Colère des bibliothécaires, acte II : après le mouvement de décembre 2016, la nouvelle vague s'est abattue. Un appel à la grève de l’intersyndical était lancé ce 4 février : à la mi-journée, près de 25 établissements parisiens y avaient répondu – même celle de Louise Michel s'étonnait-on. Une manifestation, organisée devant la médiathèque Hélène Berr, dans le XIIe arrondissement, a permis un rassemblement, pour donner corps aux revendications.
Le 04/02/2017 à 18:16 par Nicolas Gary
Publié le :
04/02/2017 à 18:16
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
NdR : l'intersyndicale a diffusé un message au lendemain de la grève.
En attendant des propositions écrites de la part de la mairie de Paris via Bruno Julliard, le premier adjoint d'Anne Hidalgo en charge de la culture, un nouveau préavis va être déposé pour une nouvelle grève le dimanche 12 février à la médiathèque Hèlène Berr.
Trois motifs réunissaient les personnels : les effectifs et les conditions de travail, le rattrapage de la prime de la filière culturelle, la plus basse de toute la mairie de Paris et l’ouverture dominicale, « dans de bonnes conditions ». À commencer par la médiathèque Hélène Berr, qui fêtera son troisième dimanche d’ouverture le 5 février.
La position de la mairie de Paris n’est pas bloquée dans les négociations : « On discute, on y arrive : sur le rattrapage des primes, ils ont fait un effort – pas assez à notre goût, mais c’est un mieux », indique un représentant CGT. « Les négociations se poursuivent. Et pour les effectifs du dimanche, on nous a laissé entendre que la mairie n’était pas fermée à nos revendications : après tout, ce sont simplement deux postes réclamés pour y parvenir. »
Si cela semble réalisable, l’absence de proposition écrite « a provoqué la grève : ils l’attendaient, ils l’ont eue. Et d’autres suivront si c’est nécessaire. » Toutefois, les échanges « restent cordiaux – dans la culture, nous sommes des gentils –, mais improductifs ».
À ce jour, il faudrait une centaine de personnes pour garantir l’ouverture dominicale dans les meilleures conditions, sur l’ensemble des établissements sensés, à terme, ouvrir le dimanche. « On parle d’emplois à temps complet, pour des titulaires, intégrant la prime spécifique au travail du dimanche. »
Cependant, tout le monde s’interroge : pourquoi ces ouvertures sont soudainement cruciales pour les politiques ? « Le public n’est pas vraiment en demande : il en profite, si c’est ouvert. C'est un peu différent pour les étudiants ou les retraités qui la réclament plus. Mais l’enjeu est plutôt d’ouvrir mieux que d’ouvrir plus. » Car, à ce jour, garantir une ouverture dominicale implique avant tout de fermer des créneaux horaires dans la semaine.
A ce titre, l’intervention récente d’Emmanuel Macron prête ici à sourire : le candidat veut ouvrir les bibliothèques le soir et le week-end. « Il n’a pas encore précisé les modalités d’ouverture : on attend qu’il fournisse des détails sur son programme. D’ailleurs, on pourra demander à la mairie de Paris, parce que beaucoup d’élus parisiens sont devenus macronistes », plaisante-t-on.
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« L’ouverture du dimanche découle d’une volonté des élus – et nous sommes fonctionnaires, présents pour appliquer la politique choisie, c’est notre mission. Pourtant, aucun autre argument n’est avancé : c’est une volonté de la mairie, voilà tout ce que l’on entend. Ou de la maire, plus exactement, puisqu’au sein du Conseil de Paris, l’idée n’enchanterait pas tout le monde », souligne une représentante de la médiathèque.
