ENQUÊTE – Les aides accordées aux éditeurs du Québec inquiètent la profession. Depuis le rapport annuel de la Sodec en 2012, force est de déplorer que non seulement les subventions n’augmentent pas, mais que pour les éditeurs, l’enveloppe se réduit douloureusement. À l’occasion du Salon du livre de Montréal, les langues se sont déliées.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« Le dynamisme de l’édition québécoise provoque ce délicat paradoxe : on compte plus d’éditeurs agréés – donc susceptible d’obtenir des aides – mais le montant budgétaire alloué reste identique. Un plus grand nombre de maisons se partagent donc une somme fragile », souligne Richard Prieur, de Québec Editions.
Entre 2015/2016 et 2016/2017, ce sont 300.000 $ qui font défaut dans les aides à l’édition, peut-on voir dans les comptes de la Sodec, Société de développement des entreprises culturelles. Ce que demandent désormais les éditeurs, c’est une révision du modèle actuel. Lors de la création des aides, un plafonnement fut instauré : 100.000 $ pour l’édition et 25.000 $ pour la promotion.
Nicole Saint Jean, présidente de l’ANEL, l’association des éditeurs, rappelle que les aides sont calculées à partir des ventes et découlent des déclarations faites par l’éditeur à la Sodec, qui actionnera ensuite les leviers nécessaires. En somme, plus on s’en sort, plus on est soutenu.
Le programme remonte à 1995, avec pour vocation de soutenir la littérature québécoise. « Mais dans les faits, même au commencement, le maximum des aides, de 125k$, ne pouvait pas être atteint. Un éditeur percevait 72k$ et 15 à 18 k$ respectivement pour l’édition et la promotion. » Or, au cours des 5 dernières années, avec l’augmentation du nombre d’éditeurs agréés, les soutiens ont diminué : aujourd’hui, personne n’a reçu plus de 59 k$, au global.
« Ces sommes sont d’une autre époque, et le gouvernement ne semble pas saisir qu’elles sont aujourd’hui insuffisantes », nous indique le directeur d’un groupe. Conclusion : les maisons sollicitent de plus en plus l’État fédéral – à travers l’organisme Patrimoine Canada – et le Conseil des Arts, autre organisation fédérale. « À ce jour, 90 % des aides versées proviennent d’Ottawa », poursuit l’éditeur. Autrement dit, de la capitale qui incarne l’État fédéral.
Certes, reconnaît-on, le fédéral a toujours accordé plus de crédits que le provincial, « mais peut-être que les éditeurs se montrent justement trop discrets vis-à-vis du gouvernement du Québec. Ou bien le message ne passe pas ». Préoccupant. D’autant que le risque pour les éditeurs québécois devient évident : finir par dépendre des financements fédéraux. Et perdre une partie de son identité ?
Pas tout à fait, mais l’on s’en approche. De fait, les aides accordées ne concernent que la publication d’œuvres canadiennes : fédéral et provincial n’interviennent en effet que dans la valorisation de la production locale. « Cela n’empêche pas l’étranglement : nous avons besoin d’un rééquilibrage, qui permette de n’être pas si dépendants de ce qu’investit le fédéral. »
Et d’ajouter : « L’État fédéral se montre bien plus généreux pour les maisons très littéraires à travers le Conseil des Arts du Canada, parce qu’il considère qu’il en va de l’identité et de la base culturelle québécoise. On notera cependant que, sur l’ensemble de l’aide fédérale, 50% sont attribués aux éditeurs québécois, notamment parce que sa littérature est beaucoup plus dynamique. De son côté, Patrimoine Canada pousse plutôt la production. »
En effet, le Fonds du livre du Canada, financé par Patrimoine Canada, donne aux éditeurs selon leurs ventes. Plus un éditeur vend, plus il reçoit, peu importe le genre littéraire vendu, mais avec un critère : les ventes admissibles sont celles des auteurs et auteures canadiens. Le Conseil des Arts du Canada finance selon la qualité littéraire, la cohérence de la ligne éditoriale, etc.
Michel Tremblay - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Il en va de même avec les aides à la numérisation de la SODEC: « On nous avait octroyé une subvention pour produire des fichiers numériques, dans un besoin de modernisation de l’industrie et pour aider à la commercialisation de livres numériques. » Mais depuis, cette aide a été coupée sans trop d’explications, et les éditeurs se retrouvent à attendre les soutiens promis. « Cette disparition montre également toute l’importance que le secteur de l’industrie culturelle peut avoir pour le gouvernement », déplore le directeur d’une maison.
