abonnement. D’autant que l’on ne cesse de constater que le temps consacré à lire des œuvres littéraires s’amenuise », soupire toutefois une éditrice.
« Le problème de l’abonnement en France – mais nous manquons de données sur le développement de Scribd ou 24 Symbols [opérateurs respectivement américain et espagnol, NdR] – c’est que si l’on pose la question de savoir où l’on en est, la réponse est : nulle part », reprend notre interlocuteur distributeur.
Le fait est que pour les opérateurs, abonnement ou streaming n’ont rien d’un El-Dorado, pas plus que pour les éditeurs. « Il existe une règle, immuable : si les ventes à l’acte sont mauvaises, l’offre d’abonnement ne marchera pas mieux. L’intérêt des lecteurs dans les deux cas est primordial. » Et comme Amazon a intégré son offre d’abonnement dans un ensemble plus vaste, c’est une fois de plus cet acteur que l’on s’attend à retrouver en leader.
« Avec une base de données de quelques millions de clients, il suffit d’un pourcentage, même maigre, d’inscrit, pour rendre son outil performant. Un infime pourcentage d’abonnés, et Abonnement Kindle serait rentable, en réalité. » Sauf que les hackings ont déjà commencé et certains exploitent les failles de ce système.
Pour le mesurer au mieux, les spéculations vont bon train. L’approche la plus significative serait de considérer le nombre d’abonnés qui sont inscrits à l’offre newsletter éclair. « C’est la même typologie de public : celle qui accepte de réaliser des achats compulsifs en promotion. Probablement quelques dizaines de milliers d’inscrits. Donc certainement quelque chose s’approchant pour Abonnement Kindle, en ajoutant les inscrits Premium, et ceux qui sont déjà clients Kindle en version classique... »
Tout le problème vient de ce que, rapidement, Amazon a su offrir aux éditeurs le modèle économique le plus convaincant. « On lit X % d’un livre, et Amazon reverse X % du prix public hors taxe, c’est ce que les autres opérateurs ont choisi de mettre en place – et c’est logique en regard de leurs moyens. Mais Amazon, dès que 20 % du livre sont lus, déclenche une vente à part entière. Le lecteur qui s’arrête à 22 % aura tout de même payé son livre numérique – et s’il ne le finit pas, ce n’est alors ni le problème de l’éditeur ni celui de l’auteur, et moins encore de l’opérateur. »
Dans ce contexte, présenter une offre française impliquerait de pouvoir bénéficier du soutien des pouvoirs publics. « Problème : quand le sujet est évoqué, on oppose les interdictions de Bruxelles au soutien des entreprises. Personne n’a jamais pris le temps de fournir plus d’explications. » Difficile à encaisser quand on sait que la France a pu dérouler des ponts d’or à Amazon, pour l’ouverture d’entrepôts de stockage. Mais les pouvoirs publics ont probablement déjà choisi la formule d’abonnement qu’ils souhaitent...
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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