ENTRETIEN – Journaliste et éditrice, Constanza Brunet est la fondatrice de Marea editorial. Basée en Argentine, elle a créé sa maison d’édition en 2003, pour que convergent ses passions pour le journalisme et le livre. Et ses ouvrages le traduisent bien : investigation, récits historiques, essais et romans. Avec l’exigence de la qualité comme point de mire constant.
Le 09/12/2016 à 10:18 par Nicolas Gary
Publié le :
09/12/2016 à 10:18
réalisé en partenariat avec l’Alliance internationale des éditeurs indépendants
Constanza Brunet : La maison a démarré en décembre 2003 comme un projet culturel et journalistique, poussé par des professionnels et spécialistes de ces domaines. Elle se compose d’une équipe d’éditeurs, de designers et de journalistes et se concentre sur la non-fiction de grande qualité. Notre catalogue compte plus d’une centaine de titres, dont plusieurs sont régulièrement réimprimés ou réédités, à travers cinq catégories :
Historia Urgente : qui intègre les livres d’investigation journalistiques, les témoignages, les essais sur la politique actuelle et l’histoire récente
Vox Pópuli : propose des essais philosophiques d’auteurs contemporains, venus du monde entier. On plonge dans la religion et la manière dont diverses croyances interagissent avec la culture, l’histoire et la philosophie.
Pasado imperfecto : explore l’histoire argentine d’un point de vue non académique
Ficciones Reales comprend des chroniques journalistiques distinguées par une prose affûtée et sous-tendue par des enquêtes approfondies.
Náufragos intègre des récits de fiction et non-fiction racontés avec beaucoup de talents.
Marea publie une dizaine de titres par an et le tirage moyen est de deux mille exemplaires. Nous sommes distribués dans toute l’Argentine, mais également vers d’autres pays hispanophones. En 2010, nous avons reçu le prix Éditeur de l’année, remis par la Fundación El Libro, saluant la qualité des textes et la conception des livres. Cette institution est composée de l’Association du livre argentin, l’Association des éditeurs argentins et celle des Libraires argentins.
Enfin, Marea est membre de l’Association du Livre Argentine – et depuis deux ans, j’en suis conseillière – ainsi que de l’Association des éditeurs indépendants argentins et de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants.
Constanza Brunet : Vous l’avez compris, Marea est une petite maison d’édition indépendante. Cependant, après douze années de présence sur le marché du livre, notre ligne éditoriale spécifique et la qualité de nos livres nous ont conféré un certain prestige auprès des libraires. Mais également des journalistes et des lecteurs, et cette réputation nous aident à promouvoir nos livres. Ce n’est pas une tâche facile sur le marché argentin, qui est contrôlé par de grandes maisons d’édition internationale (Random House et Planeta, pour exemple).
Constanza Brunet : L’Argentine est l’un des plus grands pays au monde, mais, paradoxalement, elle a une faible population de 40 millions de personnes. Un tiers vivent sous le seuil de pauvreté et leur situation économique les empêche d’acheter des livres. Quant au système de bibliothèques publiques, il est clairement insuffisant. Le reste de la population – affecté par des décennies de dictature et de crises économiques – lit un peu moins encore chaque année. La moitié de la population n’a pas l’habitude de lire.
Cependant, malgré ces chiffres, l’Argentine est actuellement le premier producteur de livres en Amérique latine (à l’exception du Brésil) : sa production représente 27 % de l’offre totale, et suivent le Mexique, puis la Colombie. Pourtant, notre position est loin d’être confortable. L’Espagne est à ce jour le principal éditeur en langue espagnole, et produit bien plus que tous les autres pays hispanophones réunis.
Depuis les années 2000, l’Argentine a connu un essor important de l’édition indépendante. Mais nous sommes confrontés à de nombreux défis – la recherche de lecteurs pour nos livres est le principal. Notre production est rare, mais nos canaux de vente sont encore plus réduits. Dans l’immensité du territoire qu’est l’Amérique latine, on ne recense que 4700 librairies, alors que l’on en compte 4280 en Espagne. Théoriquement, le marché de l’Amérique latine est énorme : 546 millions de lecteurs potentiels, il ne devrait pas être si difficile de vendre quelques milliers d’exemplaires de nos livres. La réalité est cependant bien différente.
