ENTRETIEN — Le Centre national du livre va célébrer ses 70 ans ce 11 octobre. Depuis la Caisse nationale des lettres montée en 1946, aux investissements pour la numérisation contemporaine, le CNL a évolué. Vincent Monadé, président de l’établissement, établit un large bilan de l’activité, sa situation et ses implications dans le monde du livre.
Le 10/10/2016 à 09:51 par Antoine Oury
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10/10/2016 à 09:51
Vincent Monadé - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Vincent Monadé : La taxe sur le chiffre d’affaires des éditeurs est perçue normalement cette année, calculée à partir d’un cumul des chiffres d’affaires papier et numérique des maisons. Le ministère de la Culture nous a dit qu’il rappellerait aux éditeurs publics que cette taxe existe pour être sûr que tous les éditeurs concernés s’en acquittent, elle ne présente pas d’inquiétudes particulières.
En fait, il n’y a pas eu de dysfonctionnement, mais un effet retard des difficultés de l’édition pendant la période 2012-2013, qui pour nous s’est traduit dans les faits en 2014 : quand l’édition va moins bien, les chiffres d’affaires vont moins bien et donc la taxe va moins bien. Cette taxe d’ailleurs pèse bien moins dans le budget de l’établissement que celle sur la reprographie, il faut le rappeler.
Vincent Monadé : Il y a eu une baisse en 2014.Depuis nous sommes stabilisés autour de 30 millions € pour l’ensemble des taxes, sur le chiffre d’affaires et sur la reprographie, mais je rappelle que si la taxesur la reprographieavait conservé son rendement maximum, nous serions à 35 millions. Ce manque est lié au marché de la reprographie, mais ce sont des données industrielles que je n’ai pas en ma possession. Je suppose que la vente de photocopieurs est un marché en baisse au profit de la location de copies c’est-à-dire d’un contrat de service.
De fait, la taxe sur la reprographie continue à ne pas rentrer de façon aussi satisfaisante que par le passé, ce qui pose une question, à terme plus ou moins long, de financement du CNL.
Vincent Monadé : Il y avait eu un projet, qui outrepassait largement le CNL, celui contenu dans le rapport Lescure. Le CNL n’étaitpas partie prenante aux discussions, mais Pierre Lescure n’avait pas oublié le livre. Ce type de taxe, un prélèvement pour la création culturelle dans son ensemble, me paraît justifié : d’après la SCAM, 1/4 des revenus des géants du Net provient directement des contenus culturels, donc l’idée que les producteurs de contenus culturels récupèrent une partie de l’argent des géants du Net ne me semblerait pas scandaleuse.
Vincent Monadé : Tout à fait, mais j’attends d’avoir la traduction de la directiveen français, pour pouvoir juger précisément, car nous n’avons pour l’instant que la version en anglais. Et, en matière de droit, mon anglais de Français ne me suffit pas !
Vincent Monadé : Sur les librairies, on constate une baisse, mais il faut considérer que l’année précédente était celle des reprises Chapitre, qui ont fait exploser les compteurs. Si l’on sort le dossier Chapitre, on constate plutôt une progression,avec une hausse de 25 % des subventions économiques, par exemple. MaisL’impact de Chapitre a été énorme, avec un secours apporté à une vingtaine de librairies reprises.Heureusement que ce type de situation ne se présente pas tous les ans!
En 2015, les aides se sont réparties harmonieusement entre reprises, créations et transmissions, avec pas mal de créations, voire des agrandissements et rénovations.
Pour les bibliothèques, une réforme importante a été portée, et elle met du temps à s’implanter chez les utilisateurs. Auparavant, nous apportions un soutien à l’acquisition de collections, quand nous soutenons aujourd’hui les actions en faveur des publics empêchés, c’est-à-dire les personnes en situation de handicap, en prison, à l’hôpital ou en maison de retraite, ainsi que les publics éloignés du livre, dans les communes de moins de 3000 habitants. Nous avons redirigé notre action, car il y avait un manque pour l’action culturelle dans les prisons ou dans les hôpitaux. Notre aide est très appréciée, elle permet à des gens de déployer de vraies politiques culturelles à destination de ces publics-là.
Suite à cette réforme, nous avons continué à recevoir des dossiers constitués selon l’ancien système, qui n’étaient plus éligibles. Mais je suis confiant : nous allons monter en charge à mesure que le nouveau dispositif sera connu des bibliothèques.
Sur les auteurs, nous avons un recul des aides, mais qui correspond à la baisse des demandes : nous avions 700 demandes de bourse en 2014, nous en avons eu 576 en 2015. Nous allons travailler avec la SGDL, le CPE et le SNAC à refaire une communication sur les bourses d’auteurs — de 3500 à 28.000 € —, car je pense que de nouveaux auteurs ne connaissent pas les dispositifs d’aide.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Vincent Monadé : C’est faux, nosdossiersne sontpas complexes. Il suffit d’avoir rempli un jour un dossier européen pour s’apercevoir que les nôtres ne sont pas si compliqués à constituer! En revanche, nous engageons un chantier l’année prochaine pour simplifier un certain nombre de documents et de demandes pour que nos dossiers soient encore plus accessibles à tout le monde.
