Parce qu'elle permet de rencontrer les collègues de l'international et d'entamer ou de conclure des discussions en vue d'une cession de droit, la Foire du Livre de Francfort est un passage obligé pour nombre d'éditeurs français. C'est encore plus vrai pour la jeunesse, qui bénéficie qui plus est d'un très fort potentiel d'exportation, notamment auprès des marchés asiatiques et chinois en particulier.
Le 25/10/2016 à 11:12 par Antoine Oury
Publié le :
25/10/2016 à 11:12
À Francfort, dans le hall qui abrite les éditeurs français (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Sur 5 jours, la ville de Francfort, en Allemagne, accueille le plus important salon professionnel du secteur du livre : pour les éditeurs, cela signifie 4 jours (les deux derniers reçoivent le grand public, augmentant ainsi le nombre de visiteurs au m2) de rendez-vous et de rencontres, avec comme objectif final des cessions de droits pour la traduction de leurs ouvrages à l'étranger.
D'après les données 2014 fournies par le Syndicat national de l'édition, les cessions de droit représentent 135 millions € dans le chiffre d'affaires de l'édition française, estimé au total à 2,6 milliards €. Certes, cela ressemble à une goutte d'eau, mais l'exportation reste un des canaux les plus dynamiques de l'édition, avec une progression de 5,5 % en 2014.
En 2013, jeunesse et bande dessinée représentaient environ 70 % des cessions de droits, et ces deux genres éditoriaux restent les plus dynamiques en la matière, et l'intérêt pour les ouvrages francophones ne faiblit pas.
Dans la partie du hall dédié aux maisons françaises, rassemblées autour du stand collectif du Bureau International de l'Édition Française, certaines maisons jeunesse font de l'ombre aux poids lourds de la littérature. Et ce, même si le salon qui fait la loi pour le secteur jeunesse reste la Foire de Bologne, en Italie, organisée au mois d'avril, « Francfort reste un moment important de l'année, parce que tout le monde éditorial s'y prépare. Il permet de voir tout le monde en même temps, et les éditeurs que l'on n'a pas eu le temps de croiser pendant le reste de l'année », explique Giulia, responsable des ventes de droits Italie et Asie pour le groupe Auzou.
« Nous sommes présents dans ce genre de salon pour maintenir le contact avec nos clients réguliers, que nous voyons aussi à Bologne », précise Michel Demeulenaere, fondateur de la maison d'édition belge Mijade. « Mais c'est surtout pour faire de nouveaux contacts : avec les nouveaux moyens de communication, on pourrait presque se passer d'un déplacement dans une foire comme celle-ci. » Tout est dans le « presque » : en s'imposant comme un passage obligé pour les maisons d'une certaine taille, Francfort regorge d'acheteurs potentiels. « Ce qui est vraiment important, c'est de toucher de nouveaux collègues, des contacts que l'on reverra les années suivantes. »
RDV en cours, à Francfort (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
En effet, « il est rare que les contrats soient signés sur place : en général, on laisse plutôt plusieurs échantillons, on discute de ce que le livre pourrait devenir à l'étranger, et le procédé s'étend ensuite sur quelques mois, ou au moins quelques semaines, pour vérifier la traduction et la forme du livre », détaille Frédérique Groulard, libraire indépendante à Francfort qui « donne un coup de main » en veillant sur les stands des éditions Lito et Caligrammes.
Les éditeurs jeunesse n'ont pas vraiment le temps de chômer : Natalie Vock-Verley, directrice des Éditions du Ricochet, a enchaîné plus de 40 rendez-vous au cours de la Foire, et, comme d'autres éditeurs, parle d'une « bonne ambiance pour la vente de droits ». « La vente des romans reste très difficile », explique Michel Demeulenaere, « mais l'album et tout ce qui implique de l'illustration est très bien accueilli. Cela vient probablement de la tradition de la bande dessinée et de l'illustré, qui concerne toute la zone franco-belge, depuis l'international. »
Les éditeurs allemands profitent cependant de Francfort pour rencontrer des illustrateurs : ces derniers tentent leur chance sur les stands des éditeurs, avec plus ou moins de succès. « Les Allemands ont mis en place un créneau particulier pour les illustrateurs, et je pense qu'il faudrait faire de même dans le hall des Français », souligne Frédérique Groulard, « car cela permet de rencontrer de jeunes auteurs qui viennent de l'international ». Mais le temps manque...
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Sans surprise, une tendance qui court depuis plusieurs années déjà se confirme : la Chine reste le principal réservoir d'acheteurs pour la littérature jeunesse. « C'est un marché vraiment énorme, en ce moment, car les éditeurs sont à la recherche de livres de fonds autant que de nouveautés pour renforcer leurs catalogues. De plus, différentes actions sont menées en ce moment par le gouvernement pour souligner l'importance de la lecture, ce qui renforce la demande », remarque Muriel d'Oultremont, responsable des ventes de droits pour la collection belge Pastel, « griffe belge » de L'école des loisirs.
