En conclusion de la matinée de présentation de leur rentrée, les éditions Magnard ont proposé quelques minutes de bonheur, avec la lecture d’un conte par Muriel Bloch. L'occasion pour l'auteure et conteuse, de défendre ce genre, jonction entre l'écrit et l'oralité. « Il ne faut pas avoir peur des contes », explique-t-elle, « Ils nous parlent des autres cultures, tout simplement ».
Muriel Bloch - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Muriel Bloch : Voilà des années que je m’intéresse à cette mémoire, et je pense que les contes nous la transmettent. D’autant mieux qu’elle nous est nécessaire pour avancer. Le conte est toujours porteur de culture et répond à une période d’acculturation, où tout se mélange, les gens ne savent plus différencier une histoire inventée d’une histoire traditionnelle, d’un mythe ou d’une légende.
Chaque récit a sa place : je défends le roman, la poésie, le théâtre, mais les contes ont une place à part, car ce ne sont pas des récits que nous inventons. Nous les recréons en les racontant, mais ils existent avant nous et doivent exister après nous. Ils nourrissent tant les plus jeunes que les grands, et quand on voit que des collections existent, ciblant des tranches d’âge, il est bon de rappeler que le conte s’adresse à tous.
Chacun prend et je crois que cela crée une tache indélébile, un peu comme la clef tachée de sang de Barbe bleue.
Muriel Bloch : Les contes sont faits pour être racontés, dans les livres, ils se reposent – c’est un temps de silence. Il faut les partager, et c’est dans l’air qu’ils se mettent à exister, devant un public. Cette vibration devient importante, et s’opère par la communication orale. Les livres importent, parce qu’ils permettent de conserver et préserver les récits.
On trouve alors dans l’écriture même, une manière de pencher du côté de l’oralité. Là encore, c’est une approche spécifique : cela ne doit pas être trop écrit. Les gens évoquent toujours Perrault, les frères Grimm ou Andersen : c’étaient des gens de lettres, qui ont établi des textes très écrits – importants et précieux.
Sauf qu’il existe des contes dans le monde entier, et je trouve que les éditeurs publient toujours un peu les mêmes, sans avoir la curiosité d’une mémoire qui est d’une richesse folle. Pour les trouver, on doit farfouiller, traduire, adapter : cela c’est mon métier. Je viens de la littérature écrite, et j’ai ce souci de faire des livres, et ainsi faire plaisir.
Muriel Bloch : Je ne pense pas qu’ils n’y croient plus, mais c’est devenu difficile, une certaine logique marchande s’applique. Les livres de conte, pour moi, incarnent le beau livre, ceux que l’on a envie de garder. Rien n’empêche les collections de poche, que les enfants pourront avoir et les parents emporter pour les vacances. Mais cette notion de bel ouvrage persiste.
Le travail d’illustration accompagne l’œuvre – pour le texte que je viens de raconter, La fille du marchand de figues de Barbarie, Sarah Loulendo a été splendide.
Muriel Bloch : Nous sommes allés, avec Joao Mota, qui m’accompagne à la guitare et aux percussions, dans cet établissement incroyable, où nous avons raconté en tout début d’année, des textes autour de la mythologie. Cela touchait aussi bien les petits de maternelle que les CM2. Toute l’école a été mobilisée autour de ces thèmes. Et au cours de l’année, ils ont grandi, et voici que nous les retrouvons pour leur raconter d’autres récits que ceux de la toute première rentrée des classes.
L’an prochain, ils continueront d’étudier des contes et des mythes traditionnels, encore et encore. C’est la volonté de la directrice, et c’est précieux.
Muriel Bloch : Vous savez, je suis de la génération de Pierre Gripari, et du « Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière », dans Les Contes de la rue Broca. Maintenant, on ne se souvient même plus de l’auteur de La Sorcière du placard aux balais. C’est la merveille du conte que de redevenir anonyme.
Gripari a fait le chemin inverse : il avait une grande connaissance des contes, et particulièrement de la Russie. Et puis, il a écrit Le vampire de la place rouge, qui raconte le dégoût que ses voyages en Union soviétique lui ont inspiré, vis-à-vis des valeurs communistes. À la fin de sa vie, il était devenu particulièrement réactionnaire, mais a conservé cette culture du conte. Il a ainsi eu l’intelligence de les écrire avec une grande simplicité et de les adapter au quotidien des enfants. L’épicerie de papa Saïd, et tout cet univers urbain s’y exprime très bien — celui d’une époque, en tout cas.
