Faire se rencontrer un lecteur et son libraire
Aurore, Samuel et Anthony sont des jeunes gens pleins d'idées : deux d'entre eux, rejoints par le troisième en cours de route, se sont lancés au début de l'année 2015 dans l'aventure de la Kube, une box proposant un livre « choisi pour vous » par un libraire.
La Kube
En 2015, les sociétés proposant ce type de produits ont fleuri : des box à livres, il y en avait alors plus que d'ouvrages au moment de la rentrée littéraire... « Effectivement, il y en avait quelques-unes qui existaient quand nous nous sommes lancés, mais cela ne nous a pas fait grand-chose », explique Samuel, encore sur les bancs de l'ESSEC, école de commerce. « Notre différence fondamentale, nous l'avons travaillé avec les libraires », souligne-t-il.
Entre février et juin 2015, Samuel et Aurore ont mené les premiers tests pour leur Kube, une box qui renferme quelques trésors, parmi lesquels un livre choisi par un libraire selon les informations que le client-lecteur aura fournies à la société. Avec une centaine de testeurs et 3 libraires partenaires, Samuel et Aurore mettent leur idée à l'épreuve, et observent avec incrédulité les 30.000 réponses qu'ils reçoivent à une lettre d'information envoyée en juin 2015 sur le lancement prochain de la Kube.
« Au départ, notre cœur de cible, ce sont les grands lecteurs éloignés de la librairie » explique Anthony, « et aujourd'hui encore, 80 % de nos clients vivent dans des villes de moins de 20.000 habitants », complète Samuel. Si les profils se sont diversifiés, les grands lecteurs sont aussi en première ligne pour être intéressés par la Kube : « Certains de nos clients lisent jusqu'à 200 livres par an, mais de toute façon, 17 millions de personnes lisent plus de 10 livres par an, en France. Ce discours sur les gens qui ne lisent plus me rend fou. »
L'envie de se lancer dans cette aventure, elle est venue à Samuel en lisant un livre, À l'Est d'Eden de Steinbeck : frustré de ne pas retrouver d'épiphanie de lecteur similaire, il a pensé qu'un service de recommandations pourrait séduire de nombreux lecteurs. « Pour les gens autour de moi, et pour moi aussi d'ailleurs, le fait d'aller en librairie n'était pas un réflexe. C'est fou que ce lien soit aussi distendu. »
Les trois compères se sont donc concentrés sur le renforcement de ce lien entre les libraires et les « Kubers », leurs clients : Anthony est chargé de nouer les partenariats avec les libraires qui deviendront les auteurs des recommandations faites aux acheteurs des Kube. Ce matin, il a fait entrer la 31e librairie — de Toulouse — dans l'équipe.
La logistique est aujourd'hui rodée, mais l'équipe a beaucoup appris : les livres étaient autrefois achetés directement aux libraires, la préparation et l'expédition de la Kube étaient laissées à leur soin, ce qui générait pas mal de travail supplémentaire pour des professionnels déjà débordés. « Aujourd'hui, ils sont contents : nous disposons d'un outil en ligne qui leur permet d'entrer directement leurs recommandations », explique Anthony. Bien entendu, les libraires sont rémunérés sur ces recommandations, mais trouvent aussi leur compte avec les retours faits par les lecteurs sur les livres qu'ils leur ont choisis.
Les livres sont désormais achetés auprès des distributeurs, avec une remise de 30 à 40 %, tandis que le packaging est assuré par la société. Pour l'expédition, à la fois en France et à l'international (16 % des clients ne vivent pas en France), la Kube est acheminée par IMX, spécialisé dans l'envoi de magazines et de quotidiens.
Pour Samuel, Aurore et Anthony, la force de la Kube (prononcez Ki-you-be, d'ailleurs) réside avant tout dans le lien créé entre le lecteur, le libraire et le service, « ce qu'on appelle le “care” dans le jargon marketing », s'amuse Samuel. Le “care”, c'est ce qu'Amazon a beaucoup travaillé, et ce que certains libraires ont pu négliger : l'attention portée aux clients, tout simplement. Pour un service par correspondance, le “care”, c'est par exemple le fait de renvoyer gratuitement une nouvelle box en cas de livre envoyé déjà lu : « Le taux d'insatisfaction très faible nous permet de le faire assez facilement. »
Le client, c'est d'ailleurs par lui que commence le service : toute commande de Kube suppose avant tout une description de son profil de lecteur : il faudra décrire ce que l'on aime lire, ce que l'on a déjà lu (possibilité d'importer les bibliothèques Goodreads, Babelio, Livraddict), ce que l'on a aimé et, bien sûr, le genre voulu pour le livre qui sera expédié par le libraire. Il est possible de commander une Kube ponctuelle, ou de s'abonner sans engagement : dans ce dernier cas, le lecteur aura l'option de changer chaque mois de genre voulu, « et nous les incitons d'ailleurs à aller vers des genres qu'ils connaissent mal », souligne Samuel.
