Le mercredi 15 novembre 2017, à 18 h, la librairie La Dimension fantastique (106 Rue la Fayette, 75010 Paris) invite David Meulemans, des éditions Aux forges de Vulcain, à l’occasion de la première traduction en français (par Francis Guévremont), de La Plaine étincelante de William Morris, un roman fondateur de la fantasy. A cette occasion, ActuaLitté laisse carte blanche à David Meulemans, fondateur de la maison Les forges de Vulcain.
Le 15/11/2017 à 00:56 par Auteur invité
Publié le :
15/11/2017 à 00:56
William Morris (1834-1896, reconnaissable sur la photoci-dessus, NdlR) est une figure victorienne peu connue en France alors qu’il est une sorte de gloire nationale en Angleterre, à la fois comme décorateur, essayiste, conférencier politique et, dans une moindre mesure, comme romancier. En effet, fervent lecteur de Walter Scott (1771-1832), il introduit dans ses romans historiques une part de merveilleux qui le fait parfois désigner comme un des précurseurs de J. R. R. Tolkien (1892-1973).
Depuis la mort de Morris, une bonne part de ses essais ont été traduits en France, mais la majeure partie de ses fictions restait inédite, un manque que les éditions Aux forges de Vulcain, au rythme d’un titre par an s’efforcent de combler. Ce vaste projet a un aspect patrimonial (faire découvrir un classique « mineur »), mais une telle visée serait contraire à l’esprit de l’œuvre de Morris si elle n’était accompagnée d’un objectif plus actuel et urgent : montrer aux auteurs et autrices de notre temps une voie que la littérature peut prendre et, peut-être, devrait prendre.
Une voix qui mêle le goût pour l’imaginaire et l’ambition littéraire, deux aspirations souvent perçues comme irréconciliables — ce qui se matérialise de deux manières distinctes, mais mêmement visibles : le manque d’intérêt de la critique littéraire pour les littératures de l’imaginaire, et la division en rayons séparés et hiérarchisés en librairie : d’un côté une littérature générale très diverse, mais peu variée, d’un autre côté, une littérature de genre ramassée, avec une part belle laissée aux classiques.
En soi, le débat sur la place des littératures de genre est sans intérêt. Si un roman est bon, sa catégorisation est secondaire. Se passionner pour ce genre de question manifeste souvent davantage un besoin narcissique de reconnaissance et de légitimité qu’une vraie question intellectuelle. Professer que les littératures de l’imaginaire ou les littératures policières sont méprisées relève de la coquetterie, dans la mesure où elles font l’objet de thèses depuis longtemps. Toutefois, il reste vrai que la place médiatique qui leur est laissée n’est pas proportionnelle aux nombres de titres publiés, ou à leur qualité.
Cela étant, il n’y a qu’au regard de deux problèmes que ce débat peut faire sens. Tout d’abord, on peut regretter que la catégorisation rende parfois invisibles, à tels lecteurs ou lectrices, certains textes. Ensuite, la catégorisation est si réelle qu’elle est intériorisée par les autrices et auteurs et qu’elle finit par avoir des effets sur la création.
Et c’est là où le retour à William Morris est fécond, car il peut être un moyen de montrer que cette séparation des genres est un processus historique, social et politique. Questionner ce processus peut redonner de la liberté à celles et ceux qui font œuvre, ici et maintenant.
Mon hypothèse est que la frontière entre les littératures de genre et la littérature générale est une construction historique qui reflète une tension politique. Au début du XIXe siècle, les plus grands romans sont des romans que nous inclurions aujourd’hui dans le genre fantastique : par exemple, le Frankenstein de Mary Shelley.
Dans les années qui suivirent, la littérature métaphorique ou allégorique fut perçue par les romancières et romanciers comme datée. Comme un plaisir d’esthète, un plaisir aristocratique, passéiste et incompatible avec la marche vers davantage d’égalité. En fait, la littérature réaliste ou naturaliste est, initialement, une littérature qui se pense davantage démocratique.
Ce retournement n’est pas mû seulement par l’amour de leur prochain, qui aurait saisi les auteurs et autrices de l’époque, mais aussi une évolution de la lecture : en un siècle les auteurs passent de quelques milliers de lecteurs et lectrices potentiel(le)s à des centaines de milliers. Or, si l’alphabétisation progresse, une partie de cette population demeure peu lettrée : les métaphores et allégories sont alors autant de droits de péages pour entrer dans les textes. Rompre avec la culture classique est aussi un moyen de s’assurer davantage de lecteurs et lectrices.