Au niveau du Québec, les problèmes politiques s’ajoutent : en l’espace de cinq ans, quatre ministres se sont succédé à la Culture, « pas vraiment un signe de stabilité pour le ministère, tutelle de la Sodec », pointe une éditrice. « Chaque fois, il nous faut reprendre les explications et l’évangélisation. Dernièrement, on a même appris qu’un responsable au cabinet de la Culture ignorait le terme bibliodiversité, c’est éloquent. »
Autre symptôme d’un intérêt à géométrie variable, la visite de la ministre Marie Montpetit qui « était totalement inattendue : Montréal est le plus important événement littéraire de tout le territoire, mais d’ordinaire, les ministres en sont absents et les politiques s’en désintéressent en règle générale ».
Fort heureusement, la ville de Montréal apporte un véritable soutien, notamment au programme Rendez-vous qui a permis cette année de faire venir dix libraires francophones pour leur faire connaître la littérature québécoise et des éditeurs étrangers, et trois traducteurs, en vue de la préparation de Francfort 2020.
Les 2 millions $ récemment annoncés par la ministre de la Culture, ont surtout été perçus comme un saupoudrage alors que l’on entre dans une période électorale – et ne changent rien. Et a contrario, l’affaire Renaud Bray a fait monter la moutarde au nez de beaucoup.
« Lorsque les consultations pour envisager une réglementation de la vente de livres au Québec ont été lancées, nous avons tous, éditeurs, pris le temps de remettre des mémoires. Non seulement nous n’avons pas été suivis, mais le ministère qui a proposé un Plan d’action pour le livre, à l’époque [Hélène David était alors ministre et Luc Fortin son adjoint] nous a fait une réponse dérisoire. En réalité, la campagne de soutien porte avant tout sur les librairies : manifestement, ils ne comprennent pas qui prend les risques dans l’édition », indique la présidente de l’ANEL.
C’est que les 12,7 millions $ alloués en soutien au livre avaient créé des tensions entre éditeurs... et libraires. « Il n’y a pas assez d’argent pour tout le monde, donc on en finit par jalouser celui qui semble en percevoir le plus », regrette Nicole Saint Jean.
Katherine Fafard, directrice générale de l'Association des Libraires du Québec, nuance : « Je m’étonne de cette déclaration, puisqu’à l’époque des représentations pour faire réglementer le prix des livres toute l’interprofession affirmait que lorsque les librairies se portaient mal, toute l’industrie en souffrait. Avec toutes les fermetures de librairies entre 2007 et 2014, il était souhaitable d’aider ce maillon de la chaîne au bénéfice de tous les acteurs. La chaîne du livre a besoin d’un réseau de librairies diversifié à la grandeur de la province. »
Et d'ajouter : « Pour ce faire, le soutien de l’État est nécessaire. Précisons, que l’aide financière moyenne de la SODEC pour une librairie indépendante en promotion en 2016-2017 était de 4 637 $... Impossible de dire que les librairies indépendantes ont raflé le gros lot ! Quant au risque, tenir un commerce physique à l’ère des plateformes web, n’en est-il pas un immense ? »
L’argument avancé par certains éditeurs est connu : 60 % des ventes réalisées dans une librairie découleraient de la production française. « En soi, les libraires sont aidés... pour vendre des livres français et pas québécois. » Cette conclusion plutôt amère n’est cependant pas tout à fait juste.
Dans le mémoire que l’Association des Libraires du Québec rendait, durant les consultations liées à la loi 51, en janvier 2016, on peut lire :
Concernant le pro rata des livres québécois versus les livres étrangers, considérant la production locale (6 000 titres par année, incluant le livre scolaire) et celle qui nous arrive de l’Europe (35 000 titres par année), nous arrivons à un taux de 17% de livres québécois présents sur le marché. L’exigence dans la Loi est de 2 000 titres québécois sur 6 000 titres en stock, soit 33%. Selon les chiffres de l’OCCQ, la part des ventes finales de livres neufs au Québec issue d’éditeurs de propriété québécoise en 2012 était de 56% par des éditeurs du Québec et de 44% par des éditeurs étrangers, représentant 609M$. De ceux-ci, 119M$ sont en manuels scolaires et 490M$ en littérature générale. Pour cette dernière, la part de marché québécois-étrangers est alors 46%-54%. Étant donné la proportion exigée par la Loi (33%) et la proportion des ventes (56% ou 46% selon la catégorie de livres), force est de constater que le livre québécois fait bonne figure.