Samuel et Anthony, confort à l'incubateur The Family (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Une fois le profil du lecteur dressé, il est envoyé au libraire, généraliste ou spécialisé, qui sera le plus à même de fournir une recommandation pertinente. « Nous faisons bien comprendre aux libraires qu'il faut s'adapter au lecteur, et pas l'inverse : il faut profiter des informations fournies, pour proposer le livre que la personne demande sans le savoir. » Un exercice qui plaît aux professionnels, leur permettant de renouer avec le cœur de leur métier, la recommandation. L'interface client du site de la Kube permet même de choisir son libraire, pour ceux qui ont vraiment un lien fort avec l'un d'entre eux. Pour ceux qui ont un peu peur de partir à l'aveugle, la Kube propose de valider le choix du libraire avant réception du livre. Mais c'est un peu tricher...
Avec un tarif à 15 €, les choix du libraire sont aussi encadrés par le format, « poche, semi-poche, parfois grand format lorsqu’il ne coûte pas très cher », explique Anthony. Évidemment, d'autres Kube pourrait apparaître, pour la jeunesse, les bandes dessinées, les grands formats et autres, mais l'équipe souhaite d'abord s'assurer une certaine expertise dans la recommandation et l'envoi, avant d'étendre son champ d'activité.
Si la recommandation d'un livre est au centre de l'offre de La Kube, elle n'en est pas l'unique volet : chaque box contient d'autres contenus, comme un carnet, le crayon Kube, une carte postale dessinée par Aurore elle-même, un thé littéraire créé spécialement pour La Kube, l'extrait exclusif d'un livre proposé par un éditeur partenaire (Toussaint Louverture en août par exemple, avec un extrait de Watership Down) et un petit feuillet, la « Préface », qui comprend notamment un édito et des contenus rédigés en partenariat avec Page, le magazine des libraires indépendants.
Une éditorialisation qui fait partie du “care”, mais qui permet aussi de renforcer les liens avec les libraires et les maisons d'édition. Côté partenariat, La Kube limite cependant les frais : « Les libraires sont indépendants et doivent le rester, cela n'aurait aucun sens de proposer le même livre à 100 clients », souligne Anthony. De la même manière, si La Kube a offert à ses destinataires un agenda PaperBlank en septembre, à l'occasion de la rentrée, pas question d'inclure tout et n'importe quoi selon le bon vouloir de marques ayant pignon sur rue. « On ne veut pas faire de la box une vitrine commerciale, ce serait prendre les lecteurs pour des imbéciles », expliquent les créateurs.
L'étape de la levée de fonds, indispensable pour la majorité des start-ups, s'imposera prochainement, mais « nous voulons auparavant valider un certain nombre d'objectifs, notamment sur la satisfaction et le volume des clients », précise Samuel. Hébergée au sein de l'incubateur The Family, le start-up est assez proche des investisseurs, et la levée de fonds ne devrait pas poser de difficultés... Pour le volume de clients, La Kube sera mise en avant en novembre prochain avec une opération pour améliorer sa visibilité conçue avec l'aide de Stanislas Rigot de la librairie Lamartine, qui impliquera les libraires de son réseau et une douzaine d'éditeurs partenaires.
Pour le moment, 8000 Kube ont été envoyées depuis septembre 2015, avec une interruption de quelques mois début 2016 le temps de revoir la logistique de l'ensemble. 1000 Kube sont expédiées chaque mois, dont 70 % d'abonnés et le reste d'achats ponctuels, notamment pour des cadeaux, dont l'offre va évoluer dans les prochaines semaines.
La Kube est pour l'instant le principal atout de la société, mais l'équipe ne compte pas s'arrêter là : « On considère la box comme un produit d'entrée, avec mille autres choses possibles à faire autour, basées sur la recommandation », assure Samuel. Pleins d'idées, on vous dit.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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