ENTRETIEN – Ce 7 novembre sera remis, au café Les Deux Magots, le prix Apollinaire. Presque un retour aux sources pour cette prestigieuse reconnaissance : c’est dans ce café que le poète « à l’étoile de sang » avait ses habitudes. Jean-Pierre Siméon, président du jury, revient avec nous sur ce qui est sans doute la plus ancienne récompense poétique.
Le 04/11/2016 à 13:53 par Nicolas Gary
Publié le :
04/11/2016 à 13:53
Jean-Pierre Siméon
Jean-Pierre Siméon : Mon action pour redonner son poids au prix incarne mon obstination résolue à redonner à la poésie sa pleine présence dans le paysage littéraire français. C’est un moyen parmi d’autres, mais c’est avant tout un lien historique avec près de 80 années de vie française. Cette année, nous avons trouvé un partenaire fort, dont le lien même avec Guillaume Apollinaire fait sens.
Le Prix Apollinaire fut créé par Henri de Lescoët en 1941. Originellement, il était décerné à Marseille. Durant la Seconde Guerre mondiale, il fut suspendu, entre 44 et 46, et pris son essor à partir de 47, en saluant l’œuvre d’Hervé Bazin. Dans les années qui suivirent, il avait une importance à l’aune de ce que la poésie représentait dans la société : elle était aussi fondamentale que le roman, y compris dans les médias.
Robert Sabatier, qui fut lauréat en 56, avait reçu son prix des mains de Jean Cocteau, alors président. Il m’avait confié qu’à cette époque, l’agitation des journalistes était considérable. C’était un événement au même titre que le Goncourt aujourd’hui. Voilà l’une des raisons pour lesquelles nous sommes décidés à lui rendre la primeur qu’il avait dans la vie culturelle française. Il n’y a aucune raison qu’on lui refuse cette dimension.
Jean-Pierre Siméon : Il faut se souvenir, en effet, que les membres de son jury comptaient des figures essentielles du monde des lettres. Je pense à Georges Duhamel, à Cocteau, bien entendu, mais également à Hervé Bazin ou André Billy, qui fut un ami d'Apollinaire. C’est un point. L’autre, est que dans les années 70, il fut très lié au prix Goncourt – Robert Sabatier y était d’ailleurs pour beaucoup. Le Goncourt de la poésie lui rend cet hommage en se nommant Goncourt de la Poésie Robert Sabatier.
Plusieurs membres de l’Académie Goncourt étaient membres du jury du prix Apollinaire. Je me souviens, personnellement, qu’en 1994, quand j’ai reçu le prix, Emmanuel Roblès, qui siégeait à l’Académie Goncourt était venu manger avec nous. Ce que certains ont oublié, peut-être, c’est que l’on déjeunait alors à la table chez Drouant, ce restaurant même où les jurés du Goncourt se retrouvent aujourd’hui encore.
C’était encore le cas en 94, mais par la suite, le manque de médiatisation de la poésie aidant, Drouant nous a mis dehors. Je n’étais pas encore membre du jury. Quand j’en suis devenu secrétaire général, nous avons tenté de trouver des mécènes, ce qui nous a amenés à voyager d’un lieu à un autre, suivant les endroits qui acceptaient de nous accueillir. Ce fut l’hôtel Claret, puis le Lutetia, et enfin le Bel Ami.
Jean-Pierre Siémon : Le problème venait en effet de ce que nous ne disposions pas de lieu permettant d’identifier le prix – et dans le même temps, nous ne disposions plus d’argent pour doter le prix. Tout l’aboutissement de nos efforts, c’est que nous avons aujourd’hui un partenaire-mécène, qui nous reçoit, et dote le prix de plusieurs milliers d’euros.
Apollinaire habitait à côté de ce café, il écrivait ses courriers, peut-être autre chose. L’actuelle propriétaire m’a confié qu’elle avait un courrier d’Apollinaire, écrit sur le papier en-tête des Deux Magots. Alors, évidemment, Le Bel Ami nous accueillait avec une très grande générosité, et nous les avons remerciés à de nombreuses reprises. La nécessité d’une dotation devenait cependant cruciale.
Après, les Deux Magots entretiennent également une relation forte avec la littérature. Ils ont le prix du roman, décerné depuis 1933 ainsi que le Prix Pelléas, dédié à la musique, fondé par Jean-Yves Clément. Et la fréquentation des lieux par Apollinaire donne à l’établissement un lien avec la poésie, cette fois, et le prix prend alors plus de sens. Cela accroît l’image et la fonction de lieu d’accueil de la littérature.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Jean-Pierre Siméon : Tahar Ben Jelloun nous a rejoints – il a également en charge le Goncourt de la poésie. C’est une manière de retisser le lien historique entre les deux événements. Certes, certains noms de poètes primés ont été oubliés, mais tout de même, Claude Roy, Seghers ou Leopold Sédar Senghor, entre autres, sont des figures de la poésie que l’on n’oubliera pas. Même Hervé Bazin, que l’on ne connaît pas pour sa poésie, avait commencé ainsi. C’est un palmarès de 80 années d’existence qu’il faut remettre au goût du jour.
