Elle ne s’est certainement pas érigée en un jour, et il fallut non seulement la folie d’un homme, mais surtout le travail de milliers d’autres. La Tour Eiffel est au cœur du livre de Fabien Sabatès, J’ai construit la tour de fer, aux éditions Douin. On pourra découvrir le livre sur le stand de l’île de France à l’occasion du salon du livre de Paris. Et ActuaLitté vous propose d’en découvrir le journal de bord...
Le 22/03/2017 à 11:08 par La rédaction
Publié le :
22/03/2017 à 11:08
La tour Eiffel est achevée officiellement, c’est le plus haut monument du monde. M. Mascar est heureux d’annoncer à l’Académie que la tour Eiffel a atteint à la date fixée la hauteur de 300 mètres. Toutes les pièces qui la constituent se sont ajustées conformément aux calculs de l’ingénieur et le succès de cette construction gigantesque est un véritable événement dans l’histoire des sciences industrielles.
L’achèvement de la tour Eiffel
Ainsi que je l’ai annoncé samedi, la tour Eiffel a atteint hier, 31 mars, la hauteur de 300 mètres. Une cérémonie assez intéressante avait été organisée à cette occasion. Il ne s’agissait pas, d’ailleurs, de l’inauguration proprement dite de la tour Eiffel, mais bien de célébrer la coutume des maçons et des charpentiers, qui, comme on sait, décorent d’un drapeau le faîte des édifices qu’ils ont achevés.
Cette fête était offerte par M. Eiffel aux monteurs, riveurs, forgerons, peintres et autres ouvriers ayant collaboré d’une façon quelconque à l’édification de la tour de 300 mètres. Les 200 hommes employés à ce service avaient été réunis sur les chantiers. Aussi les escaliers de la tour ont-ils présenté durant toute l’après-midi une animation extraordinaire.
C’est vers une heure et demie que M. Eiffel, un peu souffrant, a pris la tête du défilé. Auprès de lui se trouvaient M. Georges Berger Directeur général de l’exploitation de l’Exposition universelle ; Jean Compagnon, chef du chantier de la tour, MM. Contamin, Pierron, Chautemps, président du conseil municipal, MM. Jacques, président du conseil général, Dupuich, Inspecteur principal, Thurneyssen, secrétaire général, Gustave Ollendor, directeur au ministère du Commerce et de l’Industrie, Chautemps, Guichard et Dubois, conseillers municipaux, et de quelques hardis ascensionnistes appartenant à la presse, à l’industrie et aux arts.
Une grande partie des membres du conseil municipal prenait également part à l’ascension. Du champagne et des cigares attendaient les invités sur la troisième plate-forme, à 273 mètres du sol. Il était deux heures et trente-cinq minutes lorsqu’on y est parvenu. Huit cents personnes pourraient aisément y trouver place. Seuls les personnages officiels pour la plupart appartenant au haut personnel de l’Exposition et au conseil municipal sont admis à poursuivre leur ascension jusque dans le lanterneau qui surmonte le campanile.
Cette quinzaine d’intrépides seulement eurent le courage de suivre M. Eiffel lorsqu’il a quitté la dernière plate-forme pour gagner la lanterne et, de là, l’étroit refuge qui la domine et qui se trouve ménagé autour du paratonnerre, provisoirement figuré par un énorme mât.
C’est que, pour arriver à ce sommet extrême, le chemin n’est pas des plus aisés. Plus d’escaliers, mais des tubes de fonte creux où l’homme le plus mince a quelque peine à se mouvoir, tout en gravissant les derniers mètres au moyen d’échelons de fer d’une raideur inquiétante.
Finalement, M. Eiffel était accompagné d’une dizaine de vaillants, lorsque, à deux heures trente-cinq, il a tiré la corde servant à hisser l’énorme étendard tricolore mesurant 7,50 m de long sur 4,50 m de large qui s’est envolé gracieusement dans l’air, tandis qu’aux applaudissements de l’assistance émue et enthousiasmée le canon tonnait aux étages inférieurs. C’était vraiment un spectacle imposant et l’on a vu alors se produire un fait curieux qui mérite d’être rapporté. Aux cris de « Vive Eiffel ! vive la France ! » qui sortaient de toutes les poitrines, toutes les personnes groupées autour de l’éminent ingénieur ont échangé des poignées de mains cordiales, sous l’empire d’un élan spontané de commune admiration et de grandes sensations partagées.
Lors de cette cérémonie, je l’ai dit, une détonation retentit, suivie à courts intervalles de vingt autres qui se prolongent longtemps. À cette salve de vingt et une boîtes d’artifices (des canons Ruggieri, placés sur la troisième plate-forme) la foule répondit en poussant des acclamations enthousiastes. M. Contamin ingénieur en chef des constructions métalliques adresse à M. Eiffel quelques paroles élogieuses.
« Le drapeau qui flotte au sommet de la tour est, dit-il, le drapeau de 89, celui avec lequel nos ancêtres ont remporté de grandes victoires en combattant pour le progrès et la science. Pour ce drapeau, il fallait un grand piédestal, avec de grandes dimensions. C’est M. Eiffel qui l’a construit, avec l’aide de dévoués collaborateurs ; nous sommes heureux de leur rendre hommage.
