Référence parisienne du marché de l'occasion, pour le livre, le DVD ou le CD, mais intervenant aussi dans le neuf, l'enseigne Gibert Joseph a repris il y a quelques mois sa petite sœur du Quartier latin, Gibert Jeune. Entretien avec Richard Dubois, directeur commercial chez Gibert Joseph, sur l'occasion, la concurrence d'internet et les perspectives.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Richard Dubois : Ce n'est pas Momox qui nous a conduits à créer cette application, car nous avions de toute façon prévu de mettre au point cet outil. Cela dit, pour nous, Momox est un acteur que l’on voit monter significativement : depuis un an, leur site est en croissance. D'après nos informations, il s'agirait même du plus gros revendeur de produits culturels sur le marketplace d'Amazon. La société Gibert Interactive, la société qui gère le site internet et le e-commerce chez Gibert, a pour partenaires PriceMinister et Fnac, nous ne travaillons pas à ce jour avec Amazon mais nous pouvons envisager de pousser nos flux sur de nouveaux acteurs.
Richard Dubois : Le lancement de l'application s'inscrit dans le m-commerce en général. En valeur d'achat, l'application représente environ 15 % du total de rachats de livres du groupe. En réalité, l'application sert surtout à se faciliter la vie pour savoir à quel prix Gibert va racheter les produits. Le taux de transformation est plus important que le fait que ce soit un outil pour faciliter l’estimation.
En fait, il y a corrélation entre les zones de chalandise où nous sommes réellement présents pour le e-commerce et les zones où l'enseigne est connue parce qu'un magasin est présent, en Île-de-France, en Rhône-Alpes et dans Sud-Est. Gibert Interactive a ainsi peu de clients lillois, peu de clients strasbourgeois, brestois ou bordelais... Nous avons aussi fait des choix, comme celui de Gibert Jeune, là où il y aurait pu en avoir d'autres. Et Momox fait aussi partie de ces capteurs d'achats d'occasion qui ont généré cette stratégie défensive de reprendre Gibert Jeune, et plus encore, l'attractivité du Quartier latin. Pour pouvoir accroitre notre capacité achat et vente sur Internet, il faut ainsi, dans une logique omnicanal, avoir des magasins là où nous ne sommes pas présents.
Richard Dubois : Cette notion d'envoi de colis était présente dès le départ dans notre site Internet. Nous avons été les premiers à proposer cette notion d'un site web qui permet de vendre ses livres d'occasion en saisissant un ISBN. Autour de 2010-2011, seul un libraire américain, dans le Middle West, avait mis en place ce type de site. Momox l'a finalement proposé bien après nous, mais avec une application.
Nous avons bien sûr des négociations avec La Poste, avec Mondial Relay, nous favorisons aussi le dépôt de colis en magasin, et cette dernière solution reste très importante. Nous avons obtenu des remises avec La Poste, mais ces négociations prennent du temps, c’est aussi le nerf de la guerre et nous n'osons pas imaginer les remises que peut obtenir Amazon.
Pour obtenir de meilleures conditions, nous avons massifié le flux des colis de livres revendus et des livres achetés dans notre centre de traitement à Vitry.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Richard Dubois : L'occasion représente 30 % de notre chiffre d'affaires réalisé dans le livre, sachant que le groupe Gibert fait 114 millions € par an, d'après les chiffres 2016, dont 70 % tirés du livre, devant la papeterie et le disque/DVD.
Richard Dubois : Que les libraires indés s'affilient avec les libraires.fr et ce que développe Numilog pour pouvoir proposer un livre d'occasion à un client en cas d'absence de livres neuf en stock, pourquoi pas, mais il faut savoir qu'à plus de 80, voire 90 %, les gens veulent du cash dans le cadre d'un rachat de livres. Ce qui interdit de donner des avoirs pour du neuf, par exemple : sachant les problématiques de trésorerie des librairies indépendantes, je trouve cela audacieux.
D'autant plus que l'occasion est un produit à la vie très rapide, il faut un taux de rotation important tant que l'on n'est pas dans la bibliophilie. Le bouquin de vie pratique de 2015 ne vaut plus rien, une grosse part de la littérature disparaît très vite, les marchés universitaires ne sont plus ce qu'ils étaient depuis internet, les éditeurs scientifiques font de nouvelles éditions tous les 2 ou 3 ans pour pouvoir contrer le marché de l'occasion... Tout cela fait que cela me semble une fausse bonne idée.
Richard Dubois : Notre volumétrie importante nous impose la mise en place ponctuelle de régulateurs d'achat, et nous avons des algorithmes qui prennent en compte les cadences de vente sur un titre, en neuf et en occasion, pour en déterminer le prix d'achat. Plus un livre est vendu, ou plus il est rare, justement, plus un livre va être racheté à un prix élevé.