Chine aujourd'hui, Corée hier, l'Asie est depuis plusieurs années une destination de choix pour les livres francophones, et plus encore lorsqu'il s'agit de jeunesse : « Les livres pour la jeunesse sont l’objet de 83,9 % des contrats signés, indice plus que jamais fort de l’intérêt dans ces pays pour cette catégorie d’ouvrages », notait d'ailleurs le BIEF il y a quelques années. Les éditeurs francophones sont ravis, et en profitent au maximum avant que le mouvement ne se tasse avec le développement des éditeurs locaux, comme au Brésil il y a quelques années.
« La demande est déjà en train de changer », analyse Giulia, sur le stand Auzou. « Il y a quelques années, les catalogues chinois ne présentaient que quelques ouvrages jeunesse, souvent bon marché. Aujourd'hui, les éditeurs recherchent des produits éditoriaux plus élaborés, des coffrets, des beaux livres... » Les ouvrages produits par les éditeurs chinois restent toutefois très centrés sur leur pays et leur culture, ce qui offre encore pas mal d'opportunités pour les éditeurs étrangers, notamment à la Foire de Shanghaï, qui devient peu à peu une référence pour la jeunesse.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Le secret de la vente de droits ne réside pas seulement dans de bons titres : la connaissance des marchés locaux est un impératif catégorique. Chez Auzou, chaque chargée de droits a d'ailleurs « ses » régions, en fonction de ses connaissances ou de ses affinités, et aussi parce que cela facilite un travail suivi. « L'idée de base est de se spécialiser dans les pays et de gérer les zones qui présentent des similarités, il faut qu'il y ait une certaine cohérence », explique Giulia.
« Nous voyageons pas mal le reste de l'année, nous rendons visite aux autres éditeurs, dans les salons, mais surtout dans les maisons pour cerner ce dont ils ont besoin, ce que l'on peut apporter », complète sa collègue Adélaïde. « Cela permet aussi d'observer les tarifs auxquels on peut vendre, car ils varient énormément d'un pays à l'autre », renchérit Agathe, qui s'occupe de l'Europe de l'Est, de la Russie, de la Grèce, du monde arabe et d'Israël pour l'éditeur.
La connaissance des marchés permet également de préparer au mieux la rencontre avec les éditeurs : « Nous leur présentons d'abord l'ouvrage “dans notre pays”, en quelque sorte, avant de faire des suggestions quant à l'éventuelle adaptation pour le leur », explique Frédérique Groulard.
Autant dire que pour les éditeurs qu'elle représente, son approche du marché allemand est particulièrement appréciée : « L'année dernière, j'ai emmené les directeurs de produits faire le tour de quelques librairies de Francfort pour leur montrer les couvertures des livres : ici, l'orange, le vert et le marron dominent, et pas les couleurs vives. » De la même manière, les éditeurs allemands sont plus prudents vis-à-vis des sujets abordés dans les livres jeunesse : les ouvrages Max et Lili, bien connus en France, ont ainsi plus de mal à s'imposer chez nos proches voisins.
Des critères plus ou moins subtils à prendre en compte : Natalie Vock-Verley avait ainsi emporté l'album C'est mon frère, de Lénia Major et Claire Vogel, mais s'est rapidement rendue compte que le sujet n'était pas très porteur en Chine, où la politique de l'enfant unique limite quelque peu la portée du sujet. Elle s'est rattrapée avec les documentaires comme la collection Qu'est-ce que je mange ou les albums sur les animaux, les sciences ou l'environnement : « Nous sommes dans la lecture plaisir, quand en Asie, des ajouts pédagogiques sont souvent présents à la fin des albums », explique la directrice des éditions Ricochet.
Sur le stand des Éditions du Ricochet (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Cette année à Francfort était particulièrement attendue en raison de l'invitation d'honneur de la France l'année prochaine : les retombées positives ne se sont pas faites attendre. « J'ai constaté le même intérêt renouvelé du côté de l'Amérique du Sud, parce que la France est invitée d'honneur cette année en Colombie. De manière générale, les invitations dans les salons génèrent des focus sur le livre français », explique Adélaïde, qui se consacre aux pays hispanophones et lusophones pour les éditions Auzou.
Évidemment, les éditeurs allemands ont été les premiers à manifester leur intérêt : « Pour nous, l'Allemagne est un partenaire de choix depuis des années et, en tant qu'éditeurs belges, nous sommes tournés vers l'exportation dans tous les cas, mais l'impact s'est nettement fait sentir par des collègues français », précise Michel Demeulenaere.
Asie, Europe, Amérique latine : les ouvrages en provenance de la France touchent une bonne partie de la jeunesse du monde. À l'exception des marchés anglophones, toujours très compliqués à investir. Manuel Valls, qui avait fait d'une affaire personnelle l'invitation de la France à la Foire de Francfort, pourrait trouver là une nouvelle mission diplomatique et culturelle...
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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