ENTRETIEN – Samar Haddad dirige la maison d’édition Atlas Books, basée à Damas, en Syrie. Entreprise familiale, fondée par son propre père, Atlas Books est aujourd'hui l'un des éditeurs indépendants majeurs dans le pays.
réalisé en partenariat avec l'Alliance internationale des éditeurs indépendants
Samar Haddad
Samar Haddad : Mon père, Sema’an Haddad, était réfugié palestinien en 1948, il a fondé Dar Atlas à Damas en 1956. C’était l’une des premières librairies de la ville et, rapidement, elle devint l’une des principales maisons d’édition. Située près du Parlement syrien, dans la zone commerciale la plus achalandée de la ville, il n’a pas fallu longtemps pour que Dar Atlas devienne un point de convergence pour les écrivains syriens et un repère incontournable pour les intellectuels arabes. En peu de temps, la maison a gagné la confiance de nombreux partenaires internationaux comme Dar Al Maaref, basé en Égypte, et Macmillan books, maison britannique, avant de devenir leur distributeur exclusif pour le Moyen-Orient, au cours des années 60.
Le changement est un fait inévitable de la vie. Comme les années 90 sont arrivées, il fallait du sang neuf et des décisions fermes ont été prises pour relever les défis de l’époque. Je suis revenue du Canada pour m’occuper de l’entreprise familiale : un défi que j’ai embrassé avec gratitude.
En très peu de temps, j’ai transformé Atlas, alors petite librairie avec une perte de clientèle, fidèle, mais vieillissante, en une structure dynamique, engagée non seulement dans l’édition, mais aussi la promotion de nos auteurs. Notre devise était « Si le lecteur ne vient pas au livre, apportez-lui le livre ». Ainsi, nous avons généralisé des séances de signatures pour nos auteurs, à travers les principales villes de Syrie et du Liban.
Atlas fut une maison pionnière dans la promotion et la coorganisation de nombreuses activités culturelles en Syrie. Beit Jabri est devenu une marque commerciale d’Atlas, avec le recours à des lieux différents, comme les restaurants de la vieille ville ou les bains publics historiques de Damas, ou encore la tenue de foires du livre durant Ramadan, où nous proposions des rencontres dans les établissements de la vieille ville.
Depuis 2007, Atlas a organisé trois conférences sur la laïcité et la crise du lectorat dans la culture arabe. Nous avons été associés à plus de 13 organisations et maisons allant du British Council de Damas, à la Syrie, durant la Foire du livre de Francfort en Allemagne. Depuis le tournant du XXIe siècle, Atlas a également fait du droit d’auteur et de la défense de la propriété intellectuelle un combat mené en Syrie et dans le monde arabe.
En 2010, nous sommes entrés dans l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, et l’année puissante, nous avons étendu notre activité au marché du livre libanais et de l’édition à Beyrouth.
Nous soutenons fermement la diversité et cela se retrouve dans notre catalogue. Nous avons presque publié tous les genres de livres, avec pour seule restriction d’éviter la vulgarité et les platitudes, dans le sincère respect de nos lecteurs. Nous aimons publier des traductions d’autres langues, car nous y voyons un pont parfait entre les cultures. Et si nous évitons les ouvrages mainstream, c’est pour apporter un regard différent aux lecteurs. Récemment, nous avons fait paraître un ouvrage sur le football : après tout, le sport est une partie de la culture, non ?
Samar Haddad : Atlas dispose d’accords de distribution avec de nombreuses maisons d’édition en Syrie et dans le monde arabe. Nous utilisons leurs réseaux pour que nos livres puissent toucher les lecteurs, où qu’ils se trouvent. À ce jour, notre nom est connu de nombreux lecteurs, fidèles, en Syrie, et dans le monde arabe. Mais évidemment, nous ne pouvons pas nous comparer avec d’autres éditeurs qui dominent le marché. Je dirais que nous sommes une petite maison d’édition comme tous les éditeurs indépendants, avec un solide réseau de clients réguliers, qui nous fait confiance et nous soutient.
La maison Atlas Books à Damas
Samar Haddad : L’industrie de l’édition diffère à bien des égards entre la Syrie et les pays occidentaux, mais ce qui la caractérise le plus, c’est la censure qui rend notre vie si misérable. Cela s’applique également aux foires du livre dans l’ensemble du monde arabe (à l’exception du Liban et des Émirats arabes unis). Nous avons publié sept livres sur la vie sexuelle des Arabes au temps du prophète Mahomet et vous pouvez imaginer la réception de ces titres lors de la foire de Riyad en Arabie saoudite, ou au Qatar ! L’année passée, à Djeddah, nos livres ne sont pas arrivés jusqu’à notre stand, ils sont restés dans l’entrepôt du parc des expositions, et à la fin du salon, certains ont été confisqués.
En Syrie, tous les éditeurs sont invités à soumettre un manuscrit de leur livre avant d’aller l’imprimer et doivent attendre le verdict : selon le genre du livre, le délai de réponse peut varier entre 2 et 8 mois. Ainsi, les notions de sujets chauds ou d’actualité sont totalement tuées.
Une autre spécificité locale est le manque de spécialisation dans le secteur. Les éditeurs finissent par accompagner leur livre dans toutes les phases de sa création, jusqu’au lecteur. Cela réduit notre marge de profit au minimum et limite le nombre de publications annuelles. Je pense que c’est le cas dans presque tous les pays arabes et particulièrement pour les petits éditeurs indépendants.
Samar Haddad : Quand le livre numérique est devenu une tendance sur le marché arabe, après que le problème de la langue a été résolu [NdR : l’affichage en arabe] et grâce à une formation organisée par l’Alliance internationale des éditeurs indépendants en Tunisie en 2011, nous avons réussi à développer le premier ebook à Damas, avec l’aide d’une entreprise high-tech locale.
