ENTRETIEN – Les réseaux sociaux ont fini par occuper un espace immense dans la promotion et la communication. Indispensables ? Disons plutôt qu'il est indispensable de savoir s’en servir... Stéphanie Vecchione, spécialiste de la communication digitale et formatrice web stratégie pour Fontaine O Livres, détaille leur fonctionnement.
Le 13/02/2017 à 11:50 par Nicolas Gary
Publié le :
13/02/2017 à 11:50
Stephanie Vecchione
Stéphanie Vecchione : Les réseaux sociaux sont des espaces dédiés à l’intime et au partage. En tant qu’objet fortement chargé émotionnellement, le livre s’y prête particulièrement bien. Les éditeurs ont d’ailleurs compris l’impact de la recommandation qui s’y exerce entre lecteurs.
Par contre, ils ont tendance à se disperser quant aux objectifs qu’ils poursuivent. On ne peut évaluer l’impact direct des réseaux sociaux sur les ventes de livres. Et s’ils peuvent générer la majorité du trafic vers un site web (comme c’est le cas pour Albin Michel), cela ne doit pas être l’objectif poursuivi.
À mon sens, bien se servir des réseaux sociaux, c’est poursuivre 3 objectifs : communauté, visibilité et e-réputation, et réseau professionnel. En engageant leur communauté de lecteurs, les éditeurs créent des ambassadeurs et activent le bouche à oreilles. Ils s’assurent ainsi une bonne visibilité de leur catalogue et de leurs auteurs auprès de leurs cibles privilégiées, tout en générant une e-réputation positive.
Enfin, on l’oublie trop souvent, mais les réseaux sociaux sont un formidable outil pour entretenir les liens avec ses partenaires professionnels (blogueurs, libraires, auteurs, organisateurs de salons) et s’ouvrir de nouvelles opportunités. En poursuivant ces 3 objectifs, on active un cercle vertueux qui fait croître de manière exponentielle recommandation des lecteurs, visibilité de la maison et opportunités professionnelles.
Et, pour vraiment avoir un impact sur les ventes, les réseaux sociaux doivent s’inscrire dans la stratégie de promotion globale de la maison, aux côtés des relations presse, des relations libraires, des campagnes d’affichage ou des outils de webmarketing type newsletter.
Stéphanie Vecchione : J’ai vu dernièrement passer une publication sur la page Facebook d’une maison d’édition importante et très réputée. Il s’agissait d’annoncer la sélection de plusieurs auteurs à un prix littéraire. On y voyait le GIF d’un chien trottant tout content avec un journal dans la gueule. En termes d’image, ce type de publications est catastrophique.
La course aux likes est une erreur, et souvent elle est inefficace sur le moyen et long terme. Publier sur les réseaux sociaux, c’est constamment se poser cette question : « Est-ce que cela véhicule l’identité et les valeurs de ma maison ? » Cette erreur est la plus courante, mais aussi la plus dangereuse : celle de se lancer sur les réseaux sociaux parce qu’« il faut y être », mais sans stratégie préétablie.
Optimiser sa communication sur les réseaux sociaux
Une autre erreur très courante, et sûrement d’ailleurs la plus partagée par les acteurs du livre, c’est de privilégier l’informationnel sur les réseaux sociaux. Or un lecteur qui suit la page Facebook ou le compte Instagram d’une maison d’édition ne cherche pas à être informé de manière classique. Il veut avoir accès aux coulisses de la maison, il veut des histoires exclusives sur les auteurs, il veut être transporté dans l’univers d’un livre qu’il a apprécié et prolonger son expérience de lecture.
Donc, informer, oui, mais différemment : sur un ton plus léger, en insufflant de la proximité, et en sollicitant l’empathie et l’imaginaire.
Stéphanie Vecchione : Parler d’un yaourt ou d’un parfum, c’est un défi sur les réseaux sociaux. Il faut créer des histoires et un univers visuel qui n’existent par forcément au départ. Mais pour le monde du livre, c’est finalement assez simple. Toutes les histoires sont déjà là. Il suffit simplement de les raconter et de les illustrer. Et pour cela, les acteurs doivent travailler ensemble, car chacun possède une partie de l’histoire du livre : l’éditeur qui sélectionne et défend un manuscrit, l’auteur qui porte les personnages et l’histoire, le lecteur qui s’y immerge et en ressort transformé. Ce sont ces 3 voix qu’il faut faire entendre sur les réseaux sociaux.
