Les dernières heures d’Anastème sont venues... Le feuilleton de Sébastien Célimon s’achèvera demain, avec un grand final. Mais avant de clore cette aventure éditoriale parallèle – Anastème est à retrouver sur Tipeee dans sa version intégrale –, quelques rebondissements sont à attendre...
Le 01/09/2017 à 16:00 par Auteur invité
Publié le :
01/09/2017 à 16:00
Fragments d’Anathème — Chapitre 9
par Sébastien Célimon
(…) Je levais les yeux, trop courbaturé pour bondir, et ne reconnut pas immédiatement mon sauveur. Sa voix, douce, bienveillante murmura mon surnom. Bo. C’était Iaros.
Le frère de Djala venait me sortir de là. Que faisait-il là ? Comment était-il au courant de ma situation ? Je me frottais les yeux. Il se tenait debout sur le toit de la roulotte. Il portait une longue robe noire. Il était une ombre dans la nuit. Il m’attrapa sous les bras et me mit debout avec une très grande délicatesse. Il me dit à l’oreille que nous devions partir, si je le voulais bien sûr. J’eus un frisson. J’avais soif, faim, et je voulais me venger de Kostia et de l’injustice de Feodor.
La roulotte devait faire au moins trois mètres de haut. Il n’y avait pas d’échelle, et seul le rebord des fenêtres pouvait servir d’appui. Je regardais alentour, à la recherche d’un endroit où sauter puis escalader. Iaros mit sa main sur mon épaule et désigna le ciel. Je ne comprenais pas. Il me dit d’avoir confiance en lui. De fermer les yeux et de ne pas crier.
Je me raidis quand je sentis ses bras ceinturer mon torse. Je faillis crier quand il prit son impulsion. Je nous imaginais aisément nous écraser avec lourdeur. Au lieu de ça, un frisson délicieux parcourut tout mon corps et je me sentis léger comme une plume. Iaros me poussait vers le haut et vers l’avant dans un souffle. J’ouvrais grand les yeux, incrédule sur ce qui était en train de se passer.
Nous volions.
Nous devions être à cinq mètres du sol quand un hurlement interrompit notre mouvement. Kostia nous avait vus. Il brandissait une torche et l’agitait comme un dément. Sa vision raviva aussitôt ma fureur. Je me débattis par réflexe. Mon agitation obligea Iaros à revoir sa prise sur moi et soudain je glissais entre ses bras. J’ai cherché à me rattraper. J’ai saisi que le bout de sa natte. Le bijou qui la concluait céda sous mon poids. J’ai crié. Iaros eut juste le temps de ralentir ma chute avant lui-même de toucher le sol. Notre évasion était un échec total.
Je me relevais et fit face à Kostia. Son visage était déformé par l’ivresse et la terreur. Sa torche faisait des grands huit dans l’air. Il avait le poing dressé, et criait des paroles incohérentes où je crus reconnaître le nom Stribog. Il lançait des imprécations. Je me sentais de taille à l’affronter dans mon inconscience. Sans réfléchir, je fonçais sur lui. J’échappais de peu à la morsure de sa torche quand Iaros me fit tomber. En me retournant, je vis son ombre s’enrouler autour des jambes de Kostia. Il le souleva du sol. La voix de Kostia était devenue aiguë, comme celle d’une femme hystérique. Il bascula vers l’avant, lâchant par réflexe sa torche pour ne pas retomber dessus. Je m’en saisis aussitôt. Une rage féroce me consumait. J’aurais voulu abattre le feu purificateur sur Kostia. J’aurais voulu le punir pour sa vilenie. J’aurais voulu le marquer comme un esclave du temps ancien, renversant enfin notre relation. Je voulais me libérer de lui pour toujours.
Kostia à terre tendait sa main vers moi. Il était épouvanté. Il me supplia de le laisser puis me maudit tandis que je m’approchais. Iaros avait disparu dans la nuit. Je vis alors des ombres derrière lui s’agiter. C’était toute la troupe qui accourrait, alertée par les cris. Je me retrouvais face à eux tous. Eux qui dans mon esprit avaient sciemment abandonné Djala, Iaros et Ienosos. Feodor me regardait avec une gravité que je n’avais jamais vue. Madame Do s’accrochait à son bras, désolée. Et puis Katarina Medveva apparut entre Syz et Madame Do. Je tressaillis. Que faisait-elle là ? Je n’y comprenais rien. Je cherchais ses deux hommes et j’en vis un sortir de l’ombre. Il tenait un bâton à la main. Je serrais fort la torche dans la mienne. Ils m’avaient privé de Djela, battu, enfermé. Et maintenant ils étaient tous devant moi. Ma colère était comme un monstre qui demandait à être nourri. Je ne voyais qu’une seule chose à faire.