Et les équipes du CNL sont toujours à la disposition des auteurs, c’est leur travail et leur rôle, pour les accompagner dans le dépôt de leur dossier. La seule condition expresse, c’est la date de dépôt.
Vincent Monadé : Il ne s’agissait pas d’une aide aux auteurs, mais d’une aide à l’accueil des auteurs du pays invitéd’honneur : ainsi, le CNL rémunère toujours les auteurs qui interviennent sur sa scène, par exemple. En revanche, nous avons pris la décision de ne plus financer la venue des auteurs étrangers du pays invité comme nous le faisions auparavant. En accord et en bonne intelligence avec le SNE, nous avons pris la décision de réorienter cet argent vers la venue du jeune public au Salon.
Nous allons ainsi être en capacité, sur le même budget, de faire venir plus de jeunes au Salon : nous allons augmenter notre opération Chèques Lire, qui concernera essentiellement des jeunes franciliens.
Vincent Monadé : Non, dès lors que nous n’intervenons plus sur le déplacement des auteurs et leur hébergement, nous n’avons plus aucune légitimité à intervenir sur qui est invité, ce n’est pas notre rôle.
Vincent Monadé : Nous avons commencé la perception de la taxe sur la partie numérique, sans pouvoir donner de chiffre, car il est trop tôt, c’est sa première année. L’introduction de cette taxe a été bien reçue, et elle constitue même un argument qui plaide en faveur de ce que disent les éditeurs à l’Union européenne : dès lors qu’un livre est un livre, qu’il soit numérique ou papier, la taxe sur le numérique renforce l’argument qu’un livre numérique n’est pas un service, mais un livre.
Vincent Monadé : Il y a deux choses à ne pas mélanger : avec la BnF, nous faisons de la numérisation à l’avance du patrimoine. Nous n’entrons pas du tout dans la partie commerciale de l’opération : nous faisons un flashage qui est stocké à la BnF et qui peut être utilisé par celle-ci dans sa conservation patrimoniale.
En revanche, il y a ensuite une société privée, FeniXX—ou les éditeurs eux-mêmes s’ils ont gardé les droits — qui fait une OCRisation des fichiers, autrement dit qui rend les fichiers flashés commercialement exploitables. Nous n’intervenons pas autrement que par les aides habituelles aux sociétés qui veulent numériser leur catalogue sous droit. Notre rôle est donc vraiment patrimonial, avec une aide à la BnF pour avoir ce patrimoine dans ses collections.
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Vincent Monadé : En terme de coûts, l’OCRisation est plus simple que la numérisation elle-même, mais c’est le mécanisme de financement qui a été retenu par le ministère de la Culture et de la Communication à l’époque, et nous respectonsnaturellement les engagements prisprécédemment, c’est la continuité de la République. Ainsi, le CNL continuera à accompagner la numérisation des fonds par la BnF.
Vincent Monadé : C’est une question qu’il faut poser à Laurence Engel, je n’ai pas, pour ma part, à m’exprimer sur la vocation de la BnF. La BnF a une filiale, BnF-Partenariats pour les fonds patrimoniaux, pour en vendre les versions papier en partenariat avec Hachette et son partenaire américain.
Cette collaboration commence à rapporter un peu d’argent, mais c’est très loin de pouvoir compenser ce que nous consacrons à la numérisation du patrimoine, qui est de l’ordre de 5 millions € par an. Il n’y a pas de rentabilité économique autre qu’à long terme, une fois les investissements réalisés et les collections patrimoniales numérisées. Là encore, il s’agit d’un choix politique ancien qu’il nous faut assumer.
Vincent Monadé : Tant qu’il n’y a pas de jugement de la CJUE, on ne peut pas savoir. Il semblerait que la Commission approuve et valide ce mécanisme de gestion des œuvres indisponibles entre les éditeurs et les ayants droit, donc il serait logique que la Cour de Justice regarde ce qu’il va advenir à travers la directive Droit d’auteur avant de sanctionner un mécanisme qui fonctionne, alors même que le dispositif législatif qui pourrait le sanctionner est amené à changer pour aller dans le sens de la validation du mécanisme.
[NdR : une communication du SNE semble toutefois indiquer le contraire]
Vincent Monadé : En 2016, le CNL a soutenu 86 manifestations pour 1,94 million €. 33 de ses manifestations ont reçu un soutien complémentaire pour accompagner le surcoût lié à la rémunération des auteurs, soit 38 % des manifestations. Des structures rémunéraient déjà les auteurs, comme les festivals membres du réseau Relief et les festivals jeunesse.
Depuis le 1er janvier 2016, le CNL n’aide plus les festivals qui ne rémunèrent pas les auteurs. Beaucoup ne le font pas, mais, dès lors qu’ils ne demandent pas d’aide du CNL, je n’ai pas à m’immiscer dans leurs décisions.
