Au Québec, une rumeur court : les romans historiques ne sont pas populaires auprès des adolescents. Les Histoires sans fin a mené une enquête pour tenter de déceler le vrai du faux. Zoom sur la province dont la devise est, pourtant, « Je me souviens ».
Le 01/09/2014 à 10:00 par Olivia Wu
Publié le :
01/09/2014 à 10:00
« Tout est difficile actuellement », lance d'emblée Angèle Delaunois, éditrice des Éditions de l'Isatis. « En fait, le lectorat diminue dans tous les genres », ajoute-t-elle. Néanmoins, il reste des genres qui tiennent encore le haut du pavé chez les jeunes. Pensons à la science-fiction, le fantastique, la fantasy, la chick lit qui ont donné des séries à succès, telles Hunger Games, le Journal d'Aurélie Laflamme ou récemment, La vie compliquée de Léa Olivier. Mais, c'est un fait : le roman historique se vend moins, s'entendent tous les interlocuteurs interrogés.
Parent pauvre
Les sagas historiques destinées à leurs parents et grands-parents sont vraiment mieux loties. Leurs ventes représenteraient plus de 25% du chiffre d'affaires en littérature, selon un article publié dans La Presse (1er février 2014).
Les chiffres sont éloquents : chez les adultes, le tirage initial pour un écrivain historique est de 5 000 exemplaires et les auteurs vedettes québécois embrassent le million d'exemplaires. Parmi eux se trouvent Michel David, Marie Laberge ou Louise Tremblay-D'Essiambre. Cette dernière a « vendu plus de 2,25 millions d'exemplaires, avec ses 34 romans en très grande majorité historiques ».
Des chiffres vertigineux comparés au tirage moyen de 1 500 exemplaires d'un titre historique adressé aux ados. Dans la Belle Province, un livre est considéré best seller après avoir été vendu à 3 000 exemplaires. Selon Mme Delaunois, « aujourd'hui, la réussite d'un livre passe par le vote des jeunes qui ont découvert les auteurs grâce à une tournée dans les écoles et la force des réseaux sociaux ». Bref, il doit être connu.
Gagner à être connu
Et c'est là que le bât blesse : le manque de visibilité… pour le moment. Sentiment partagé par Sylvie Catherine de Vailly, auteure de la série Le comte de Saint-Germain : « Je ne dirais pas que les romans historiques pour les jeunes ne fonctionnent pas, c'est un peu extrême. Si c'était le cas, plus aucun auteur n'en écrirait. Je pense que ce genre a sa place et qu'il est très apprécié par de nombreux lecteurs, même s'il n'est pas dans la catégorie des livres les plus demandés. J'aime l'idée que demain, le roman historique pourrait devenir le type de roman à lire, à tout prix. »
Lancée il y a trois ans, la collection Bonjour l'histoire et ses 13 titres (de l'Isatis) offre des biographies romancées, accompagnées respectivement d'un dossier explicatif fouillé. Mais ils souffrent d'être méconnus. En revanche, les éditions Hurtubise tirent mieux leur épingle du jeu. La maison bénéficie de sa réputation à éditer des sagas historiques à succès tant pour les adultes que pour les jeunes. « Notre collection Atout histoire connaît une belle réception dans les écoles secondaires, et cela, depuis de nombreuses années », dit Sandrine Lazure, éditrice de la collection.
En revanche, elle constate que « les sagas qui s'étendent sur plusieurs tomes rejoignent plus difficilement le public adolescent. C'est le cas aussi pour les séries qui mixent différents genres, comme l'historique et le fantastique. Et c'est particulièrement ardu lorsque chaque tome comprend plusieurs centaines de pages... »
Réel besoin
Toutefois, les éditeurs continuent de garder le cap, car les librairies reçoivent de nombreuses demandes des bibliothécaires scolaires et des enseignants. Tania Massault, spécialisée en littérature jeunesse à la librairie Pantoute, confirme aussi cet intérêt : « Ce qui fonctionne bien sont les biographies, notamment celles de la collection Cher journal chez Scholastic, destinée aux lecteurs de 9 ans et plus ».
Ils plongent dans le journal intime d'une enfant qui raconte les événements dramatiques dans lesquels la grande Histoire l'a jeté. Angélique Richard fait le récit de la déportation de sa famille acadienne en 1755; Geneviève Aubuchon, orpheline amérindienne, est témoin de la bataille entre les Britanniques et les Français sur les Plaines d'Abraham en 1759. « Les lecteurs aiment s'identifier aux personnages, vivre leurs émotions », souligne Mme Delaunois.
Mme Lazure renchérit : « les professionnels de l'enseignement aiment faire connaître des pans de l'histoire du Québec par le biais du roman. Les romans de la collection Atout répondent à ce besoin. Nous y publions des textes assez courts, pour les 10 ou 12 ans et plus, écrits par des auteurs d'expérience (Maryse Rouy, Cécile Gagnon, Hervé Gagnon, Mireille Villeneuve, etc.) qui évoquent le plus souvent un événement de l'histoire du Québec, ou d'ailleurs ».
