Peut-on en toute honnêteté condamner un homme qui a tendu la main pour en aider d’autres ? Le cas de Cédric Herrou, agriculteur produisant des olives dans la région de Nice a posé le cas concrètement. En août dernier, la cour d’appel d’Aix-en-Provence l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis. Il avait aidé des migrants à entrer en France.
Le 07/10/2017 à 13:51 par Nicolas Gary
Publié le :
07/10/2017 à 13:51
Mario Fornasari, CC BY 2.0
Ce délit de solidarité, comme certains l’ont appelé, a conduit la foule à de nombreuses marques de soutien et d’engagements pour la cause de l’agriculteur. Dominique Lurcel, metteur en scène (Passeurs de mémoires), et Jean-Pierre Siméon, poète et dramaturge, avaient originellement rédigé un manifeste appelant chacun à prendre fait et causes également.
500 signatures, que l’on peut retrouver sur le site Passeurs de mémoires, et qui se sont changées depuis en une pétition. On y retrouvait des noms d’auteurs associés comme Erri de Luca ou Annie Ernaux, Lydie Salvayre et Geneviève Brisac. Universitaires, conteurs, directeurs de théâtre, comédie, metteurs en scène se sont par la suite joints à cet appel.
Cette dernière circule maintenant depuis quelques jours. Elle ne concernait initialement que Cédric Herrou, mais une nouvelle condamnation est intervenue, le 11 septembre, lorsque Pierre-Alain Mannoni, chercheur au CNRS, fut sanctionné à Aix-en-Provence, à deux mois avec sursis. Le 3 octobre, Raphaël Faye-Prio écopa de trois mois avec sursis. Nous reproduisons ici ce manifeste en intégralité.
Nous affirmons avec Cedric Herrou que « c’est le rôle d’un citoyen, en démocratie, d’agir lorsqu’il y a défaillance de l’État ».
Nous réaffirmons la primauté absolue de la conscience morale sur l’ordre politique.
Nous dirons et redirons, quoi qu’il en coûte, que le devoir de solidarité est sans compromis et au-dessus des lois.
Face à un jugement dont l’esprit et la teneur sont une sinistre première fois en France sous la République, jugement dont nulle argutie ne saurait masquer la visée répressive et dissuasive, nous déclarons notre soutien sans réserve à la démarche de Cedric Herrou et nous déclarons prêts le cas échéant à agir comme lui, malgré la loi, contre l’injuste.
Rappelons les faits. Cedric Herrou est ce cultivateur qui a accueilli, hébergé et nourri plus de 250 étrangers en situation de grande détresse, originaires d’Afrique, d’Erythrée et du Soudan surtout, 90 % d’entre eux fuyant la guerre. Demandeurs d’asile, mais arrivant en situation irrégulière. Cédric Herrou demande en vain depuis des mois un accueil d’urgence pour ces personnes arrivant dans la vallée de la Roya, depuis l’Italie.
En apprenant ces faits, tout individu humainement constitué considérera que Cedric Herrou est un homme de bien, manifestant le plus élémentaire et plus nécessaire esprit de solidarité, obéissant à la plus ancienne et la plus universelle des lois morales non écrites qui demande qu’on tende la main à qui est en péril. Il aura tort, à ce qu’il paraît : le cœur a ses raisons que la raison d’État ne connaît pas. Pour celle-ci, le courage de Cedric Herrou est, autant qu’une insolence ou un affront, un délit.
Au nom d’une loi écrite qui sous l’argument du raisonnable et du possible apparaît dans ses conséquences pour ce qu’elle est : la froide stratégie d’une lâcheté. Condamné en première instance à 3000 € d’amende avec sursis par le Tribunal de Nice, Cedric Herrou, après appel du Procureur de la République — qui parle au nom du peuple, n’est-ce pas ? et donc nous engage collectivement dans son obédience à la raison froide — a été condamné le 8 août à 4 mois de prison avec sursis par le Tribunal d’Aix en Provence.
Interpellé depuis en gare de Cannes, alors qu’il accompagnait 156 migrants vers Marseille, pour les aider dans leurs démarches de régularisation, il est désormais sous le coup d’une nouvelle information judiciaire. Il n’a pas le droit de quitter le territoire national, ni de « fréquenter » les gares. Il doit pointer deux fois par mois au commissariat de Breil sur Roya.
Comment en arrive-t-on là ? Par quelles défaites morales, par quels renoncements successifs, par quels calculs d’égoïsme mesquin en arrive-t-on, sous couvert de bon sens et de réalisme, à ce que l’État traite comme des délits des actes inspirés par les valeurs mêmes qui le fondent ? Des actes en tout désintéressés et non-violents.
Il est temps de dire non, de se désolidariser d’un État qui trahit sans vergogne les idéaux dont il parfume ses discours, temps de désobéir à la loi écrite quand elle criminalise la fraternité et proroge l’inhumain (la misère des camps et le cimetière méditerranéen).
Il y eut des heures dans notre histoire où désobéir c’était garder l’honneur et sauver son âme. En voici une autre.
la pétition est à retrouver à cette adresse
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