Je fonçais sur le côté avec la torche. Je contournais remorques, scène et roulottes. Je cherchais la cage de Bolchy. J’étais un petit garçon qui commandait aux ours. Il ne pouvait qu’être de mon côté. Je le trouvais alangui, mais éveillé. Je sentais sa nervosité. Je l’attribuais à son souhait de me rejoindre dans mon combat absurde. Il se redressa, aux abois. J’ouvrais sa cage en tenant haut la torche. La soif et le feu ne font pas bon ménage. Je l’ai compris quand il a rugi. J’ai été propulsé d’un coup de patte furieux contre la porte de la cage. C’est à elle que je dois la vie. Si ça avait été la patte elle-même, avec ses griffes comme des poignards, je ne serais plus là. Bolchy a déboulé vers moi, fou de frayeur. J’étais recroquevillé sur moi-même pour me faire tout petit. Je me souviens très bien de sa masse au-dessus de moi. Il allait m’écraser comme une fourmi.
Puis Iaros fondit sur lui. Il se plaqua sur son dos comme sur un jeu du taureau. Avec son pouvoir il essayait de le soulever. Bolchy rua. Iaros tint bon. Il retomba sur ses pattes pour le désarçonner. Aussi sûrement qu’il s’était posé sur lui, Iaros s’en détacha. Je ne vis qu’une cape noire qui tournait sur elle-même. Il revint vers son museau pour attirer son attention, semblable à un papillon géant. Bolchy prenait des tapes de tissu sur la tête. C’aurait pu être drôle s’il n’y avait pas danger de mort.
J’étais fasciné par le combat fantastique entre un ange et un ours. Bolchy s’agaçait de ne pouvoir saisir l’étrange oiseau noir qui le tourmentait. Sa mâchoire claquait. Ses pattes découpaient l’air avec rage. Doucement, mais sûrement, Iaros le détournait de moi. Je cherchais à me relever. Mon bras gauche ne répondait plus. Une douleur atroce dans l’épaule me coupa la respiration. J’haletais. J’étais anéanti.
Je vis comme au ralenti les ombres des membres de la troupe m’encercler, non pour me capturer, mais pour me protéger. Feodor et les acrobates allèrent au-devant de Bolchy qui reprenait ses esprits. Les ordres secs reprenaient le contrôle de son cerveau. De la nourriture acheva de le calmer. Un début de feu provoqué par la torche que j’avais lâché fut rapidement éteint. Je n’étais pas le maître de l’ours après tout.
Quelqu’un se pencha vers moi et me prit dans ses bras. Je ne reconnus pas le parfum ni la voix féminine. C’était la première fois que quelqu’un me prenait ainsi dans ses bras. Je voulus lui rendre son étreinte. La douleur dans mon épaule m’étourdit et, comme l’enfant que j’étais, je m’endormis dans cette étreinte maternelle.
Le lendemain matin, je me suis réveillé dans le lit de Syz. Mon épaule était bandée. Je ne pouvais pas bouger le bras. Syz se retourna vers moi quand elle vit que j’étais réveillé. Elle me sourit et il y avait de la tendresse et du soulagement dans son regard. Je demandais pardon, d’instinct. Elle me prit ma main valide. Elle me dit de ne pas m’inquiéter. Que tout irait bien. Elle était là, près de moi, et je me sentais bien. Elle me raconta ce qui s’était finalement passé.
Bolchy avait été calmé. Kostia avait été emmené pour être soigné. Son état mental inquiétait. Il avait basculé dans la folie, tenait des propos incohérents. Il était peu probable qu’il revint rapidement à sa place. Voire qu’il ne revienne pas. Mon évasion, le combat contre Kostia et mon idée imbécile de libérer Bolchy posaient de sérieux problèmes. À l’évidence, je ne pouvais plus vivre avec Kostia Les membres du cirque hésitaient franchement à me garder. Tant que j’étais convalescent, ça irait, mais il fallait prendre une décision. Celle-ci prendrait une forme inattendue, mais c’est une autre histoire.
Il me faut conclure à présent.
J’étais donc avec Syz. C’est alors que je vis les fleurs. Fraîches, épanouies, dans un joli petit vase. Les fleurs qu’Iaros lui avait amenées pour lui dire au revoir. Comme il avait pris l’habitude de le faire. Et je compris pourquoi il était là. Et pourquoi il m’avait libéré. Syz vit mon expression. Elle sourit. Elle déposa alors un objet dans ma main. Elle me dit avec émotion qu’il lui semblait juste qu’elle me revienne. Parce qu’elle m’obligerait à être bon.
Il s’agissait de la pierre percée avec laquelle Iaros attachait sa natte. Je la levais pour la mettre dans la lumière. J’y vis la forme d’un ours sculpté.
C’était à cet instant et jusqu’à ce jour l’objet le plus précieux de ma vie.
Celle qui lira ses lignes saura que toute cette histoire est vraie. Et qu’elle me hante depuis l’enfance.
Bo.
Fragments d’Anastème - Chapitre 8
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