Suite à la polémique autour de la réédition des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline, les éditions Gallimard ont pris, clairement à regret, la décision de suspendre ce travail de publication. Du côté de ceux qui critiquaient ou s’insurgeaient, depuis l’annonce de la réédition, un soulagement temporaire a remplacé tout sentiment d’indignation.
Le 12/01/2018 à 12:01 par Laure Besnier
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12/01/2018 à 12:01
Céline, Domaine public
Antoine Gallimard a choisi de suspendre cette réédition, après plusieurs semaines de polémique. Il indique cependant à ActuaLitte que sa décision ne relève que « d'une suspension temporaire : le projet n'est pas annulé ». Pour l'heure, donc, la réédition prévue des pamphlets Bagatelles pour un massacre, L'École des cadavres ainsi que Les Beaux draps n'aura pas lieu. L’éditeur déplore d'ailleurs « la campagne de pression exercée sans même que l’ouvrage n’ait pu être présenté ».
Par ailleurs, il précise, contrairement à ce qui avait été écrit dans la presse, ne pas avoir reçu de convocation et s'être volontairement rendu de son propre chef à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), placée sous l’autorité du Premier ministre. Et ce, pour expliquer le projet éditorial, « alors que l'on trouve aisément et sur plusieurs sites internet, les textes en libre accès ».
Antoine Gallimard explique avoir particulièrement apprécié « le soutien qu’a pu apporter le Premier ministre. Je regrette d'autant plus de devoir suspendre la parution que le chef du gouvernement avait bien vu en Céline un écrivain dont la place est centrale dans la littérature française ».
Du côté de ceux qui luttaient contre la réédition des pamphlets de Céline, c’est le soulagement. Serge Klarsfeld a expliqué à l’AFP : « Je suis soulagé. C’était une bataille difficile à gagner, car elle ne se passait pas devant des magistrats, mais devant la société. » De même, Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) s’est déclaré satisfait de cette suspension.
Mais un soulagement temporaire ? Si la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) salue dans un communiqué une « décision responsable », elle indique que la question risque de se poser à nouveau en 2031, lorsque l'oeuvre de Céline entrera dans le domaine public : « Face aux éditions de propagande qui ne manqueront pas d’être diffusées par les antisémites, et qu’il faudra combattre, un travail critique [...] sera nécessaire dans un seul objectif : déconstruire, mot à mot, l’antisémitisme violent dans lequel la plume de Céline a été trempée. »
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD, Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation, explique à ActuaLitté qu’il regrette, qu’une fois de plus, la communauté juive ait à se défendre : « On ne peut pas décemment ne rien dire, face à la réédition des pamphlets de Céline. Mais comment est-ce que l’on en arrive à faire de ces textes un produit marketing d’appel, surfant sur l’antisémitisme ? »
Un appel à la haine peut-il être si aisément commercialisé dans les librairies ? « Personne ne peut avoir envie de voir des textes qui appellent à la mort des juifs vendus. Il s’agit bien là de remettre sur le marché et dans les mains des lecteurs, des ouvrages dont les morceaux sont clairement identifiés comme antisémites. »
Et le secrétaire général de déplorer qu’il « faille passer notre temps à nous défendre, en tant que minorité, quand d’autres minorités bénéficient spontanément du soutien public. Nous travaillons de notre côté à la transmission de la mémoire, avec des programmes pédagogiques pour déconstruire la discrimination. À quoi rime de saper notre action, en revendiquant la liberté d’expression, alors que l’on parle d’appel à la haine ? »
La CICAD avait d’ailleurs, au moment de la commercialisation de Mein Kampf en Suisse, proposé une brochure, gratuitement offerte à tout client qui se procurait l’ouvrage. Un matériel pédagogique, sous la forme d’un fascicule « édité par nos soins, intitulé Auschwitz, et qui traite de façon synthétique de ce pan de l’histoire ». Mais tous les libraires du territoire n’avaient pas nécessairement joué le jeu.
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