Et les thèmes sont diversifiés : les faits divers, la vie des femmes, la guerre, l'esclavage, l'évolution des arts, le récit d'un héros national, légendes, etc. Le roman historique est un vivier abondant. Mais ce n'est pas tout. La qualité de l'écriture, une excellente recherche et une bonne histoire à la clé sont les conditions sine qua non pour séduire les lecteurs. Et encore, ce n'est pas gagné d'avance.
Donner le goût
Corinne de Vailly, «serial auteure» de nombreux ouvrages, dont la série à succès Mélusine et Philémon, peut en témoigner : « C'est très compliqué de faire aimer des romans purement historiques aux adolescents. Dès qu'ils entendent le mot «histoire», ça semble les faire fuir. Est-ce parce qu'ils l'associent à leur cours d'histoire à l'école? Au Québec, à mon avis, l'histoire n'est pas valorisée. »
Les réactions sont souvent négatives lors des rencontres d'élèves. « C'est plate !* »; « Ce sont des affaires du passé. Ça va rien m'apporter dans la vie de savoir ça ! », disent-ils. Certains roulent même des yeux ou haussent les épaules lorsqu'on leur rétorque: «Savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va». Pas facile…
Pour les intéresser, elle utilise une technique acquise avec les animations données en classe : « C'est de ne plus employer le mot «histoire ou historique»… Je parle plutôt d'un livre basé sur «des événements qui se sont vraiment déroulés, avec des personnages qui ont vraiment existé». Lorsqu'on parle d'histoires vraies, là, ça fonctionne mieux ».
L'auteure a la réputation de parler de ses livres avec dynamisme et de capter l'attention. « Un jour, un jeune m'a lancé, après avoir assisté à ma conférence sur Mélusine et le Moyen Âge, «Wow, vous devriez être prof d'histoire, madame! Quand c'est expliqué comme ça, avec les jeux, la présentation visuelle, et votre passion, ça devient intéressant. Ça donne le goût de lire vos livres !», raconte-t-elle.
Mais attention : « Chaque auteur doit se «vendre» lui-même… Il faut réussir à interpeller les lecteurs un à un, et c'est à recommencer pour chaque livre ».
Belles surprises
Preuve que la persévérance porte ses fruits, les aventures de Mélusine et Philémon, qui mêlent histoire, fantasy et merveilleux, vont être adaptées au cinéma à Hollywood. Et en juin dernier, le tome 2 de cette série, L'ordre de l'Épée, a fini 5e ex aequo dans la catégorie Choix des jeunes 12-17 ans de Communication jeunesse, organisation vouée à la promotion de la lecture d'œuvres québécoises et canadiennes-françaises pour la jeunesse.
Même si les livres historiques se vendent moins, contre toute attente, certains se fraient un chemin jusqu'au cœur des adolescents et créent la surprise. Daniel Mativat a séduit avec Ni vous sans moi, ni moi sans vous, en interprétant la légende Tristan et Iseult. Sa version a été réimprimée à des milliers d'exemplaires en 15 ans.
D'autres récits sont adoubés par le vote des jeunes, tel Il pleuvait des oiseaux (XYZ), qui a gagné le prix littéraire des collégiens en 2012. Et grâce aux aventures de l'explorateur français Radisson, L'Enfer ne brûle pas (Septentrion), Martin Fournier a été couronné lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général 2011, dans la catégorie Littérature jeunesse. C'était la première incursion en jeunesse pour cet historien !
Garder la foi
Ainsi, les éditeurs, auteurs et libraires continuent bon an mal an à développer ce créneau encore nouveau. Chez Hurtubise, l'optimisme est au rendez-vous : « L'intérêt des nouvelles générations pour l'histoire ne peut que se renouveler au fil du temps. Et c'est le cas, lorsque ces jeunes sont bien accompagnés (par un enseignant curieux, une bibliothécaire passionnée, un parent motivé). Ces livres sont indémodables et restent souvent disponibles pendant de nombreuses années. Plusieurs nouveaux romans historiques pour adolescents verront donc le jour chez nous dans les années à venir ! », affirme Mme Lazure.
Quant à Angèle Delaunois, elle est convaincue par la nécessité de conjuguer l'utilisation des nouvelles technologies et d'augmenter la promotion en faisant de la coédition, notamment avec l'édition scolaire. Cela permettrait de donner au roman historique ses lettres de noblesse dans cette province qui jadis s'appelait la Nouvelle-France. Elle rappelle à juste titre : « une société qui n'a pas d'histoire n'a pas de mémoire ».
- Qu'est-ce qui fait un bon roman historique ?
L'histoire bien sûr, mais surtout la façon de la raconter. Mais ça c'est vrai de tous les genres. Écrire un roman historique doit forcément être présenté au lecteur de façon dynamique, il faut rendre vivante une période passée. Je n'écris pas un manuel d'Histoire, mais une aventure qui racontera une période précise que je vais romancer. C'est dans la manière de la raconter, de concevoir le tout que le passé deviendra dès lors un personnage important du récit. L'action, le rythme et le sujet forment la base d'un bon roman historique. Sylvie-Catherine De Vailly
Titres suggérés :
*ennuyant, inintéressant
Par Olivia Wu
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