Je n’ai pas de culture favorite, bien que j’ai été élevée dans la tradition juive, où les contes ont toujours été une manière de faire comprendre le monde. Alors, je me promène et j’essaye — une vie n’y suffira pas — de rencontrer différentes cultures. C’est pour cela que j’évoquais mon travail sur les mythes amazoniens. Joano Mota, le musicien avec moi, est originaire de la Guinée-Bissao, et en lien avec son univers musical je cherche donc des contes qui viennent de cette partie du continent.
Mais j’aime tout autant les contes de la Caraïbe, que ceux populaires français, japonais, et bien d’autres. Celui que j’ai raconté, tiré du monde arabe, j’étais contente de pouvoir le présenter. Et demain, je m’investirai tout autant pour un texte nordique ou inuit.
Il existe une universalité, mais qui n’est pas une couverture. Avant tout, il faut raconter en fidélité à ces différentes cultures, tout en les trahissant, puisque je ne parle pas ces langues. Il suffit qu’une part de ces textes me touche et, à partir de là, tout passe par moi, sans que ce soit moi. C’est une mémoire plus forte que la mienne.
L’enfant, le jaguar et le feu – Muriel Bloch, illustrations Aurélia Fronty - Editions Magnard Jeunesse - 9782210960176 – 16,90 €
La fille du marchand de figues de Barbarie – Muriel Bloch, illustrations Sarah Loulendo – Editions Magnard Jeunesse - 9782210962743 – 16,90 €
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 07/04/2017
34 pages
Magnard
17,90 €
Paru le 20/05/2014
48 pages
Magnard
17,90 €
1 Commentaire
Charles Daney
04/07/2021 à 08:33
Le coma de la Belle au Bois dormant
` Dès qu’il eut réveillé la Princesse au hasard d’une de ses chasses qui l’avait amené dans un fourré jamais exploré depuis longtemps, le Prince, qui était un homme plein de préjugés, appela le S.A.M.U. Elle fut transportée à l’hôpital voisin qu’on savait équipé de salles de réveil performantes. Le Prince n’aurait voulu pour rien au monde laisser une seconde de plus une jeune femme malade, affaiblie, ravissante, dans ce vieux château humide, pas chauffé depuis cent ans, plein de rats et d’insectes de toutes sortes, de serviteurs pouilleux qui ne s’étaient pas rasés depuis au moins un siècle et de servantes graisseuses endormies les mains dans le pot de saindoux qui avait pris le temps de rancir depuis l’époque lointaine où la jeune fille sombrait dans le coma.
Quant la jeune fille ouvrit tout à fait les yeux au milieu des tuyaux et des canules qui l’alimentaient par perfusion elle crut avoir rêvé cette présence près d’elle d’un jeune garçon plein de fougue et beau comme un Prince charmant. Elle fut effrayée de la mise en scène médicale faite autour d’elle alors qu’elle se sentait bien. On dut la rassurer et pour cela appeler auprès d’elle celui qui l’avait tirée d’un coma vieux de cent ans.
Les médecins qui se relayaient à son chevet s’intéressaient beaucoup à son cas. Ils désiraient étudier longuement une aussi extraordinaire survie et considéraient cette malade un peu plus que les autres et ce sujet d’expérience un peu comme leur bien propre. Depuis qu’on l’avait découverte en plein milieu de la forêt dans un château gardé par les broussailles elle ne s’appartenait plus ; elle appartenait à la science.
Les difficultés commencèrent quand il fallut établir les papiers. Elle n’avait aucune garantie sociale et ne se souvenait d’aucun nom - pas même du sien. Peut-être celui d’une sœur ou d’une mère aimée. En tout cas un nom de femme. Quelque chose comme Marie ou Armandine ou Hersande. La longue présence de la jeune femme en un lieu sédentaire établissait le droit du sol. L’important était pour la bonne règle administrative qu’elle ne fut pas clandestine.
