Dans le cadre du festival Saint-Malo Étonnants Voyageurs qui se déroule jusqu’à lundi, sept prix littéraires ont été remis. Dans ce palmarès exceptionnel figurent notamment Maryam Madjidi, Anna Moï, Abdelaziz Baraka Sakin, Ian McGuire, Jean-Louis Gouraud, Jean-Pierre Perrin, Zéno Bianu, Romain Lucazeau…
Le 05/06/2017 à 00:20 par Victor De Sepausy
Publié le :
05/06/2017 à 00:20
Dans le cadre du festival Saint-Malo Étonnants Voyageurs, sept prix littéraires ont été remis. Un palmarès exceptionnel pour une édition 2017 portée par la thématique « Littérature et démocratie ».
Le Prix Ouest France Etonnants Voyageurs est décerné par un jury de jeunes lecteurs âgés de 15 à 20 ans, sélectionné par le comité de parrainage sur lettre de motivation. Réunis à Saint-Malo ce dimanche 4 juin, les jeunes jurés ont décidé de récompenser Maryam Madjidi pour son roman Marx et la poupée (Le nouvel Attila)
Les 10 romans en lice et les jeunes jurés avaient été sélectionnés par les membres du comité de parrainage composé de Stéphane Vernay pour Ouest France, Michel Le Bris et Mélani Le Bris pour le festival, Jean Lallouet de Salaün Holidays et les écrivains Sami Tchak, Sorj Chalandon, Alain Dugrand, Carole Martinez, Yahia Belaskri, Lola Lafon, Sylvain Coher, Jean Rouaud, Jean-Marie Blas de Roblès ainsi qu’Hervé Bertho. Il est doté par Salaün Holidays de 10.000 euros offerts et d’une campagne de promotion offerte par Ouest-France.
Nouvelle auteure de la littérature d’exil, Maryam Madjidi, née à Téhéran en 1980, nous livre un premier roman autobiographique, émouvant et plein de tendresse. Marx et la poupée est l’histoire de Maryam, une enfant qui depuis le ventre de sa mère, vit la révolution. Ses parents, des communistes engagés, s’opposent à la dictature. C’est aussi l’histoire d’un exil à Paris, de l’apprentissage d’une langue et d’une culture. Française en Iran, Iranienne en France, l’auteur tente de résoudre le paradoxe douloureux de l’exil et démêle les nœuds d’une identité construite, déconstruite, reconstruite autour d’une double culture qui est à la fois richesse et fardeau.
Aujourd’hui, elle enseigne le français à des mineurs étrangers isolés.
La romancière vietnamienne Anna Moï, pour Le Venin du papillon (Gallimard) et l’écrivain soudanais Abdelaziz Baraka Sakin pour Le Messie du Darfour (Zulma) ont reçu les Prix Littérature-monde et Littérature-monde étranger.
En mars 2007, à l’initiative de Michel Le Bris et Jean Rouaud, paraissait dans Le Monde des Livres le manifeste « Pour une Littérature-monde en français » signé par 44 écrivains. Le texte affirme l’urgence d’une littérature soucieuse de « dire le monde », de se frotter à lui pour en capter le souffle – autrement dit, d’une littérature libérée des idéologies qui jusqu’alors prétendaient la régenter. Naît alors l’idée de « littérature-monde » délivrant la langue française de son pacte exclusif avec la nation pour devenir l’affaire de tous, sans d’autres frontières que celles de l’esprit. En 2014, l’association Étonnants Voyageurs, et l’Agence Française de Développement se sont associées afin de créer le prix du même nom dont Paule Constant, Ananda Devi, Nancy Huston, Dany Laferrière, Michel Le Bris, Atiq Rahimi, Jean Rouaud et Boualem Sansal composent le jury prestigieux.