Par la suite, nous avons entrepris de travailler avec les plateformes locales de petite taille et avons pris soin d’étudier toutes les possibilités existantes avant de mettre nos archives à disposition. Après quelques années, l’expérience nous a prouvé qu’aucune n’était à la hauteur de cette tâche et nous avons fini par, malheureusement, signer un contrat avec Google. Désormais, tous nos livres sont maintenant vendus sur Google au moment où ils sont imprimés.
Ce contrat n’est pas mauvais et les ventes sont acceptables. La chose la plus importante, dans cette collaboration avec Google, c’est que le produit final, l’EPUB, est de très bonne qualité et acceptable. Et leur équipe qui travaille sur le monde arabe est particulièrement professionnelle. Nous voyons cela comme un revenu supplémentaire, et une solution à un double défi : le coût de l’expédition des livres physiques et la censure.
Samar Haddad : Nous restons parfois vieille école pour faire la promotion de nos livres, avec des extraits dans la presse ou des critiques publiées dans des magazines culturels par des amis journalistes. Et malheureusement, nous ne pouvons pas assumer le coût de messages publicitaires. Récemment, nous avons eu recours aux médias sociaux, plus spécifiquement pour annoncer certains événements, tels que les foires du livre ou des publications. Les frais dans les médias sociaux sont toujours plus supportables par rapport aux principaux journaux, télévisions ou radio.
Cependant, je crois que la commercialisation des livres dans le monde arabe se fait de manière très traditionnelle, voire confidentielle, alors que d’autres éditeurs étrangers sont très fiers de leur marketing autour de leurs livres. Ils se présentent comme des passeurs de connaissance, ayant recours aux solutions et aux outils marketing les plus innovants. [Atlas Books sur Facebook]
D’ailleurs, il n’existe pas UNE seule entreprise professionnelle de marketing et de distribution dans l’ensemble des 22 pays arabes. Les éditeurs s’appuient les uns sur les autres et généralement le partenariat varie selon la taille des maisons. Les petits vont avec les petits, et les grands avec les grands. Il est peu probable que de petits éditeurs disposant de ressources limitées constituent un partenariat solide.
À cet égard, je crois fermement que les éditeurs indépendants sont capables, et devraient expérimenter une nouvelle approche vis-à-vis de leurs lecteurs, afin de mieux connaître leurs passions et leurs rêves, grâce à la lecture. Mais aussi échanger sur des sujets importants, pertinents et autour d’idées. Cela fournirait de nouvelles méthodes de vente pour les livres sur le marché arabe. Cette vision arriverait même à vendre des livres difficiles, si elle est appliquée d’une manière correcte. Le projet reste cependant théorique, jusqu’à ce que nous trouvions le budget pour le réaliser.
Samar Haddad : Il existe une tendance qui met à disposition le format PDF des livres en téléchargement gratuit sur des sites internet. Nous, éditeurs, sommes directement impactés parce qu’il s’agit d’une occasion perdue de vendre un livre, mais ne pouvons pas faire grand-chose. Une fois, j’ai échangé avec un jeune homme qui a une page Facebook, avec un nom amusant en arabe [Abu Abdo la Mule], qui diffuse gratuitement des PDF des livres. Sa théorie était qu’après avoir lu le PDF, les gens pourraient être incités à acheter le livre papier, et il fait cela depuis cinq ans maintenant. C’est l’une des nombreuses pages que l’on peut trouver.
Moi, je connais des gens qui ont cessé de lire des exemplaires gratuits, après que nous leur avons expliqué qu’ils nous font du tort et nuisent également à l’auteur. Mais ces gens compréhensifs sont rares. La chose qui fait le plus mal sur le sujet est que les gens économisent facilement de l’argent pour acheter des choses stupides, certainement pas des livres.
Samar Haddad : Ce sont principalement les foires du livre, les ateliers et séminaires professionnels. Les foires du livre nous apportent des revenus immédiats, qui nous aident à imprimer de nouveaux livres, à payer des droits d’auteurs ainsi que la présentation de nos ouvrages aux distributeurs et aux libraires. En ce qui concerne les rassemblements professionnels, ils offrent toujours l’occasion de rencontrer des collègues éditeurs et des professionnels de l’industrie, venus de différents pays, pour échanger des expériences et des histoires de réussites qui sont parfois évidentes et inspirantes. En fin de compte, le commerce du livre est le même partout, au moins dans ses fondements.
Samar Haddad : Nous avons travaillé à plusieurs projets français avec le ministère des Affaires étrangères, notamment avec le Centre culturel français de Damas. Nous avons publié cinq livres entre 2003 et 2007, dans le cadre du programme de promotion de la langue française, avec la traduction de livres publiés par des éditeurs français, et le soutien du ministère. Lorsque nous avons réussi à diffuser Atlas au Liban, nous avons également contact le Bureau du livre de Beyrouth, pour reproduire cette expérience.
Nous avons également collaboré avec le Conseil des Arts du Canada, dans le même contexte, pour trois projets.
2 Commentaires
Sam
17/07/2018 à 16:08
Wonderful work.
JAMAL KITEL
19/01/2021 à 22:28
C'est très instruisant ce que nous rapporte madame Haddad, et ça nous éclaire sur ce qui se passe là-bas malgré le chaos de la guerre, surtout en ce qui concerne la promotion de la culture des lumières par le livre; je suis très ravis d'avoir approfondi ma connaissance sur madame Samar grâce cette interview; je lui espère du fond de mon cœur tout le bonheur possible et tout le progrès qu'elle mérite à la maison des éditions Atlas.
Jamal Kitel
Casablanca 19/01/2021