C’était aussi qu’elle pût payer, n’ayant pas de couverture médicale connue. Le service social sollicité fit l’inventaire de ses ressources. À part un vieux château qui n’avait pas été entretenu depuis cent ans et demandait un sérieux ravalement, quelques terres en friches, quelques broches toutes rouillées avec des carcasses de perdrix et de faisans nettoyées par les fourmis, il n’y avait rien. Les chiens avaient fui une fois les ronces enlevées ainsi que les chevaux et les autres animaux domestiques. Les gouvernantes, filles d’honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers, maîtres d’hôtels, cuisiniers, marmitons, galopins, gardes, suisses, pages, valets de pieds qu’énumère Perrault furent conduits à l’A.N.P.E. et reçus par son directeur. Il les dissuada de garder leur qualification d’origine et les priait fermement de s’inscrire rapidement pour le prochain stage de requalification. Mais ils avaient préféré quitter sans plus attendre un pays où l’on ne savait plus ce que c’était qu’être servis, où personne n’embauchait plus personne, où leur présence perturbait des statistiques de chômage déjà bien incertaines. De toute façon on ne pouvait plus les compter depuis longtemps, en leurs qualités d’hommes et de femmes, parmi les propres de la Princesse. Si encore il était resté quelques pièces d’or toujours monnayables bien que devenues de placement aléatoire et vieillot ou quelqu’un de ces billets de la Compagnie des Indes Orientales qui valaient de l’or quand Law les faisait signer sur la bosse d’un bossu...
En fait de propre la Princesse ne disposait que de son jeune corps et de ses vieilles pierres.
La jeunesse de son corps était surprenante. Les internes furent appelés à se documenter sur la façon dont on conservait si longtemps un épiderme aussi souple. Les gérontologues furent appelés à la rescousse, ainsi que les dermatologues, les cardiologues et les allergologues, les psychologues, les kinésithérapeutes, les nutritionnistes, et tout ce que la Faculté a produit de savants. On consultait de vieux grimoires à la recherche des propriétés des simples. Personne ne comprenait comment une médecine vieille de cent ans - à peine sortie des mains d’un Diafoirus - avait pu sans onguents, sans sérums, sans vaccins, prolonger de cent ans en plein air et sans hygiène particulière un coma d’origine inconnue. Plus d’un médecin moderne eut débranché le réanimateur sans état d’âme. Ne s’agissait-il pas là d’un cas démontré d’acharnement thérapeutique?
Le cœur reprenait à un rythme raisonnable ; les poumons ne présentaient aucune lésion. Il y avait cette blessure au doigt d’une forme étrange, inconnue. La lecture attentive de Perrault apprit qu’il s’agissait d’une piqûre de fuseau. Si ce type de blessure n’est plus aujourd’hui répertorié parmi les accidents soignés par la médecine du travail devenue plus performante en traumatismes crâniens et ruptures de clavicules, c’est qu’il y a longtemps qu’on ne travaille plus au fuseau. Ce sont là les bienfaits des techniques de progrès : on perd des blessures et on abrège les comas. Les médecins en eussent perdu leur latin s’ils n’en avaient depuis longtemps abandonné l’étude.
Ils en convinrent pourtant difficilement. Pour certains cette piqûre ressemblait à quelque acupuncture oubliée. Au lieu de guérir l’ouvrière maladroite, on l’avait endormie. L’un d’eux, jeune blanc-bec qui se poussait du col, émit l’hypothèse que ce château hanté n’était qu’un immense “squat” à la convivialité chaleureuse, la communauté, une secte tournée autour de l’adoration d’une simple ouvrière de filature sacrée par eux “Reine de la cour des miracles”. Il était trop tard pour s’en informer auprès des domestiques qui s’étaient égayés dans la nature avec la promptitude des peuples d’Europe de l’Est à la chute du mur de Berlin.
En prenant des forces la Princesse acquit de l’audace. Elle réclama le Prince. Il accourut aussi vite qu’il le put dans des embouteillages qu’elle ne pouvait imaginer. Mais quand il voulut partir avec elle il fut pris dans un imbroglio administratif pire que des encombrements et lui, qui se serait contenté d’un certificat de concubinage (pour éviter ces mariages blancs de funeste mémoire) dut signer une promesse de vrai mariage pour ne pas offusquer cette fiancée sortie des bois avec des idées d’autrefois. Sans la lier de façon définitive au Prince, ce mariage la faisait couvrir par la sécurité sociale – mais pas la mutuelle - de celui-ci.