Le prix « Littérature-monde » est double : l’un allant à un roman de langue française, l’autre à un roman étranger traduit, porteurs de cette idée de la littérature, tous deux publiés en France lors des douze derniers mois. Il est doté de 3.000 euros par l’AFD.
Le mot du jury sur Le venin du papillon, d’Anna Moï
La guerre fait éclater l’ordre moral et, même l’inverse. Le permis de tuer est un chèque en blanc pour tous les autres
crimes. Lorsque les bombes font exploser la chair, les os et les viscères, tout ce qui est vivant devient beauté.
Cette beauté du vivant, c’est elle qui se diffuse à travers le roman d’Anna Moï ; comme si chaque phrase et chaque page s’attachaient à contredire les dérives cruelles d’un pays sortant du colonialisme et qui se retrouve dans un état de guerre fratricide qui fait le jeu des anciens et des nouveaux pouvoirs. Ces pages de l’histoire d’un pays que l’on devine être le Vietnam sont vues à travers le regard de l’adolescente Xuan, celle dont la féminité naît, dans les premières lignes du roman, au moment où un moine bouddhiste s’immole par le feu : L’année où Xuan a vu ses nichons enfler, le moine s’est foutu le feu. Dans ces lignes se retrouve toute l’ironie – tantôt acerbe, tantôt tendre – de l’histoire qui va nous être racontée à travers des personnages riches, attachants, charnels et profondément humains. L’anarchie dangereuse de l’époque se traduit par celle de ces adolescents en quête d’eux-mêmes, prêts à franchir toutes les barrières pour se sentir vivants. Y compris celles du sexe, dans ce pays de non-dits, et où une scène déterminante, délicate et féroce à la fois, fait goûter au lecteur ce venin du papillon qui laissera sur sa langue ce pétillement amer et délicieusement sensuel qui est au cœur du livre.
Le mot du jury sur Le messie du Darfour, d’Abdelaziz Baraka Sakin
Pour être crédible, un prophète a tout autant besoin de gens qui ne croient pas en son message que de gens qui y croient. A un moment donné, il a même besoin de gens qui lui veulent du mal, voire qui le tuent. Même les faux prophètes recherchent le coup de grâce. (...)
Certains chuchotèrent, n’y comprenant rien :
– Parle-nous dans une langue que nous comprenons, ou bien laisse-nous te tuer tranquillement et retourner à nos affaires, tu n’es rien d’autre qu’un fanfaron de Darfourien.
Comment un prophète surgit-il du néant mortifère du Darfour déchiré par une guerre civile que personne ne comprend, où les populations prises en otage sont tantôt embrigadées d’un côté puis de l’autre, sans savoir pourquoi on leur demande de haïr et de tuer ? Il ne se désigne pas comme un Messie, mais il s’appelle Jésus et sa mère s’appelle Marie. Il est un fils d’homme, comme nous tous. Cela suffit-il pour en faire un prophète ?
Dans ce pays où lorsqu’on dit Arabes et Noirs, ces deux dénominations laissent perplexes les villageois qui ne voient aucune différence entre les deux, dans ce pays où les corps sont déchiquetés sans pitié et où même les forces de l’ONU préfèrent laisser mourir les gens plutôt que de s’engager dans un conflit qui n’a ni sens ni issue, ce roman à la fois terrible et jubilatoire nous entraîne sur les pas de quelques personnages extraordinaires : Abderahmane, jeune femme au nom d’homme qui a été violée et qui n’a qu’une ambition, celle de tuer dix janjawid et leur manger le foie, Sikhiri et Imbrahim, deux jeunes hommes embarqués par une milice et forcés de suivre ces tueurs tout en faisant tout pour ne pas tuer, tante Kharifiyya, qui adopte Abderahmane et perd la foi en écoutant les histoires que lui racontent les femmes, et bien sûr ce Messie qui ne se dit pas prophète mais qui le devient malgré lui, et que les autorités vont tenter de tuer, par ironie vengeresse, en le crucifiant. Mais tous les charpentiers chargés de fabriquer sa croix vont finir par en fabriquer une pour eux aussi.