Ce retournement se voit dans toutes les littératures occidentales. Que ce soit dans l’éclipse de Sheppard Lee de Robert Montgomery Bird, roman picaresque de 1836, publié aux États-Unis, qui narre les aventures d’un Américain lambda qui se réincarne successivement dans plusieurs corps qui vont chacun permettre de constituer un portrait de l’Amérique de l’époque.
L’ouvrage, grand succès au XIXe siècle, sera oublié au XXe siècle avant d’être redécouvert il y a une dizaine d’années. Ou que ce soit dans l’écriture de Nathaniel Hawthorne, perçue dès son époque comme appartenant, en raison de son goût pour l’allégorie, comme surannée (pour en savoir plus sur l’écriture de Hawthrone, nous vous recommandons la monographie que lui a consacrée Antoine Traisnel : Hawthorne, aux éditions Aux forges de Vulcain).
Ce qui est d’ailleurs intéressant avec notre époque actuelle est que les choses se sont inversées : la littérature dominante est naturaliste, et rétive à la narration comme à l’imagination. La marque de cette complète domination de l’imaginaire littéraire par ces trois croyances est le narcissisme des petites différences qui permet un débat surréaliste, entre lettrés, sur qui ira le plus loin dans le refus du narratif et de l’imagination.
Ainsi donc, après la remise du Goncourt à Eric Vuillard pour L’Ordre du jour (éditions Actes Sud), le magazine les Inrockuptibles a ironiquement salué le triomphe de la « non-littérature », triomphe du sujet et triomphe du récit. En creux, le magazine semble défendre une esthétique sans sujet et sans narration.
Le plus surréaliste, dans cette réserve au sujet de ce Goncourt est que, là où une partie de la critique est capable de voir des différences fondamentales entre Vuillard et Liberati, une très grande partie des lecteurs et lectrices voient deux petites variations au sein d’une proposition esthétique qui est homogène, et les indiffère (je suppose qu’on pourrait supposer que, pour nombre de critiques, Isaac Asimov et Ursula Le Guin, c’est peu ou prou la même chose, une affirmation qui ferait bondir le moindre lecteur de Science-Fiction…).
Bizarrement, la littérature naturaliste est devenue une littérature des gens assis, vaincus par le réel. Ce qui ne se voit nulle part plus clairement que dans cet empilement de romans inspirés de faits réels (Seconde Guerre mondiale, grandes affaires criminelles, etc.). Ce que professe la littérature du réel, c’est l’impossibilité d’un ailleurs. C’est d’autant plus cocasse que le refus de l’allégorie était initialement un moyen pour intéresser les lectrices et lecteurs au réel. Quand Zola écrit sur les ouvriers, c’est dans l’espoir de contribuer à l’amélioration de leur condition.
Ce qui peut sembler curieux chez William Morris, et dont la bizarrerie n’apparaît plus aujourd’hui en raison d’une véritable illusion de perspective, c’est pourquoi cet homme, très engagé politiquement (il a été le fondateur du premier parti communiste britannique), prenne ainsi le contrepied de son époque et réactive métaphores et allégories.
En un sens, c’est son lectorat qui peut nous donner une piste : les romans de fantasy de Morris sont des outils à destination des bourgeois et non pas des ouvriers et ouvrières. L’allégorie permet à chacun de jeter comme un voile d’ignorance sur sa vraie position sociale. C’est une littérature du possible. C’est parce que le monde décrit par ses livres est imaginaire qu’il donne le pouvoir d’imaginer, dans notre réel, un autre monde.
On pourrait nuancer en remarquant que les bons romans, même en littérature générale, sont ceux qui métaphorisent : la distinction ne serait pas entre le genre et la littérature générale, mais dans la manière de représenter l’objet de référence — de manière allégorique ou de manière littérale. Après tout, il y a beaucoup de récits de genre qui sont mauvais car ils ne sont que des cartes postales exotiques : des représentations littérales de mondes imaginaires, où le héros va de combat en combat sans qu’il y ait, derrière tout cela, une pensée ou une écriture.
Peut-être que relire William Morris, et comprendre ce qui l’a amené à voir dans l’imaginaire un moyen d’action sur le réel peut redonner de l’ambition aux littératures de l’imaginaire — ou redonner un sens de l’imaginaire à la littérature générale.
William Morris – La plaine étincelante – Trad.Francis Guévremont - Les forges de Vulcain – 9782373050318 – 19 €
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 16/11/2017
208 pages
Aux Forges de Vulcain
19,00 €
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