Sorti à la rentrée, La Malediction d'Old Haven s'est fait vivement remarqué par les critiques qui n'ont pas tari d'éloges depuis. Le Monde des Livres la classé dans les meilleurs livres de cette rentrée littéraire jeunesse. Fabrice Colin, son auteur, est certainement l'un des auteurs les plus talentueux de sa génération. Si vous pensez que L.H.S.F en fait un peu trop, attendez de le lire ! Rencontre. Interview du 07/11/07
Les Histoires Sans Fin : Bonjour Fabrice, pour ceux qui ne te connaissent pas encore, peux-tu te présenter ?
Fabrice Colin : J'ai 34 ans, j'habite à Paris. Pour l'état civil : marié, deux enfants. Je suis écrivain, je suis publié depuis 1997, ça fait donc 10 ans cette année, et j'écris pour les adultes et pour la jeunesse. J'ai commencé un peu plus tard pour la jeunesse, en 2001. Depuis peu, je fais aussi du scénario de B.D. et là je suis en train d'écrire quelque chose pour la télé. C'est vraiment l'écriture au sens large.
L.H.S.F. :Quand et pourquoi as-tu décidé que tu écrirais, avant tout, de la littérature fantastique ?
F.C. : En fait c'est quelque chose que j'ai beaucoup lu à partir de 12-13 ans, j'ai été amené par les « livres dont vous êtes le héros » et après je suis passé aux jeux de rôles. J'ai toujours baigné dans un univers de Fantasy, de science-fiction, de ce que l'on appelle au sens large « littérature de l'imaginaire ». J'en ai lu jusqu'à l'âge de 20 ans à peu près et je suis passé à autre chose, pas par mépris ou autres choses, mais j'ai découvert plein d'autres « trucs ». Quand je me suis retrouvé en position d'écrire, j'ai rencontré des gens par le jeu de rôle qui publiaient de la littérature fantastique, qui m'ont demandé si je ne voulais pas essayer. Je me suis dit que s'il y avait un domaine dans lequel je pouvais essayer de dire quelque chose c'était celui-là… après cela ne m'a pas quitté.
L.H.S.F. : Dans ta bibliographie, il y a quelques livres plus conventionnels non ?
F.C. : Pour les adultes, il y en a environ quatre ou cinq mais c'est un peu compliqué. Ce sont des livres qui sont classés parfois en littérature générale, parfois en SF, ça dépend des libraires, ça dépend des éditeurs, moi je réfute un peu les étiquettes. Je pense que c'est avant tout des histoires, et les lecteurs choisissent s'ils veulent que ce soit de la science-fiction ou du fantastique. C'est vrai qu'il y a pas mal de bouquins à la marge, mais en revanche ce que j'écris pour la jeunesse, il n'y a pas de doute, on est vraiment dans la littérature de l'imaginaire.
L.H.S.F. : On a souvent l'impression, quand on regarde tes romans, comme La Malédiction d'Old Haven dont nous allons parler après, ou bien même l'un de tes derniers, Memory Park, que tu t'en sers pour faire passer des idées fortes sur notre société.
F.C. : Si je le fais, c'est un peu à mon corps défendant. Je ne le fais pas volontairement. Après, en ce qui concerne la SF, dans la collection où j'ai le plus écrit, Mango Autremonde, c'est une collection où la science-fiction est censée parler du présent en parlant de l'avenir. On pourrait faire du « space-opera », mais le directeur de collection l'a conçue de façon à ce que l'on puisse aborder des problématiques…
L.H.S.F. : Dans Old Haven, la religion est très présente, ou plutôt la façon dont les religieux font du « bourrage de crâne »…
F.C. : Dans Old Haven c'est la question du paganisme et des religions officielles. Est-ce qu'il y a une vérité, est-ce que l'on peut l'imposer etc.
Je ne peux pas me contenter de faire juste une littérature avec des personnages à qui il arrive des choses et qui vont de péripétie en péripétie sans en tirer le moindre enseignement. À partir du moment où il y a une construction un peu ample, c'est un gros livre, il y a pas mal de personnages, il y a un monde donc une société, des factions, etc. La question de la religion, elle se pose de toute façon.
