Thierry Sandre (pseudonyme de Charles Moulié) est né à Bayonne en 1891. Après la guerre, il fonde et dirige, avec José Germain, l’Association des écrivains combattants, et il publie une Anthologie des écrivains combattants en cinq volumes aux éditions Edgar Malfère d’Amiens. À dix-sept ans, il avait débuté dans le journalisme au Gil Blas et à Comœdia, époque à laquelle il est le secrétaire successivement de Binet-Valmer, de Gilbert de Voisins et de Pierre Louÿs.
Le 21/01/2018 à 09:00 par Les ensablés
Publié le :
21/01/2018 à 09:00
De François Ouellet
Mobilisé, il est lieutenant au 7e régiment de tirailleurs algériens lorsqu’il est fait prisonnier à Verdun. Par ailleurs membre de La Ligue des droits du religieux ancien combattant (DRAC), royaliste et admirateur de Charles Maurras, il adhère à l’Action française au début des années 1930. En 1937, il est reçu, sous le nom de frère Henri Dominique, au Tiers Ordre de Saint-Dominique, dont sont aussi membres l’essayiste Henri Massis, fondateur avec Jacques Banville de La Revue universelle, et l’écrivain Henri Ghéon, ami intime de Gide et un des fondateurs de La Nouvelle Revue française. Partisan du régime de Vichy et auteurs d’un ouvrage favorable aux Allemands portant sur la bataille de France (mai-juin 1940), Calendrier du désastre d’après les documents allemands (Aux armes de France, 1942), puis d’un livre défavorable aux Anglais, Lettre sans humour à sa majesté la reine d’Angleterre (Jean-Renard, 1943), Sandre sera inscrit sur la liste des écrivains interdits au lendemain de la Libération.
En 1924, Sandre est lauréat du prix Goncourt pour son roman psychologique Le Chèvrefeuille (Gallimard), histoire d’un homme qui, pour fuir la femme qu’il aime mais dont la jalousie le tyrannise, profite de la guerre pour se faire passer pour mort. Sandre avait auparavant publié trois romans aux éditions Malfère : Mienne (1923), Mousseline (1924) et L’histoire merveilleuse de Robert Le Diable (1925). En même temps que Le Chèvrefeuille, l’Académie Goncourt récompense deux autres de ses ouvrages : Purgatoire, récit qui avait d’abord paru dans le journal La Liberté et dans lequel Sandre relate ses années de captivité en Allemagne, et sa traduction du treizième chapitre du Banquet des savants d’Athénée, grammairien grec de l’Antiquité classique. À ce sujet, traducteur autodidacte du grec (les Épigrammes de Rufin) et du latin (Le Livre des baisers de Jean Second, Les Amours de Faustine de du Bellay), Sandre confiait à Frédéric Lefèvre, dans Les Nouvelles Littéraires du 13 décembre 1924 : « je ne suis pas éloigné de penser que mes traductions sont la partie la plus importante de mon œuvre ».
Deux ans plus tard, au moment où paraît le dernier tome de l’Anthologie des écrivains combattants, Sandre publie un nouveau roman, dont le ton et la visée sont complètement différents du Chèvrefeuille, puisque Panouille (Gallimard) se présente comme une satire du communisme.
Panouille doit son titre au héros éponyme du roman, un canonnier-conducteur qui fait son service militaire dans une ville ouvrière de province. Le lieutenant demande des volontaires pour aller combattre auprès des troupes coloniales en Sud-Algérie. À un copain qui lui demande s’il est partant, Panouille répond agressivement : « Du flan ». Les choses en seraient restées là si Panouille n’avait pas renouvelé son juron avec insistance ; ce qui lui vaut quatre jours de prison. Panouille n’est pourtant pas une forte tête ; au contraire, c’est un « simple », un type inoffensif et sans instruction qu’on aime bien taquiner. Avant de faire son service, il était valet de ferme, et il ne désire qu’une chose : y retourner pour épouser Marguerite, la fille qui est chargée des travaux de la cuisine et qu’il revoit lors de ses permissions.
Toutefois, des compagnons de Panouille ont décidé de monter en épingle son arrestation ; dans une lettre qu’ils envoient à L’Humanité et à L’Ami du peuple, ils prétendent que Panouille a été emprisonné en raison de sa dénonciation de la guerre coloniale et du « militarisme bourgeois » et le présente comme un résistant communiste. L’histoire s’envenime rapidement : les canonniers s’en mêlent en s’opposant aux autorités militaires, L’Ami du peuple monte un Comité d’Action et le député communiste Vaillant-Couturier interpelle le président du Conseil, ministre de la guerre, et Panouille devient un « martyr du Prolétariat ».