Mieux : certains se souviennent que deux ans plust tôt, Anne Hidalgo écrivait au ministre de l’Économie – un certain Emmanuel Macron – pour contester l’ouverture des commerces le dimanche. À l’époque, elle soulignait que cette démarchée pénalisait les femmes salariées qui vivent seules – frais de gardes, RER moins nombreux, etc. « Cela pénalisait tout particulièrement les salariés précaires. Et deux ans plus tard, il devient indispensable d’avoirs des commerces ouverts le dimanche, parce que les Parisiens n’attendent que ça ? »
Pour les bibliothèques, quid ? « On ne comprend pas si cela répond à une exigence des publics, à une politique culturelle, on ne sait pas finalement. Un vernis culturel qui donne l’air de faire quelque chose : Paris devient alors cette capitale où tout est ouvert, tout le temps... »
Dans tous les cas, cette idée de la culture ne reflète pas celle que les personnels peuvent avoir. « Nous devons oeuvrer correctement, avant tout. Pour que les bibliothèques soient utilisables par les usagers, il y a un énorme travail à réaliser à l’intérieur. D’ailleurs, il arrive souvent qu’on nous voit travailler à l’intérieur, alors que le lieu est fermé, justement. »
Et pour offrir le meilleur service, gérer les achats, le contrôle des collections ou encore le classement, un ensemble de tâches techniques reste à effectuer. « Les documents doivent aussi être sélectionnés par des professionnels : contrairement aux idées reçues, notre fonction ne se résume pas à procurer le dernier Harry Potter. »
Comment conserver la qualité tant du travail effectué que celle de l’accueil, le dimanche comme les autres jours ? « La politique du "tout, tout le temps", cela revient à faire des bibliothèques une sorte de supermarché. Nous ne sommes pas là pour servir de vidéoclubs ni fournir des DVD à des gens qui veulent regarder un film le soir. C’est une partie, et une partie seulement, de notre fonction. »
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Mettre les publics en relation avec des documents, qu’ils ne pourraient pas rencontrer autrement, c’est là tout l’enjeu du métier. « Nous servons à faire la promotion de maisons d’édition très petites qui, parfois, ne trouvent même pas de place dans les librairies. Nous ne sommes pas distributeurs, mais des accompagnateurs, pour les usagers, vers toute cette culture. »
Alors quand on parle de faire travailler des étudiants – ces fameux vacataires – dans les bibliothèques, on grince des dents. « Les étudiants peuvent avoir la meilleure volonté du monde, ce ne sont pas des bibliothécaires professionnels. Ouvrir le dimanche avec un maximum d’étudiants, en disant qu’ils vont tout ranger, ce n’est pas notre vision du métier. »
Chez Force ouvrière, ce recours aux vacataires participe « d’un mouvement d’uberisation généralisé dans les bibliothèques, et ailleurs dans les établissements publics ». En tout premier point, « il y a un problème financier : les camarades de la filière culturelle sont les moins bien payés, en tant que régime indemnitaire. Pour des raisons historiques, mais essentiellement parce que ce sont des personnels féminins. »
Que ce soit pour la médiathèque Hélène Berr, devenue le symbole du mouvement social ce jour, mais également « pour tous les autres établissements visés par la maire de Paris », ouvrir le dimanche « c’est le faire avec le minimum de moyens humains ».
Et justement : « Demain, la moitié des postes dans les établissements seront occupés par des étudiants vacataires, alors qu’une bibliothèque doit incarner un établissement public de qualité. Il faut avoir des professionnels pour recevoir le public – et on l’affirme sans aucune animosité contre les étudiants. Ils sont victimes eux aussi en réalité. »
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Les titulaires, recrutés, avec des diplômes, et après un concours, en somme. «La logique des lois Macron qui ont conduit à l’ouverture des grands magasins s’applique aveuglément sur les bibliothèques désormais. Et la mairie de Paris change ainsi les bibliothèques en Amazon culturel. »
Pour y parvenir, des vacataires remplacent donc les titulaires, mais ce modèle économique s’applique aussi à des échelons plus élevés. « Théoriquement, les responsables des bibliothèques les plus grandes, ce sont des conservateurs, avec un certain cursus. Mais on les remplace par des bibliothécaires, pour une raison simple : salaire moindre, évolution de carrière moins intéressante. » Et la ville se retrouve à économiser de l’argent de la sorte.
Le recours aux étudiants suit le même mouvement « de dégradation qui conduira à remplacer les conservateurs par des vacataires... Peut-être alors qu’un jour, on remplacera les élus par des vacataires aussi. Et ce jour-là, ils se mobiliseront ». Main-d’œuvre à bon marché, contrat précaire, le vacataire « permet à la mairie d’affirmer qu’elle recrute : pour combien de temps, et dans quelles conditions ! On cotise trois trimestres sur quatre... on exploite la précarité, le tout est programmé, orchestré. C’est chirurgical ! »
Durant notre présence, aucun élu ne s'est présenté.
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Mais on garde malgré tout le sens de l'humour.
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