Ce sujet-là a pris une importance qui n'était pas prévue au départ. Je pense que c'est aussi une façon d'aborder des sujets qui me sont personnels, mais ce n'est pas le but de départ. Je ne me dis pas : « Je vais écrire sur la religion ! », mais ça se trouve comme ça.
L.H.S.F. : Tu as 35 ans, tu as déjà énormément écrit, tu as un public qui te suit depuis longtemps… Est-ce que les auteurs de fantastique / science-fiction français sont, d'après toi, condamnés à n'être lu que d'un public « d'aficionados » et pas comme un Stephen King ou un Philipe K. Dick, qui sont de vrais succès auprès du public anglo-saxon ?
F.C. : C'est une question intéressante. J'ai l'impression, et ça se confirme, que dans la littérature de l'imaginaire pour adulte, il y a un palier – c'est-à-dire un niveau de vente – quasiment maximal quand on est français, qui est atteint par des gens comme Pierre Bordage ou Ayerdhal qui vont vendre 40 000 exemplaires mais pas beaucoup plus. Pour l'instant, ce n'est jamais arrivé. Ceux qui sont arrivés à vendre plus que ça sont des gens qui ne se sont pas réclamés de la science-fiction justement, même s'ils en écrivent. Par exemple des gens comme Bernard Werber ou Dantec, ils sont allés vers la littérature générale ou le polar. Peut-être que si nous écrivions chez des éditeurs comme Albin Michel en adulte ou XO, nous arriverions à toucher plus de monde. En jeunesse, il y a des auteurs français qui ont vraiment un énorme succès, des gens comme Pierre Bottero ou Erik L'Homme n'ont rien a envié a leurs homologues anglo-saxons, sauf bien sur Harry Potter qui est hors-concours. Le public « jeunesse » ne redoute pas les étiquettes.
L.H.S.F. : Comment expliques-tu qu'il y ait encore cette image de l'auteur de fantasy / science- fiction qui n'est pas reconnu comme un « véritable » auteur ?
F.C. : Ça va même plus loin que ça, on a souvent dit que ces auteurs ne savaient pas écrire, que c'était du roman de gare… c'était la tradition des feuilletons écrits à la va-vite . C'est vrai que ça a porté pas mal ombrage à l'image de la SF Les Français pâtissent encore de cette image-là. En jeunesse, les livres de SF sont mélangés avec le reste, en adulte, ils sont au rayon SF. Il y a plein de gens qui n'y vont jamais et qui n'iront jamais, ça coupe aussi un peu du lectorat.
L.H.S.F. : Nous en parlions en début d'interview, au début du mois de septembre, pour la rentrée, tu as sorti chez Albin Michel dans la collection Wiz, La Malédiction d'Old Haven. Comment se lance-t-on dans un tel pavé de 600 pages et quel a été le déclencheur de cette histoire de sorcières sur fond d'Histoire avec un grand H et de mythologie d'Amérique du Nord ?
F.C. : L'histoire du livre est un peu longue. Elle remonte à plusieurs années. J'ai vu l'apparition de la collection d'Albin Michel – Wiz – avec des gros bouquins comme les « Clive Barker », le « Gaiman » etc. Je me suis dit que c'était une maison qui faisait des choses audacieuses, ils les font bien, il y a une grosse machine derrière mais ça n'a pas l'air d'empêcher la liberté éditoriale. Je voulais publier dans cette collection, je les ai appelés. Au bout d'un certain temps, ils ont marché. Je leur ai proposé 2-3 synopsis…
Ensuite, comment est venue l'histoire de la sorcière ? Je ne sais plus mais je voulais faire quelque chose d'un peu baroque, en Amérique et au bord de la mer. J'ai mis trois ans à en venir à bout, parce que je me suis arrêté plusieurs fois. C'est un livre qui a été difficile à écrire. C'est certainement le livre qui m'a pris le plus de temps…
L.H.S.F. : Est-ce que le fait de parler de sorcières, c'est un peu par rapport à Harry Potter, pour dire « les sorcières » c'est surtout des femmes en « communion » avec la nature ?
