Dans la nuit du 16 au 17 août, la romancière Asli Erdogan était arrêtée à son domicile stambouliote par le régime au pouvoir en Turquie. Connue pour ses combats en faveur des droits de l’Homme, la voici à son tour victime de la purge opérée dans son pays.
Le 22/03/2017 à 12:34 par La rédaction
Publié le :
22/03/2017 à 12:34
Preuve du rôle majeur des écrivains en démocratie et de l’utilité du PEN Club International, association sans couleur politique ni appartenance gouvernementale, qui s’est donné pour mission de défendre le droit à la liberté d’expression. PEN Club dont l’antenne belge francophone connaît depuis quelques mois un renouveau bienvenu au vu de l’actualité mondiale chahutée.
Asli Erdogan, dont quatre romans ont été traduits en français aux éditions Actes Sud1, fut elle-même représentante turque au sein du PEN Club International de 1998 à 2000. Elle n’est malheureusement pas la seule victime de l’état d’urgence instauré en Turquie suite au coup d’État manqué du 15 juillet. Des milliers de personnes, dont au moins 59 écrivains et journalistes, ont fait l’objet d’une arrestation, d’une procédure d’enquête, d’une suspension de leur activité professionnelle ou d’un licenciement. Et 29 maisons d’édition ont été contraintes de fermer par un décret publié le 27 juillet au Journal Officiel. Le centre francophone belge de PEN International a aussitôt relayé la campagne d’actions urgentes, menée par tous les centres nationaux de PEN International.
En mars déjà, PEN International s’insurgeait contre la politique de répression menée par le gouvernement présidé par Recep Tayyip Erdogan. Une lettre ouverte signée par plus de 100 écrivains, dont plusieurs lauréats du prix Nobel, était adressée au Premier ministre turc pour dénoncer le climat de peur, la censure et le musellement des voix critiques dans le pays. « Les autorités turques ont, ces dernières années, déployé des efforts phénoménaux pour faire taire la critique et les voix contestataires, comme en fait état le récent rapport de PEN sur l’état de la liberté d’expression en Turquie », lit-on dans cette lettre ouverte. Ces deux dernières années, la moitié des affaires concernant des violations de la liberté d’expression portées devant la Cour européenne des droits de l’Homme l’étaient contre la Turquie. La situation n’a fait que s’aggraver depuis.
Le 10 novembre 2015, Huguette de Broqueville décédait à Woluwe- Saint-Lambert. Engagée à travers ses écrits, notamment son roman Uraho ? Es-tu toujours vivant ? (Mols, 1997), elle l’était également comme présidente du PEN francophone de Belgique depuis des décennies. Au début de cette année, le conseil d’administration a sollicité Jean Jauniaux pour la remplacer et donner un élan nouveau à cette organisation implantée chez nous depuis... 1922. Jean Jauniaux est, notamment, rédacteur en chef de la revue Marginales, journaliste et écrivain : son livre, L’Année dernière à Saint-Idesbald, vient d’être réédité aux éditions Weyrich, avec une préface de Jacques De Decker.
C’est en 1921, dans l’immédiat après-guerre, qu’une femme, l’auteure Catherine Amy Dawson Scott, imagine la création du PEN Club à Londres. Elle est aussi à l’origine de l’acronyme inspiré du mot anglais « pen » (« stylo »), mais il faut donner à ce terme un sens qui va au-delà des initiales P.E.N. (Poets, Essayists, Novelists). Poètes, romanciers, scénaristes, dramaturges, essayistes, journalistes, blogueurs, intellectuels ou simplement femmes et hommes de bonne volonté sont les bienvenus. Les écrivains fondateurs se fixent pour objectif la mise en valeur des échanges entre écrivains et intellectuels des différents pays, convaincus que la paix se construira par la connaissance mutuelle des cultures, par l’ouverture aux différentes manières de lire, d’écrire et de dire le monde. États-Unis, France et... Belgique figurent parmi les premiers à constituer leur « club » ou « cercle » d’écrivains.
Jean Jauniaux a pu exhumer la charte créatrice du club belge : « J’ai profité du calme relatif des vacances de printemps pour explorer les archives de PEN Belgique déposées par le poète Carlos de Radzitzky aux Archives et musée de la Littérature. Plusieurs cartons, non catalogués ni archivés, contiennent des documents concernant PEN Belgique. Le plus ancien est l’acte fondateur du premier “Club des écrivains belges” daté du 1er octobre 1922. »
Suivront environ 150 centres nationaux et régionaux. Des personnalités de renom s’investissent dans cet idéal pacifiste comme Stefan Zweig, Paul Valéry et, chez nous, Charles Plisnier ou notre prix Nobel de littérature, Maurice Maeterlinck, qui fut aussi président international de l’association. La plupart des prix Nobel de littérature sont d’ailleurs membres du PEN Club. Précision importante, insiste Jean Jauniaux, « il ne faut être ni Belge ni écrivain pour devenir membre ami de PEN Belgique ». Parmi les « non-Belges », figurent plusieurs écrivains français, marocains, néerlandais, voire libanais comme Amin Maalouf devenu membre d’honneur du PEN Club Belgique. Citons également parmi les membres honoraires Pascal Bruckner, Jean-Louis Servan-Schreiber, Loustal ou Henri Vernes. Des 29 membres qu’il comptait lorsqu’il a été relancé le 15 janvier dernier, PEN Club Belgique est passé à près de 200 membres, dont une majorité d’écrivains.