Celui-ci, évidemment, ne comprend strictement rien à ce qui lui arrive, abasourdi qu’il est par les griefs de communisme, antimilitarisme, bolchévisme, pacifisme que le colonel inscrit à sa charge et qui dans tous les cas paraissent à Panouille sans commune mesure avec son délit. De là naît l’Affaire Panouille, qui fait planer sur la France, au lendemain de la fatigue de la guerre (l’histoire se situe vers 1920), la menace bolchéviste, et qui saisit toute la classe politique. Les proportions de l’Affaire inquiètent Panouille, qui, tout simple qu’il est, sait bien que d’être nommé à la Chambre par de si hauts personnages n’augure rien de bon. « Il savait de science plus certaine qu’il passerait devant les officiers du conseil de guerre et il eût préféré passer devant eux en accusé moins illustre. »
L’avocat chargé de la défense de Panouille, député cauteleux qui ne plaide que pour les martyrs du Parti, cherche davantage à faire l’apologie du communisme qu’à défendre réellement son client. « N’oublions pas que l’affaire du collier a été l’une des causes actives de la Révolution de 89 », dit-il à Panouille, lequel se demande bien de quel collier on parle et ne songe en réalité qu’à être acquitté et retrouver Marguerite. Mais celle-ci est maintenant fiancée, tandis que Panouille est condamné ; car s’il n’a rien fait de grave, la querelle politique qui se fait sur son dos ne peut qu’aggraver son cas. Panouille acquiert cependant une gloire inégalée, alimentée par des manifestations et grèves multiples, situation décalée à laquelle il finit cependant par s’attacher, ému par les injustices dont on le dit victime. En outre, alors que son affaire échappe maintenant à la justice militaire et qu’il devient un prisonnier politique, Panouille voit dans la volonté du Parti de le conduire jusqu’à la députation l’occasion de retrouver l’affection de Marguerite.
Seize mois plus tard, celui qui avait d’abord été condamné à quelques jours de prison pour un mot maladroit, est enfin libéré. Son avocat l’amène à une assemblée communiste, où, à son arrivée, tous se mettent à chanter l’Internationale. Mais son moment de gloire ne dure pas, car livré à lui-même, Panouille ne saurait faire illusion longtemps. Déchu de son piédestal, « cette nouille de Panouille » aboutit, dans les dernières pages — elles sont le comble de l’ironie —, chez son avocat qui, après avoir écouté les doléances de son ancien client, prétend le consoler : « Au revoir, Panouille. Et, tu sais, si tu as jamais des ennuis, n’hésite pas à nous appeler : le parti te défendra, comme il t’a défendu. Ne l’oublie pas ! » « Merci, dit Panouille, le cœur gros. » Et l’avocat de lui glisser un billet de vingt francs.
Le roman de Sandre est tout entier une satire mordante du communisme. La caricature politique est sans doute un peu grosse, mais cela fait partie des règles du genre, et il faut reconnaître que le roman assez réussi : l’observation est fine, l’humour porte, le souci de l’effet recherché est mis en valeur par l’économie de l’écriture. On ne se perd pas dans l’inutile, Sandre ne déviant pas de la voie qu’il a choisie et qu’il creuse tant qu’il peut. Lorsque Panouille est conduit à l’assemblée communiste par son avocat, Sandre écrit ces lignes (mais assez convenues) : « Qui fut entré à ce moment dans la salle, eût pu se croire entré dans quelque église d’un culte nouveau à l’heure d’une cérémonie exceptionnelle. Mais l’estrade réservée aux orateurs n’était pas un autel : elle avait des airs de théâtre. » L’image décrit bien la forme même du roman : derrière la comédie, l’ironie, l’absurdité de la situation, quelque chose de sérieux se joue, c’est-à-dire la manipulation démogogique d’êtres candides et crédules comme Panouille. La bourgeoisie capitaliste ne manipule sans doute pas moins que les politiques communistes ; mais tel n’est pas le propos ici, et il faut prendre le roman tel qu’il est.
La satire politique constitue un sous-genre romanesque à part depuis Voltaire et Swift. Les bouleversements et turpitudes politiques le nourrissent naturellement. Dans cette perspective satirique, l’auteur part parfois d’une simple anecdote qui prend progressivement des proportions politiques, qu’on pense par exemple à Crainquebille (1901) d’Anatole France ou au fameux Clochemerle (1934) de Gabriel Chevallier. L’anecdote qui donne forme aux malheurs de Panouille en vaut bien d’autres, à ceci près qu’elle se situe à droite ; la satire croise ici, pour rester dans la période qui m’occupe, et dans l’esprit des ensablés, des romans comme Bacchus roi (1930) de René Bonnefoy (plus connu pour ses romans d’anticipation sous le pseudonyme de B. R. Bruss), sorte de farce rabelaisienne sur la corruption des mœurs politiques et bourgeoises, et La Nouvelle Arcadie (1934) de Maurice Bedel, autre charge contre l’idéologie communiste.
François Ouellet — Janvier 2018
Thierry Sandre - Panouille - Gallimard - 978070257423 - Epuisé.
Par Les ensablés
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