F.C. : Je n'ai pas pensé à Harry Potter, je me suis simplement dit qu'une sorcière ça pouvait être un super beau personnage féminin. Ce sont les premières femmes « libres » de la société occidentale, quand on double ça du problème d'une personne qui est dépositaire de pouvoirs qu'elle n'a pas demandés et d'un héritage qu'elle est obligée d'assumer, je me suis dit que ça pourrait être intéressant. De plus ça faisait longtemps que je voulais travailler avec un personnage féminin que l'on suit sur la longueur.
L.H.S.F. : Justement ton personnage de Mary Wickford représente tout ce que l'on peut aimer chez une héroïne : courageuse, dans le doute, mais aussi souvent sûre d'elle, amoureuse…
Jusqu'à preuve du contraire, tu es un homme, comment rentre-t-on dans la tête d'une jeune femme de 17 ans au XVIIIe siècle, qui apprend du jour au lendemain qu'elle est la descendante d'une famille de sorcières ?
F.C. : C'est vrai que la volonté de se concentrer sur un seul personnage et de faire un roman long, ce sont deux choses qui se sont retrouvées liées. Je me suis dit qu'il allait me falloir du temps pour me familiariser avec le personnage, pour entrer dans sa tête et ça ne peut marcher que si je l'accompagne longtemps. Et le fait d'avoir mis du temps à écrire ce roman, c'est un peu comme si je me rapprochais du personnage en souffrant avec lui.
C'est difficile de savoir si pour une héroïne il y a une quelconque ressemblance psychologique, mais ce n'est pas très différent d'un personnage masculin, ce sont d'autres difficultés.
J'ai fait lire des extraits à des filles et c'est drôle, elles réagissent toutes différemment. Elles vont à la fois s'attacher au personnage, mais elles vont souvent ne rien lui « passer ». Elles sont très critiques face au personnage mais dans le bon sens du terme.
L.H.S.F. : Pour revenir sur ta bibliographie, tu arrives à sortir entre 3 et 4 romans par an, depuis 10 ans. Comment fais-tu pour garder le rythme ?
F.C. : Il y a des romans qui sont beaucoup plus faciles à écrire que d'autres. Moi je suis assez organisé. Je pense que « le truc » c'est la régularité. Je suis un écrivain assez sporadique, j'ai des périodes un peu compulsives pendant un ou deux mois, où je vais sortir beaucoup de pages en très peu de temps. Et je peux avoir aussi de grandes périodes de latence ou je vais emmagasiner des infos ou tout simplement de l'inspiration. Je peux corriger quelque chose tout en cherchant des idées pour une autre. J'ai un besoin d'explorer plusieurs facettes, plusieurs ambiances, plusieurs univers, plusieurs personnages, plusieurs types d'écritures aussi. Ça peut aussi poser des problèmes, l'écriture jeunesse n'est pas la même que celle pour les adultes, mais c'est très stimulant.
L.H.S.F. : Il y a vraiment une grande différence entre la littérature jeunesse et la littérature adulte ?
F.C. : Il y a des choses que je ne m'autorise pas en jeunesse. Depuis quelque temps, quand j'écris pour les adultes, je fais des romans avec des logiques internes complexes, avec des actions par exemple qui se passent, mais on se demande si c'est dans la tête du personnage ou réellement. C'est peut-être quelque chose d'un peu dure en littérature jeunesse, il ne faut pas perdre les lecteurs. Dans un sens, quand on voit des adultes lire les derniers Harry Potter, on voit que la frontière entre jeunesse et adulte est poreuse.
L.H.S.F. : 2008, est-ce que pour fêter tes 11 ans d'écriture tu prends un peu de repos ou tu continues de plus belle ?
F.C. : Je prends un peu de repos, entre guillemets, dans le sens où là j'écris pour la télé et également des scénarios de BD, des choses qui devraient sortir courant 2008. J'ai aussi un thriller en cours pour Albin Michel, toujours dans la collection Wiz et encore avec un personnage féminin…
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