Une collaboration particulière est nouée avec PEN Vlaanderen (http://penvlaanderen.be), par exemple en accueillant leur présidente Joke Van Leeuwen, ou le dramaturge, poète et romancier Tom Lanoye, mais aussi en proposant de concert, le 31 janvier, la candidature au prix Nobel de littérature 2016 du poète palestinien Ashraf Fayad, condamné en Arabie Saoudite à 800 coups de fouet et 8 ans de prison pour apostasie. Ce soutien s’est concrétisé par la publication avec PEN Vlaanderen de 16 poèmes3 de 50 mots symbolisant ces terribles 800 coups de fouet, remis au ministre belge des Affaires étrangères et à l’Ambassadeur d’Arabie Saoudite.
Le 3 mai 2016, journée internationale de la liberté de la presse, PEN International a sollicité ses relais nationaux pour interpeller les autorités judiciaires et politiques péruviennes et demander la libération de Rafael León Rodríguez (qui écrit sous le pseudonyme de Rafo León), condamné pour diffamation suite à un article d’opinion.
Et le 8 mars 2016, journée internationale des droits des femmes, la poète iranienne Mahvash Sabet, la journaliste iranienne Narges Mohammadi et la poète égyptienne Fatima Naoot ont été reconnues membres d’honneur de PEN Club Belgique, lors de la première séance littéraire du nouveau centre francophone belge au Palais des Académies à Bruxelles. Chaque année, la journée internationale des droits des femmes est l’occasion pour PEN International de dénoncer l’emprisonnement de femmes écrivains de par le monde. Dans le même esprit, lors du Congrès international organisé à Ourense, en Galice, du 26 septembre au 3 octobre, le Comité des femmes écrivains de PEN International a déposé une résolution concernant les enlèvements dont sont victimes les filles en âge scolaire.
Le PEN Club exprime aussi sa volonté d’insérer la littérature dans les programmes scolaires, de développer le goût de lire chez les jeunes... « Ainsi, au Togo, explique Jean Jauniaux, nous parrainons le déploiement de petites tours informatiques à 36 euros, développées à l’Université de Cambridge et déjà largement implantées en Inde. Mais pour mener pareille campagne, il nous faut davantage d’argent. »
« Outre le soutien aux écrivains menacés, emprisonnés ou empêchés de s’exprimer, PEN Club Belgique promeut les échanges autour de la littérature, de l’essai et de la poésie. Des rencontres avec des auteurs jalonnent l’année et au moins quatre grandes conférences sont organisées chaque année au Palais des Académies », précise le nouveau président. C’est ainsi que le 7 mars 2016, la première séance littéraire a accueilli Thierry Wolton à propos de son essai Une histoire mondiale du communisme (Grasset).
Suivirent d’autres entretiens dans divers lieux avec Eliane Reyes, Tom Lanoye, Philippe Paquet, auteur d’une biographie de Simon Leys, la journaliste Pascale Bourgaux, auteure de la BD Les Larmes du taliban (Aire Libre) et de Moi, Viyan, combattante contre Daech (Fayard), ainsi qu’une rencontre avec des écrivains belges dans le cadre de la journée internationale de la langue française à l’ambassade de Roumanie, etc.
Ce 3 septembre 2016, Jean Jauniaux a souligné l’importance de la défense de la traduction et des traducteurs littéraires lors de la séance de clôture du Collège européen de traduction littéraire à Seneffe. En effet, dans le cadre du 81e congrès de PEN International, qui a eu lieu à Québec au cours du mois d’octobre 2015, l’assemblée des délégués a adopté la « Déclaration de Québec sur la traduction littéraire, les traductrices et les traducteurs », issue d’une initiative de PEN Québec, puis endossée par le Comité de la traduction et des droits linguistiques de PEN International. Récemment encore, PEN International a formulé une « Déclaration relative à la liberté numérique ». On sait combien sont victimes de censure et de menaces celles et ceux qui utilisent les nouvelles techniques d’information et de communication, réseaux sociaux et blogs entre autres, pour s’exprimer, écrire, échanger... C’est pour protéger ces derniers que PEN dénonce les pressions dont ils sont victimes dans les pays où le pouvoir tente de les bâillonner.
L’actualité suffit à montrer toute la pertinence du combat mené par PEN Club Belgique. Les rapports annuels d’Amnesty International et d’Human Rights Watch rappellent à satiété que la démocratie est loin d’être acquise, qu’elle se conquiert chaque jour. C’est pourquoi le PEN Club Belgique est appelé à se développer encore : « En mai dernier, explique Jean Jauniaux, le secrétariat de PEN international m’a mandaté pour le représenter lors des Quatrièmes rencontres ÉuroMaghrébines d’écrivains qui ont eu lieu à Tunis, devenir son représentant auprès de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et intervenir dans les enceintes européennes afin d’y développer la présence de PEN. »
MICHEL TORREKENS
Cet article a été rédigé avant la libération de Asli Erdogan, le 29 décembre 2016. Toutefois, à l’heure où nous mettons en page, la romancière turque n’est toujours pas disculpée et reste sous le coup d’un contrôle judiciaire avec interdiction de sortie du territoire. (NDLR)
Par La rédaction
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