Ce roman foisonnant nous fait comprendre la futilité meurtrière du conflit qui détruit le Darfour depuis des années, tout en nous faisant découvrir des personnages qui vont devenir des mythes malgré eux. Un roman qui dépasse les frontières et les croyances et qui est un formidable réquisitoire contre ces pouvoirs qui manipulent les hommes et les déchirent.
Distinguant chaque année un texte de grande exigence littéraire français ou étranger (à la condition d’être traduit), et prolongeant l’esprit de l’œuvre de l’écrivain-voyageur, le Prix Nicolas Bouvier est doté d’une bourse de 5.000 euros.
Le jury, composé de Laura Alcoba, Alain Dugrand, David Fauquemberg, Christine Jordis, Gilles Lapouge, Björn Larsson et présidé par Pascal Dibie a couronné cette année Jean-Louis Gouraud pour Petite Géographie amoureuse du cheval, publiée aux éditions Belin.
Journaliste de renom et éditeur, Jean-Louis Gouraud est un passionné qui nous fait partager son amour pour les chevaux dans un voyage à travers le monde et décrit à sa façon, à la fois sérieuse et joyeuse, souvent insolite mais toujours méticuleusement exacte.
Ian McGuire, lauréat du prix Gens de mer 2017, pour son roman Dans les eaux du grand nord paru aux éditions 10/18., Prix soutenu par les Thermes Marins de Saint-Malo et la Compagnie des pêches
Zéno Bianu, lauréat du Prix Robert Ganzo de poésie, pour l’ensemble de son œuvre à l’occasion de ses deux livres Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas (Poésie/Gallimard) et Satori Express (Le Castor Astral).
Créé en 1974 afin de promouvoir les littératures de l’imaginaire, qui regroupent science-fiction, fantasy, fantastique, réalisme magique ainsi que toute œuvre en marge de ces genres, le Grand Prix de l’imaginaire distingue dix ouvrages pour leurs qualités littéraires, leurs ambitions et leurs originalités.
Roman francophone : Latium, tomes I & II de Romain Lucazeau (Denoël)
Roman étranger : Frankenstein à Bagdad d’Ahmed Saadawi (Piranha)
Nouvelle francophone : La Cité des Lamentations (recueil) de Paul Martin Gal (Nestiveqnen)
Nouvelle étrangère : Un Pont sur la brume de Kij Johnson (Bélial’)
Roman jeunesse francophone : Scorpi, tomes 1 à 3 de Roxane Dambre (Calmann-Lévy)
Roman jeunesse étranger : La Fille qui navigua autour de Féérie dans un bateau construit de ses propres mains & La fille qui tomba sous Féerie et y mena les festoiements de Catherynne M. Valente (Balivernes)
Prix Jacques Chambon de la traduction : Patrick Marcel pour Les Chroniques du Radch, tomes 1 à 3 d’Ann Leckie (Nouveaux Millénaires)
Prix Wojtek Siudmak du graphisme : Laura Vicédo, Marion et Philippe Aureille pour BOXing dolls de Pierre Bordage (Organic)
Essai : Du yéti au calmar géant. Le bestiaire énigmatique de la cryptozoologie de Benoît Grison (Delachaux et Niestlé)
Prix spécial : Hélène Collon et Nouveaux Millénaires pour la publication de L’Exégèse de Philip K. Dick
Les membres du jury sont Joëlle Wintrebert, Jean-Luc Rivera, Bruno Para, Jean-Claude Dunyach, Sylvie Allouche, François Angelier, Sandrine Bruno-Maillard, Olivier Legendre, Danielle Martinigol et Jean- Claude Vantroven.
Jean-Pierre Perrin Lauréat du Prix Joseph Kessel de la SCAM
Par Victor De Sepausy
Contact : vds@actualitte.com
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