À cette dernière petite plate-forme on a bu du champagne. M. Berger a porté un toast à M. Eiffel, aux ouvriers de la tour et au conseil municipal et, portant ce premier toast, a prononcé quelques paroles éloquentes, très vivement applaudies : “Je bois, a-t-il dit à M. Eiffel, aux ouvriers et au conseil municipal de Paris. Vive la République !” »
Des cris de “Vive la France ! Vive la République !” lui ont répondu. Cette cérémonie faite, on procéda à la descente qui s’est opérée sans encombre.
Sur la troisième plate-forme M. Berger porte un toast à la santé de l’éminent ingénieur. Mais voici qu’on vient d’avertir par téléphone M. Salles, le gendre et le collaborateur de M. Eiffel, que M. Tirard et M. Alphand sont au pied de la tour, dans la pile n° 4 où un lunch auquel doivent prendre part les ouvriers a été préparé. Alors la descente commença, féconde en péripéties, qui dura environ quarante minutes et qui mit en sueur tous les visiteurs.
En effet les escaliers supérieurs de la tour sont en colimaçon et pour une seule personne de front. Il est des visiteurs qui, bien qu’arrivés tard, tiennent à faire une ascension complète de la tour. De là des rencontres qui obligent les invités à se livrer à une véritable gymnastique pour laisser passer les nouveaux arrivants. Dans le bas at — tendaient MM. Tirard et Alphand ainsi que tous les ouvriers ayant participé à la construction de la tour, au nombre d’environ 200.
Au pied de la tour, des tables et un buffet ont été dressés. Avant le lunch, vers 3 heures 1/2, M. Eiffel monta sur deux chaises et lut un dis — cours qui fut vivement applaudi. Il s’adresse aux ouvriers, qui se groupent autour de lui :
« Je viens d’éprouver, mes chers amis, leur dit-il, une grande satisfaction, celle d’avoir fait flotter notre drapeau national sur le plus haut édifice que l’homme ait jamais construit.
Nous voici au bout de notre tâche, mais, pour l’atteindre, que d’efforts ont été faits par nous tous, soit comme intelligence, soit comme travail, que de constance il nous a fallu, à moi et à mes collaborateurs immédiats, pour préparer et coordonner le travail, à vous pour l’exécuter au milieu des intempéries, par le froid et le vent que vous avez si souvent bravés sur le haut som — met. Mais nous sentions qu’engagés dans cette voie il n’y avait pas à re — culer et qu’ayant promis de réaliser une œuvre souvent tentée ou rêvée, mais jamais encore exécutée par aucun peuple, nous devions tenir notre parole, sous peine de compromettre une partie de l’honneur national.
Cette parole, la voilà tenue, grâce au concours de dévouements auquel je dois rendre un public hommage, et je suis sûr que vous vous y associerez. ‘Je citerai tout particulièrement mes fidèles collaborateurs, MM. Nouguier et Kœchlin, votre chef, M. Compagnon, dont je n’ai plus à faire l’éloge, et son second, M. Milon, dont l’énergie et la prudente habileté nous ont rendu tant de services dans les montages difficiles. Je vous parlerai aussi de notre personnel des ateliers de Levallois, de nos nombreux dessinateurs, dirigés par leur excellent chef, M. Phrar, de vos camarades, à la tête des— quels se trouvent MM. Letourneau, Pentecôte et Gaznier. C’est grâce à leur soin et à leur habileté que les pièces arrivaient assez bien préparées pour que leur montage pût toujours s’effectuer dans des conditions relativement faciles.
Je n’oublierai pas non plus M. Sauvestre, notre architecte, qui nous a apporté son excellent concours pour assurer la beauté de notre œuvre.
Je dis notre œuvre ; en effet, c’est bien une œuvre qui nous est commune à tous et dont nous pouvons être ers d’être les collaborateurs à des degrés divers. Vous y avez tous mis ce quelque chose qui ne se paie pas, ne s’achète pas, ne se vend pas, je veux parler du dévouement à l’œuvre elle-même, sans lequel aucune grande chose n’est possible. C’est ce dont je vous remercie aujourd’hui et dont je conserverai toujours le souvenir. Vous le garderez aussi, j’en suis sûr, car vous avez la fierté de votre travail et vous voyez les témoignages de sympathies qui vous ont été donnés par la présence des éminentes personnalités qui nous entourent, parmi lesquelles, M. le président du Conseil des ministres, M. le président du conseil municipal, MM. les directeurs généraux de l’Exposition, et qui ont droit à tous nos remerciements pour la nouvelle preuve d’intérêt qu’ils nous donnent aujourd’hui.
Tout le monde aussi gardera ce souvenir, car je me propose de réunir sur une plaque commémorative, posée sur l’un des soubassements, le nom de ceux, des contremaîtres et des ouvriers, qui ont, avec le plus de constance et d’énergie, travaillé à l’édification de l’œuvre. Je veux qu’ils puissent montrer avec orgueil leurs noms inscrits sur cet édifice et qu’ils se rappellent les grands efforts que nous avons faits en commun pour montrer à tous que, soit par ses ingénieurs, soit par ses ouvriers, la France tient encore une grande place dans le monde et que nous sommes toujours capables de réussir là où les autres ont échoué, et cela au grand honneur de la France et de la République. »
Retrouver toute l'histoire de l'inauguration de la Tour Eiffel.
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