Il n’y a pas besoin d’être très créatif pour déjouer la lassitude. Il suffit d’être authentique, transparent et de savoir se raconter. Les éditions Sarbacane ont choisi par exemple de privilégier l’humain en montrant l’équipe, les coulisses de la maison et de leurs évènements. Leurs publications créent une proximité non jouée avec leur communauté et cela se ressent. L’engagement sur leur page est particulièrement fort.
Stéphanie Vecchione : Si on attend des réseaux sociaux un impact direct sur les ventes en librairie, il est certain de que l’on sera déçu. Si on cherche à faire le buzz à tout prix, on se trompe d’objectif, car les personnes attirées par une publication virale ne sont pas celles qui vont nous suivre et nous soutenir sur le long terme. Enfin, si l’on a besoin de générer du trafic vers un site web, les réseaux sociaux peuvent se révéler plus qu’utiles, mais c’est passer à côté de leur vraie fonction.
Dain Binder, CC BY ND 2.0
En utilisant les réseaux sociaux pour fédérer une communauté de lecteurs, il est possible de cibler parmi eux les membres les plus influents et d’en faire des partenaires. On crée ainsi des ambassadeurs qui vont porter l’image et le message de la maison en sensibilisant de nouvelles communautés en affinités. Elle est ici la fonction et la vraie valeur ajoutée des réseaux sociaux : dans leur faculté à amplifier un message via le lien ténu qui se crée entre une maison d’édition et ses lecteurs.
Stéphanie Vecchione : Certaines grandes maisons d’édition ont compris que des partenariats originaux étaient le seul moyen de solliciter intelligemment les booktubeurs influents. Quelques secondes de visibilité dans un Bookhaul (présentation des livres reçus sur Youtube) ne change pas le destin d’un livre. Par contre, lorsqu’une booktubeuse influente couvre en direct la signature d’un auteur, l’éditeur s’assure de toucher profondément la communauté de celle-ci en donnant une excellente visibilité à l’évènement, au livre et à l’auteur. Si la communauté de la booktubeuse correspond au lectorat du livre, alors c’est une opération gagnant-gagnant.
Fédérer les communautés de lecteurs sur le web
Je vois aussi de plus en plus d’acteurs du livre se lancer sur Instagram. Les influenceurs du livre y sont très présents, très actifs et très accessibles. On y constate même, depuis deux ans environ, l’émergence de bookstagrammers : des influenceurs uniquement présents sur Instagram. De plus, l’algorithme d’Instagram est beaucoup plus souple que celui de Facebook : les publications y sont donc vraiment vues. Par contre, encore peu d’acteurs du livre ont une ligne éditoriale distinctive sur ce réseau. Et les stories ainsi que le live ne sont presque pas exploités.
Enfin, certains acteurs ont compris que c’est en donnant des rendez-vous à leur communauté qu’ils peuvent renforcer leurs liens avec elle. Mollat le fait particulièrement bien, notamment avec le fameux hashtag #deslibrairesavotreservice. Via des bookfacing très esthétiques, ils mettent en avant leur équipe de libraires, leur sens du service et les livres qu’ils ont en référence.
Stéphanie Vecchione : Aucun réseau social n’est véritablement inadapté à l’industrie du livre. LinkedIn peut par exemple se révéler très utile pour un éditeur qui publie du livre pratique ou universitaire avec une cible professionnelle définie. De manière générale, on observe d’ailleurs un affranchissement de la barrière entre BtoB et BtoC sur les réseaux sociaux.
Snapchat est à mon sens quasi inexploité, alors que c’est un outil très puissant et particulièrement pertinent pour un éditeur avec une cible 15-25 ans. L’émergence de snapchatteurs influents sur d’autres secteurs démontre d’ailleurs que ce média va compter de plus en plus au sein des stratégies de communication digitale des marques.
L’outil le plus complexe à aborder reste, selon moi, YouTube, car ce média valorise avant tout des personnes qui s’expriment avec leurs émotions, leur caractère, leur univers. Le côté amateur est essentiel et finalement je n’ai pas vu d’éditeurs en France ou ailleurs parvenir à faire décoller l’audience de leur chaîne. On s’oriente plutôt vers une option « porte-parole », c’est-à-dire que l’on confie l’animation de la chaîne à une booktubeuse influente. C’est par exemple la démarche de Glose, une plateforme de lecture sociale, qui a recruté Margaud liseuse pour animer sa chaîne.
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Par Nicolas Gary
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