Richard Dubois : Pas aujourd'hui. Certes, Internet n'est pas neutre, mais c'est 12 millions € de ventes neuf et occasion sur 114 millions €. Amazon et Momox, et je crois même Chapitre, ont des robots qui explorent Internet pour aller chercher les différents prix sur Internet et s'ajuster. Nous, nous suivons notre politique : nous privilégions une certaine cohérence entre l'achat et la vente. Il faut que celui qui vend et celui qui achète, idéalement, s'y retrouvent tous deux. Ce n'est pas la même politique que nous, mais c'est aussi notre marque de fabrique, tout comme la bonne qualité physique des ouvrages.
Richard Dubois : Il y a eu différentes études sur le marché de l'occasion en plusieurs années : on a parlé de 20 % des ventes, puis d'un chiffre d'affaires autour de 16 % au sein des ventes totales de livres. Ce qui n'est jamais clair, c'est si l'on parle en valeur ou en volume. Disons que c'est 16 %, avec 20 % des ventes de livres sur Internet représentés par l'occasion. Sur un marché du livre estimé à 3,5 milliards €, 16 % représente environ 416 millions €. Sauf que c'est un marché BtoC [des libraires d'occasion aux lecteurs] qui est identifié, et le CtoC [vente entre particuliers] n'est pas du tout considéré, car inquantifiable. Les bourses aux livres, le Bon Coin... Finalement, l'ensemble est difficile à évaluer.
Richard Dubois : C'est une assertion fausse qui est à l'origine de cette croyance : le marché de l'occasion ne se développe pas de manière exponentielle, il a toujours existé, entre consommateurs et en librairie. Comme tout le reste, c'est le web qui lui donne une visibilité qu'il n'avait pas avant.
Richard Dubois : Le paiement de droits aux auteurs sur l'occasion pose d'abord un souci juridique, lié au fait que les droits d'auteur tombent à la première vente. Avant même de taxer les acteurs de l'occasion, il faudrait ainsi revoir la problématique des contrats.
De plus, on ne sait pas quand l'argent serait prélevé : au niveau de l'achat, de la revente, sachant que tous les prix sont différents ? Cela semble vraiment compliqué.
Enfin, être taxé poserait un problème économique, même pour un acteur important comme Gibert.
Rappelons, pour finir, que les libraires payent la TVA sur les ventes de livre d'occasion, sur la marge. Ce qui signifie que si l'on a une marge de 50 % sur les ventes d'un livre d'occasion, cela équivaut à un réglement de 2,75 %, soit 5,5 % divisé par 2.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Richard Dubois : L'occasion est notre élément différenciant par rapport à de grands acteurs comme Fnac ou Cultura, ça l'a toujours été. Mais ce n’est pas nécessairement une manne.
Le fonctionnement de l'occasion, c'est « J'achète un + un + un + un ». Dans le neuf, au contraire, les lignes de commande sont à 5, à 10, à 50 ou à 100 : les coûts de traitement logistique du neuf sont ainsi bien plus faibles que ceux de l'occasion. En plus, le fait que des gens vendent leurs livres dans les comptoirs, alors que les vendeurs en rayon achètent naturellement du neuf, impose d'autres frais logistiques... L'occasion est payée cash, tandis que la trésorerie de l'éditeur peut vous permettre d'équilibrer la vôtre dans le cas du neuf, et enfin, il n'y a pas de retours dans le cas de l'occasion...
Une taxe de cette nature pourrait ainsi fragiliser un modèle économique déjà en équilibre instable. Et si cette taxe est prélevée sur le prix de vente, il faudrait les revoir à la hausse et cela créerait un différentiel moins intéressant entre l'achat à l'état neuf et l'achat en occasion.
Il y aurait aussi une forme d'injustice : nous sommes transparents et accessibles, mais comment faire payer la taxe à Momox, à Amazon ? Il y a l'extrême ambiguïté d'un Momox.fr sans filiale en France, ce qui complique le prélèvement des impôts.
Richard Dubois : Nous avons participé à l'élaboration de cette Charte dès que nous avons été sollicité par Laurence Engel, alors Médiatrice du Livre. D'une certaine façon, la Charte des bonnes pratiques est nécessaire, elle est dans l'intérêt de tous, au détriment de quelques-uns. Ce qui est bien, c'est qu'Amazon ait signé, ce qui n'était pas gagné, mais d'autres acteurs d'Internet sont hyper rigoureux, comme PriceMinister. Nous avons toujours fait la distinction entre livre neuf et livre d'occasion, y compris en magasin avec des étiquettes spécifiques, contrairement à d'autres libraires, y compris indépendants.
Pour qu'elle ne reste pas lettre morte, il faut que cette Charte soit vivante : sa signature a à peu près coïncidé avec l'arrivée de Françoise Nyssen au ministère de la Culture, ce qui génère une espérance que cette Charte soit respectée et ne reste pas simplement à l'état de souhaits.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
agatha
03/04/2020 à 20:15
les livres neufs sont trop chers et il y a peu de lecteurs on pourrait acheter un droit de lecture disons 30% du prix du neuf et télé charger le livre pour une durée d'un mois par ex qu'en pensez-vous
beauhaire josiane
25/11/2020 à 10:49
je souhaiterai donner quelque journees de mes semaines de retraité au nouveau magasin avenue de saint cloud (gratuitement bien sur).
A vous de voir si c'est possible.)