Pour cette même raison, le prix qui avait voyagé de l’automne au printemps, retrouve sa place sur la scène des prix littéraires de l’automne. Si l’on admet qu’il s’agit d’un moment de mobilisation littéraire, alors il importe que le prix Apollinaire en fasse partie. Cela contribue a redonner de l’espace et de l’importance au prix, et s’inscrit effectivement dans un combat aux multiples lignes de front.
Je suis obstiné, c’est juste, mais je crois toujours qu’un jour, le bon sens l’emportera et que l’on accordera à la poésie la reconnaissance qu’elle mérite. Les œuvres qui reçoivent le prix Apollinaire valent généralement les romans du Goncourt. Qui, aujourd’hui, oserait dire le contraire ? Comment considérer que les livres de poésie récompensés ne sont pas importants ?
Avec la présence de Tahar Ben Jelloun, nous renouons un peu cette histoire entre prix Goncourt et Apollinaire. Robert Sabatier a toujours été ce lien fort entre les deux prix – et Charles Dobzynski, ancien président du Prix Apollinaire, avait d’ailleurs appelé Edmonde Charleroux, alors secrétaire générale, pour maintenir cet échange. Nous avons également la présence de Jean Rouaud, qui a reçu un prix Goncourt, et s’avère être un grand lecteur de poésie.
D’ailleurs, plusieurs membres du jury Goncourt sont sensibles à la poésie : c’est toute la manifestation, Le printemps des poètes, qui a reçu cette année le Goncourt de la poésie. Ce fut l’occasion pour moi de rencontrer le jury et de comprendre : il n’y a pas de concurrence, mais probablement peut-on créer une émulation entre les deux prix.
Jean-Pierre Siméon : C’était un homme passionné par la poésie. J’avais eu l’occasion de lui parler quelque temps avant son décès. Il m’avait alors confié que son œuvre poétique lui importait plus que ses romans. « Dis aux jurés du prix Apollinaire que la poésie est primordiale pour moi, c’est ce que je préfère », m’avait-il dit.
Comme nombre de poètes, j’ai une dette à son égard, et le prix Apollinaire lui doit bien plus encore. Durant des années, quand le prix rencontrait des problèmes d’argent, c’est lui qui envoyait des chèques, anonymement, pour continuer à soutenir la récompense.
Jean-Pierre Siméon : Elles sont particulièrement anciennes, et parfois lacunaires, parce que tout cela n’a pas été géré avec rigueur. Nous avons dernièrement donné l’ensemble des archives à la bibliothèque de l’Arsenal, et il y a assurément de la matière pour les chercheurs. Pensez : Andrée Chedid, par exemple, fut membre, on a des correspondances de poètes majeurs de l'Après-Guerre, et Luc Bérimont secrétaire général, avait tenu un cahier très précis des délibérations.
Nous disposons là de quelques témoignages, même si, pour certaines périodes, il n’y a pas assez de documents. Malgré tout, ces documents donnent une bonne vue de la vie poétique de l'Après-Guerre. La numérisation est d’ailleurs envisagée, à travers le plan de numérisation du fonds de l’Arsenal, et les archives du prix Apollinaire devraient en profiter.
Dans le même temps, Linda Maria Baros, poète franco-roumaine qui avait été lauréate très jeune, et occupe la place de secrétaire générale, est en train d’écrire un historique de ce prix.
Et je voudrais aussi profiter de l’occasion pour remercier Juliette Binoche, qui viendra, le jour de la remise du prix, dire des textes. Outre l’actrice et la personnalité médiatique que l’on connaît, c’est une femme qui a un rapport juste, vrai et profond à la poésie. Elle prend toujours le temps de dire l’importance que cette écriture peut incarner à ses yeux. Elle était d’ailleurs venue lire des textes, en soutien au poète palestinien Fayad Ashraf, qui avait été condamné à mort.
Rappelons la sélection finale, établie au mois de juin :
Gérard Bayo, Neige suivi de Vivante étoile, L’herbe qui tremble
Samuel Brussell, Halte sur le parcours, La Baconnière
Julie Delaloye, Malgré la neige, Cheyne éditeur
Pierre Dhainaut, Voix entre voix, L’herbe qui tremble
Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous, La Table ronde
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau. Treize à seize, Flammarion
Catherine Weinzaepflen, Avec Ingeborg, Éditions des Femmes
Par Nicolas Gary
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