Sur l’ensemble de ces lecteurs potentiels, il faut soustraire 213 millions de personnes qui n’ont pas de quoi subvenir à leurs besoins les plus fondamentaux, 88 millions qui vivent dans une extrême pauvreté, 41 millions d’analphabètes et 180 millions qui parlent portugais. Enfin, le marché du livre d’Amérique latine est fragmenté par des frontières politiques, économiques et géographiques. La logistique et la distribution sont très complexes, coûteuses : mettre en place une politique commerciale sur le livre est infiniment délicat.
Par conséquent, les échanges commerciaux entre les pays sont faibles, spécifiquement pour les maisons d’édition indépendantes. Cela affecte le dialogue culturel entre les pays, autour d’une région, et menace l’existence des éditeurs qui ont besoin d’une certaine taille de marché pour pérenniser leur activité.
Enfin, le dernier obstacle est l’augmentation de l’inflation en Argentine, qui fait monter les prix du détail sur le marché intérieur – excluant des pans entiers de la population, qui n’ont plus la possibilité de lire ni d’acheter des livres. Et bien sûr, cela affecte la compétitivité pour le marché international. Hélas, le gouvernement n’a pas vraiment de politique publique pour réduire cette asymétrie entre la production et les possibilités de distribution commerciale.
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Constanza Brunet : La moitié de notre catalogue est disponible en format ebook, distribué sur la principale plateforme, Bajalibros.com. Les ventes sont toutefois très faibles en Argentine pour le livre numérique, représentant environ 1 % du chiffre d’affaires total.
Quand un livre traite d’actualité courante, nous diffusons sa version numérique en même temps que le livre physique. Pour d’autres ouvrages, nous faisons paraître le titre en numérique quelques mois plus tard. De la sorte nous avons une nouvelle chance d’en assurer la promotion.
Constanza Brunet : Nous agissons à travers différents moyens. D’abord, les réseaux sociaux, avec nos comptes Facebook et Twitter, ainsi que la chaîne Youtube – et récemment nous avons ajouté un compte Instagram et Goodereads à cette liste. Nombre de nos auteurs sont des journalistes et disposent de fans : nous en profitons et travaillons directement avec eux, en toute réciprocité, nous faisons leur promotion et eux la nôtre.
Nous avons des relations régulières et bonnes avec les médias : du fait que nos auteurs sont des journalistes, ils nous aident à communiquer avec leurs collègues qui vont assure la promotion des livres. Nous avons établi une base de personnes à qui nous adressons des services de presse, avec de très bons résultats – nous profitons de nombreuses recensions dans la presse. Les thèmes de nos livres partent de la réalité, de sorte que nous pouvons interagir avec les médias à bien des égards, en dehors des pages culturelles classiques de journaux.
Enfin, nous travaillons sur des événements, privilégiant le contact direct avec les lecteurs. Pour ce faire, nous passons par les foires – deux à trois, où nous nous rendons chaque mois, qu’elles soient nationales et internationales. Ainsi que des événements de lancements, des conférences ou des rencontres littéraires.
Constanza Brunet : Plusieurs titres ont été traduits dans neuf langues et publiés à travers quatorze pays. Cela a été rendu possible grâce à notre présence dans des salons internationaux – la Foire du livre de Francfort, la Foire de Guadalajara, ou celle internationale du Venezuel. Et bien entendu les foires de Bogotá et celle de Buenos Aires.
Constanza Brunet : La question n’est pas simple : il est impossible d’éviter la contrefaçon dans le monde numérique. La meilleure manière est de prendre part à des actions comme celles que la Cámara Argentina del Libro mène. Elle exerce des pressions sur les autorités pour qu’elles instaurent de nouvelles lois et mettent en place des outils de contrôles nouveaux. Ils coordonnent également des actions collectives pour lutter contre le phénomène.
Constanza Brunet : Nous avons fait paraître quelques titres d’auteurs français René Faligot, Alain Labrousse, Joseph Doré. En Argentine, l’ambassade de France offre une aide à la traduction en espagnol des auteurs français, à travers le programme Victoria Ocampo. Nous avons aussi bénéficié de ressources de l’ambassade destinées aux coéditions à travers le programme Jules Supervielle.
Nous avons aussi acheté les droits internationaux de maisons d’édition comme Seuil, La Découverte ou Atlantica. Et, dans le même nous, nous avons cédé nos droits pour la traduction de certains titres, comme Mon ami le Che, de Carlos Ferrer (chez L’Archipel).
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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