Les éditions du Cherche Midi avaient choisi d'accueillir journalistes et libraires dans les salons d’un hôtel du 10e arrondissement pour une rentrée « resserrée ». L’équipe éditoriale, menée par Anne-France Hubau-Nicolas, directrice générale, a choisi de nous présenter cinq textes seulement, convaincue par leur force et leur modernité.
Le 16/08/2017 à 15:10 par Christine Barros
Publié le :
16/08/2017 à 15:10
Sans aucun doute l’un des premiers romans les plus marquants lus pour cette rentrée, dont la violence et la rage résonnent encore.
Deux femmes. Deux voix. Deux époques.
Années 50, aux confins du Sahel : Anoua, petite reine promise au chef clanique, baignant dans une violence tribale ritualisée à la limite de l’humanité, victime sacrificielle, au regard sans affect, mais, indiciblement, rageusement, inébranlablement, vivante. (On y retrouve d’étranges résonnances avec Tsongor…)
2001, la Californie. Elle, jamais nommée, vieille femme odieuse, voudrait pouvoir oublier ses souvenirs.
Dans une déroutante alternance de chapitres, comme une expérience littéraire poussée à son paroxysme, l’auteur prête ses voix à ces deux héroïnes prisonnières de leur « femmellité », qui, face à la pesanteur d’un destin pour elles tout tracé, mettront en place les armes de leur émancipation.
Ouvrez Petites reines. Lisez les trois premières pages. Vous saurez. Et vous ne saurez rien de ce texte qui échappe, selon la volonté même de Jimmy Levy, à tout résumé ou raccourci. Un premier roman résolument radical.
Aux noces de nos petites vertus, premier roman d’Adrien Gygax, c’est le mariage auquel se rendent trois amis désenchantés, l’occasion d’un étrange road trip balkanique et dionysiaque, durant lequel ils croiseront la sensuelle et singulière Gaïa. Deux en tombent amoureux. Dans ce rêve écrasé de lumière qui vire au cauchemar, entre opium, alcool, soleil et beauté, quelles sont les alliances que l’on noue ? Les ultimes trahisons en sont-elles vraiment ?
Entre deux sessions de séminaire professionnel, de jeunes Français explorent Cracovie ; sereins et confiants, ils vont petit à petit être confrontés à la présence réelle du ghetto et aux traces du camp.
Dans un musée, face au Parlement des Cigognes, petit tableau qui aurait pu être insignifiant, ils seront plongés dans ce que fut Cracovie aux heures noires de la guerre, ce que fut d’y être juif, dans une société polonaise dans laquelle être juif ne se pouvait plus.
De la bouche d’un vieillard, debout, mais encore anéanti, ils apprendront comment il fut pour les juifs du ghetto, plutôt que de s’échapper, parfois préférable de mourir ensemble plutôt que de rester seul face à un deuil impossible. Comment, sur les 300 000 juifs qui s’échappèrent du camp et des trains en partance et se cachèrent dans les bois durant la guerre, seuls 25 000 en réchappèrent. Et comment pour le vieil homme à l’aura prodigieuse, le pari de l’animalité le rendra à sa propre humanité.
Une plume limpide et précise, une atmosphère glacée, pour répondre à la question du poète : « Pourquoi toujours imaginer le pire ? Parce que c’est ressemblant ».
Depuis la fenêtre de son appartement, dans l’un ces quartiers de lisière en pleine gentrification, Lilly, passionnée d’ornithologie, observe ses voisins à la jumelle. Témoin d’un meurtre, par désœuvrement, et pleinement légitime puisque tellement au fait des agissements de tous, elle se lance dans l’enquête.
L’avancée de l’intrigue de Sous ses yeux, premier roman de Ross Armstrong, s’opère alors même que notre confiance en la narratrice, fut-elle éminemment sympathique, s’effrite devant son manque de fiabilité de plus en plus évident. Hommage appuyé au Hitchcock de Fenêtre sur Cour et des Oiseaux, vous vous ferez piéger par cet excellent thriller. À coup sûr.
New York, 1888. Dans les salons feutrés de ceux qui bâtissent le progrès du monde, dans les laboratoires fourmillants et grouillants de jeunes ingénieurs, dans les rues encore éclairées par les lampes à gaz, se joue la plus formidable guerre des brevets que le monde ait connue jusqu’alors.
Deux hommes se disputent la paternité de l’ampoule à incandescence. Au vu de l’enjeu phénoménal (rien de moins que l’éclairage et l’électrification des États Unis), celui qui d’Edison, mondain, politique, acharné ou Westinghouse, ingénieur de génie sans doute plus « pur », remportera la mise sera promis à la gloire, la richesse et la postérité.
C’est représenté par le jeune brillant et désœuvré Paul Cravath que Westinghouse se lance dans son procès. Et viendront se mêler à la partie le fou et visionnaire Nicola Tesla, Graham Bell, JP Morgan, et Henry Ford, l’on verra la création de la General Electric, et la naissance des cabinets d’avocats…
De l’auteur des Derniers jours de l’émerveillement, Graham Moore, oscar du scénario pour Imitation Game, l’on connaît le goût pour les personnages hors normes et qui revendiquent leur(s) différence(s). Il signe là un réjouissant et ébouriffant roman scientifique, dont l’on ressort (puisqu’on a tout compris – enfin, presque tout — des foisonnantes explications mécaniques, électriques et scientifiques) avec la secrète joie de se penser, l’espace d’un instant, intelligent.
Et comme un clin d’œil, la citation choisie par l’auteur pour introduire le roman est de Bill Gates, parlant de… Steve Jobs. Réjouissant, l’on vous dit.
(A par. 24/08) Jimmy Levy – Petites reines – Editions Cherche Midi — 9782749156415 – 19 €
(A par. 24/08) Adrien Gygax — Aux noces de nos petites vertus — 9782749154282 – 17 €
(A par. 24/08) Valère Staraseslki – Le parlement des cigognes – Editions Cherche Midi – 9782749155753 – 15 €
(A par. 31/08) Ross Armstrong – Sous ses yeux – Trad. Fabrice Pointeau – Editions Cherche Midi — 9782749154213 -22 €
(A par. 07/09) Graham Moore – Les derniers jours de l’émerveillement — Trad. Jean-Luc Piningre – Editions Cherche Midi – 2749148995 — 22 €
Par Christine Barros
Contact : cb@actualitte.com
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