Les questions matérielles réglées, il fallait songer à l’avenir. C’est à dire aux parents. De son côté à elle, c’était facile : ils étaient morts depuis longtemps. Ce fut plus difficile de son côté à lui car s’il avait une bonne pâte de père il ne pouvait se débarrasser d’une mère abusive. D’autant plus que ce genre de mère comprend tout, tout de suite, sans qu’on ait besoin de l’expliquer. Le Prince et la Princesse avaient déjà deux enfants qu’il ne pouvait encore se décider à parler à ses père et mère. Cela arrive encore quelquefois aujourd’hui que les jeunes gens ont des vies indépendantes de celles de leurs parents. Les mères sont quelquefois de race ogresse. Pour la sienne, c’était sûr. Même Perrault le dit.
Le Prince attendit donc d’être établi, c’est à dire d’avoir hérité de son père pour déclarer son mariage et reconnaître ses enfants qui furent appelés Petite Aurore et Petit Jour. Vous imaginerez aisément la colère rentrée de la mère du Prince quand elle se vit belle-mère et grand-mère. Les deux le même jour, c’était trop pour celle qui n’avait vécu que pour son fils et l’avait quasiment suivi à Polytechnique et à l’E.N.A. Elle se retirerait en ses appartements - ceux qui donnaient sur le Bois de Boulogne - jusqu’à une hypothétique réconciliation.
L’occasion vint lorsqu’on offrit au jeune Prince l’opportunité d’un stage aux États-Unis. Un stage, ce n’est pas la guerre et pourtant la “Reine-mère” entreprit de s’occuper de la maison en prétextant l’éducation surannée de sa belle-fille.
Du jour où son fils prit l’avion, elle entreprit de s’occuper de son foyer. Rien ne lui échappait. Rien ne la satisfaisait. Elle mit d’elle-même les enfants à l’école, choisissant les plus lointains pensionnats. Elle fit suivre sa belle-fille, notant toutes les excentricités qu’elle ne pouvait s’empêcher de commettre, vu qu’elle ne savait rien du monde moderne. Mieux, la mère profitait de l’absence de son fils pour obtenir quelques papiers médicaux de l’hôpital qui avait procédé à la réanimation de la Belle au Bois dormant. Un avocat obtint facilement l’internement de la jeune femme dans une maison spécialisée. Les enfants furent confiés au service d’aide à l’enfance.
Quand le mari revint, alors qu’il demandait à embrasser sa femme et ses enfants, on lui apprit que sa femme était partie en emmenant avec elle sa progéniture. Que c’était assez habituel à notre époque. Que la police ne faisait rien dans ce genre de fugue. Et mille autres sottises qu’il eut cru volontiers s’il n’avait perçu dans l’œil de sa mère comme un éclair. Son sang ne fit qu’un tour. Il crut à un meurtre et, comme la vie aux États-Unis l’avait détaché des liens maternels, il partit faire au Commissariat une demande de recherche dans l’intérêt des familles.
C’est alors qu’il rencontrait l’Inspecteur Laplume, celui-là même qui avait rédigé le procès-verbal d’accident dans le Vieux château aujourd’hui écroulé. Il mit le jeune homme au courant des démarches qu’on avait cru que sa mère avait faites en son nom. La demande de recherche fut vite transformée en plainte contre X pour abus de pouvoir, faux et usage de faux entraînant la séquestration et l’incarcération abusive d’autrui.
Sa femme lui fut rapidement rendue, plus jeune que jamais malgré ses cent ans et plus à l’État civil - mais dix-neuf à peine si l’on exceptait le temps du coma qu’elle avait vécu comme un long repos.
Sa mère fut condamnée pour procédure conduisant à un internement abusif ; il s’en consola en pensant à tout le mal qu’elle avait fait. La jeune femme ne fut plus jamais considérée comme une mineure : les difficultés de l’existence moderne l’avaient beaucoup mûrie depuis qu’elle était sortie de la bulle d’un si long coma.
Le plus dur fut de récupérer les enfants, l’Aide sociale à l’enfance et à l’adolescence lâchant difficilement ceux qui lui sont une fois confiés.