Au-delà de ces chiffres, nous avons transformé, en deux ans, la façon d'accueillir un auteur dans les festivals littéraires. Ce qui était vu comme impossible à faire et à mettre en oeuvre, à force de pédagogie et de crédits nouveaux, nous avons réussi à le faire.
Vincent Monadé : Nous avons moins de demandes d’aides de la part des femmes, ce qui rejoint à peu près les chiffres de la SGDL pour leurs adhérents, 53 % hommes et 47 % femmes. De fait, sur les aides pour des années sabbatiques demandées en 2015, 9 demandes ont été faites par des hommes et 2 par des femmes. 5 ont été accordées, 4 à des hommes et une à une femme, la proportion est donc la même.
En revanche, le taux de satisfaction atteint 54 % pour les hommes, 42 % pour les femmes. 316 hommes ont fait des demandes et 263 femmes, nous avons soutenu, 172 hommes et 110 femmes : ce n’est pas satisfaisant.
Objectivement, on ne peut pas se contenter de dire que c’est une question de demandes, il est de notre devoir, dès 2017, de rééquilibrerle rapport entre le nombre de demandes et le nombre d’attributions.
Il est normal qu’il y ait moins de femmes qui obtiennent des bourses si elles font moins de demandes — il faut bien sûr alors que nous faisions en sorte qu’elles sachent que les dispositifs existent — ; il est anormal qu’elles soient proportionnellement moins nombreuses que les hommes à obtenir satisfaction. Il est essentiel que cet écart soit réduit.
Pour le reste, nos commissions sont strictement paritaires, on ne peut pas les soupçonner de machisme ou de phallocratie : elles sont dirigées par 9 présidentes et 9 présidents, et comptent 119 femmes et 115 hommes, soit la stricte parité.
Il faut effectuer un travail auprès des auteures elles-mêmes pour qu’elles demandent plus, déjà, et au bon endroit : quand on peut prétendre à une Bourse de découverte, on ne demande pas une demi-année sabbatique. A contrario, quand on peut obtenir une année sabbatique, il ne faut pas s’interdire, quand on a une œuvre de 7 ou 8 livres derrière soi, de la demander. Il ne faut pas se dévaloriser au moment de la demande, et la tendance semble être que les femmes ne demandent pas toujours ce qu’elles pourraient obtenir.
Pour compenser cela, nous avons fait sauter le verrou qui faisait qu’une demande d’aide de 14.000 € ne permettait pas d’obtenir une aide de 28.000 € si la commission l’estimait juste.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Vincent Monadé : Beaucoup d’éditeurs continuent à imprimer en France, et ont souvent plusieurs pratiques : contrairement à ce que l’on pense, il y a de moins en moins d’impressions en Chine, au vu des résultats produits. Il y a pas mal d’impressions en République tchèque où il y a une véritable culture de l’imprimerie. Chez le même éditeur, certains livres peuvent être imprimés en France pour une qualité optimale, quand d’autres, avec des potentiels de rotation plus rapides, sont imprimés hors de France.
Certes, la situation de l’imprimerie française est critique, mais ce n’est pas à mon niveau que cela se joue, ce sont des choix industriels à faire, et les éditeurs les font en fonction de leurs contraintes économiques. Ce n’est pas au CNL de leur dicter des choix industriels, nous ne demandons pas où sont imprimés les livres et nous ne le demanderons pas. Le rôle du CNL est d’accompagner les politiques de création, pas la politique industrielle des éditeurs.
Vincent Monadé : J’ai vu Monsieur Jacques Renard, missionné par la ministre de la Culture en tant que médiateur pour la refonte du festival, il élabore ses propositions et le CNL est à sa place, en tant que financeur important du festival d’Angoulême, mais il n’est ni sa tutelle ni son donneur d’ordre.
S’il s’avérait qu’un jour le festival d’Angoulême ne remplisse plus, aux yeux de la Commission Vie littéraire de l’établissement, le rôle majeur dans la bande dessinée qui est le sien, alors la Commission serait conduite à proposer de baisser les financements. Ce serait une décision par rapport à la qualité du festival, et non par rapport à une place qui n’est pas la nôtre, mais celles des tutelles qui siègent au sein de l’association qui organise le festival, ce qui n’est pas notre cas.
Il faut le dire, l’édition 2017 sera très importante dans l’histoire du festival. Il y a eu beaucoup de travail de la part des éditeurs pour faire passer des messages, s’expliquer, il y a beaucoup de discussions entre le groupe BD du Syndicat National de l’édition et le Syndicat des éditeurs alternatifs de BD, le SEA, pour présenter des propositions communes, il y a eu un vrai travail de la part des auteurs, notamment les États généraux de la BD, pour proposer des choses, c’est au festival maintenant d’entendre et de faire des propositions qui vont dans le bon sens. Je ne doute pas que ce sera le cas.
Vincent Monadé : Le CNL n’est plus du tout financé par le ministère de la Culture. L’enjeu de l’établissement, ce sont donc ses taxes affectées, et comment le Centre retrouve un niveau de financement satisfaisant.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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