« C’est un procès sans fondement que cette histoire de subventions », s’agace Élodie Comtois, de Ecosociété. « Évidemment que les libraires du Québec travaillent les ouvrages des éditeurs québécois. Mais s’ils n’avaient que ces titres à disposition, ils plieraient boutique : c’est grâce à la diversité que l’on peut attirer les clients dans les librairies, et certainement pas en focalisant sur l’unique production québécoise. L’édition québécoise doit devenir incontournable aux yeux des libraires, et continuer à se démarquer. Par contre, ce qui est vrai, c’est que nous sommes les seuls à être soutenus financièrement pour notre production québécoise. »
Et d’ajouter : « Dès que nous publions des auteur.e.s étranger.e.s, nous sommes pénalisés. Il y a en effet une iniquité sur les critères de subventions octroyées pour soutenir la production québécoise d’un côté, sans lier le financement aux librairies à une défense des livres québécois. Il n’y a pas de reddition de compte pour les libraires à ce niveau. Quand on voit une publicité de Renaud-Bray sur le dernier de Dan Brown dans le métro, avec le logo de la SODEC en dessous, il y a de quoi grincer des dents…»
La librairie au Québec, comme partout ailleurs, reste par ailleurs maîtresse de ses choix et toutes les structures ont besoin de best-sellers pour vivre.
Reste que tout le monde s’accorde, quand il s’agit de déplorer le manque d’investissement du gouvernement. « Chaque changement de ministre implique de tout réexpliquer. Et alors qu’en 1992, le Plan culturel portait une certaine vision, celui qui est en cours... bien, on ne sait pas trop. D’ailleurs, le prochain plan qui devait être présenté en décembre sera certainement remis à février », se souvient Nicole Saint Jean.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Quant à la Sodec, le changement de directrice ne changera rien : « La société reçoit ses crédits chaque année du gouvernement, sans aucune garantie dans la ventilation, et se trouve presque obligée de pleurer pour avoir les sommes. Il y a un problème d’autonomie qui plus est, dans l’attribution et la ventilation de l’argent. Et chaque année, on redoute de perdre les financements, difficilement obtenus l’année passée », conclut Richard Prieur.
Il faut pourtant souligner que les éditeurs commerciaux reçoivent au final beaucoup d’argent du fédéral via le Fonds du livre, et que personnellement. « Plusieurs petites maisons mériteraient d’être davantage aidées », observe une éditrice indépendante.
Et de poursuivre : « C’est bon que nous ayons une industrie forte. Mais je déplore seul le financement au fédéral se base sur la qualité et la vision littéraire, et que tous les autres paliers de financement ne reposent que sur les ventes. Plus on vend, plus on reçoit. Alors que le conseil des Arts, en aidant des éditeurs dont le projet littéraire et éditorial est clair, a aidé de nombreuses maisons d’édition à se solidifier, que l’on pense au Quartanier, à Alto ou à la Peuplade, par exemple, qui sont maintenant des incontournables du paysage littéraire québécois. »
La grande difficulté, unanimement admise, reste liée intrinsèquement au territoire : « Les éditeurs au Québec doivent composer avec un lectorat limité (il y a quand même la moitié de la population qui est analphabète fonctionnelle), et c’est ce qui explique que l’édition soit autant financée », analyse Elodie Comtois. « Les subventions à l’édition s’expliquent au départ par un bassin de population francophone sur le territoire québécois qui est, par essence, faible (NdR : le Québec compte seulement 8,3 millions d’habitants). À cela s’ajoute une taille du lectorat amenuisé par cet analphabétisme fonctionnel de la moitié de la population. »
C’est aussi pour ça que, depuis de nombreuses années, les éditeurs et les auteurs revendiquent que l’État soit davantage prescripteur et mettent davantage la littérature québécoise au programme du cursus scolaire. « C’est un peu le cas pour le secondaire, mais c’est beaucoup à la discrétion des enseignants. Cet automne, l’UNEQ a d’ailleurs organisé un colloque, Lire pour réussir, pour attaquer de front l’enjeu de la littératie. »
Mais dans ce contexte, plusieurs éditeurs se tournent vers le marché européen pour agrandir leur bassin de lecteurs.trices. C’est le cas de Lux, d’Écosociété, de la Pastèque, et la Peuplade vient d’annoncer avoir aussi signé un contrat avec CED.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Commenter cet article