ENQUÊTE – Partir à la recherche d’un éditeur représente une gageure, qui se heurte majoritairement à une lettre de refus. Une lettre type. L’auteur désœuvré y apprend ainsi que son manuscrit ne correspond pas à la ligne éditoriale de la maison. Avant, les échanges s’arrêtaient là. Désormais, on renvoie les auteurs vers des plateformes d’autopublication... ou presque.
Le 08/02/2018 à 12:53 par Nicolas Gary
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08/02/2018 à 12:53
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L’affaire a débuté voilà au moins deux ans : dans des lettres de refus types reçues, les auteurs sont poliment éconduits – le classique. Mais on leur fait savoir que des « solutions alternatives de publication » existent. Et mieux encore : si l’aspirant auteur y souscrit, il lui sera possible de commercialiser son livre en version numérique.
Le service des manuscrits envoyant ce courrier propose même un code de promotion, pour inciter l’auteur à tenter l'aventure. Une forme de recommandation, aux multiples implications. « On pensait avoir atteint le fond, mais finalement on découvre qu’il est possible de creuser plus encore », se désole une auteure ayant reçu ce courrier.
La plateforme évoquée par le courrier n’est autre que Librinova, dont les services commerciaux commencent à partir de 120 € pour mise en vente d’un livre numérique et le suivi des ventes pour 6 mois. L’ebook sera alors vendu dans 200 sites de libraires. Et suivant les formules forfaitaires, on peut monter jusqu’à 950 € ; s’ajouteront alors la vente d’une version papier, référencée dans 5000 librairies, l’envoi d’un communiqué de presse, etc. [NdlR : deux packs à 50 et 75 €, suivant le nombre de mots du livre soumis existent également, voir ici]
Pour information, le service de relecture approfondi est facturé 2033 € pour un manuscrit que nous avons soumis – qui n’était autre que La recherche du temps perdu... Voilà près de deux ans, suivant les éléments que l’on trouve sur la toile, les lettres de refus proposaient un code promotionnel offrant six mois de suivi de ventes – 90 € d’économisé. Cela pouvait également être une remise de 150 €.
Or, le code promotionnel permet également à la maison de disposer d’un suivi des ventes – et donc de garder un œil sur l’ouvrage refusé. Il se présenterait comme une caution, garantissant un début d'intérêt : le livre a un potentiel, mais pas assez pour que l’éditeur s’y risque. S’il vient à dépasser un certain nombre de ventes, alors l’avis peut basculer.
Justement, quand un ouvrage vendu via Librinova s’écoule à plus de 1000 exemplaires, la société change de casquette et devient alors agent littéraire, avec 20 % de commission. Le livre sera ainsi soumis à des maisons.
« Ce qui est incroyable, c’est qu’ils cherchent en plus à capitaliser sur le dos des manuscrits qu’ils refusent... plus aucun garde-fou quand il s’agit du moindre petit profit... », déplore un illustrateur. Et sur les forums le discours reste identique.
Charlotte Allibert, cofondatrice de Librinova, explique à ActuaLitté que la procédure fut mise en place voilà près de 18 mois, « avec plusieurs maisons qui sont toutes nos partenaires – nous sommes en relation de par notre programme d’agent ». En tout, donc, quatre à cinq éditeurs, ont déployé cette solution, « mais cela ne tourne pas autour d’un accord financier », garantit-elle. En réalité, il y a bien un accord commercial, mais pas à proprement parler sur l'envoi de ces courriers de refus.
L’objectif est surtout incitatif : « Quand une maison refuse le manuscrit d’un auteur, elle peut suggérer intelligemment des solutions d’autopublication. C’est tant une alternative pour les maisons que pour celles et ceux qui leur ont proposé un manuscrit. »
À ce jour, 15 % des 600 auteurs que compte Librinova ont été recrutés par l’intermédiaire de cet outil. Un ratio finalement assez faible, si l'on envisage les milliers de manuscrits qu'ont pu recevoir (et refuser) quatre à cinq maisons sur cette période. « Et bien entendu, nous travaillons avec les maisons, si le livre dépasse les 1000 ventes numériques, et entre alors dans notre programme d’agent. On leur enverra le livre, mais elles n’ont pas un privilège d’accès. »
Un éditeur avisé nous fait observer : « Les coûts d’envoi de plusieurs manuscrits à des éditeurs finissent par devenir très importants : si l’on envoie cinq ou dix exemplaires, cela se chiffre en dizaines d’euros. Le coût d’accès à un programme d’autopublication finalement, n’est pas si élevé, puisque c’est l’assurance de voir son manuscrit accepté. Évidemment, cela finit par ressembler plus à du compte d’auteur qu’à une prestation d’autopublication. Mais après tout, les gens savent ce qu’ils font. Et s’ils ne souhaitent pas payer, alors ils trouveront d’autres prestataires. »
art_inthecity, CC BY 2.0
Depuis 2015 – et non 18 mois comme le disait Librinova –, chez Fleuve Editions a recours à cet outil. Le périmètre du partenariat est « très défini », assure Marie-Christine Conchon, PDG d’Univers Poche. « Fleuve avait la volonté de redynamiser le service des manuscrits : nous avions besoin d’outils plus efficaces, dans la gestion des ouvrages reçus autant que dans la nature des réponses apportées. »
Pour ce faire, Librinova a fini par développer un système de gestion en ligne, simplifiant la vie de l’éditeur. Un formulaire de dépôt de manuscrits est disponible en ligne, entièrement créé par le prestataire. Les livres arrivent sous forme de fichier à l’éditeur, qui effectuera par la suite sa sélection. C’est une fois traité – accepté ou refusé – que l’outil va rendre la main à Librinova.
« Un courrier de refus sera donc accompagné par la proposition, à l’auteur, de se tourner vers les services de la société, pour bénéficier de cette formule d’autopublication », indique Marie-Christine Conchon. « Il nous a semblé intéressant de proposer cette alternative aux auteurs, plutôt qu’un refus classique. »
Le coût d’utilisation du back-office et de la prestation ne sera pas dévoilé. En revanche, l’éditeur par lequel est arrivé le manuscrit recevra bien une alerte si les ventes du livre venaient à dépasser les 1000 exemplaires en numérique, « selon le circuit d’où il provient ». Autrement dit, le fameux suivi que le code promotionnel offre aux différents éditeurs partenaires de ce service.
Quant à cette barrière forfaitaire, imposée par Librinova, la PDG d’Univers poche précise que c'est une option proposée aux auteurs, et qu'« il est surtout important de souligner que nous collaborons avec un acteur de confiance, qui traite correctement les auteurs. Leur solution est complète, et apporte une réponse innovante et convaincante. Nous avons là un outil plutôt vertueux ».
Fleuve a d’ailleurs publié son premier auteur, issu de ce circuit : Denis Faïck, avec La belle histoire d’une jeune femme qui avait le canon d’un fusil dans la bouche. Si l'on apprécie la transparence dont fait preuve l'éditeur, tout porte à s'interroger sur les réponses qu'a fournies Librinova, demeurées bien plus évasives.
Pierre Dutilleul, directeur général du Syndicat national de l’édition l’avait expliqué à ActuaLitté : « L’autopublication représente une véritable réalité qu’il n’est pas possible d’ignorer pour les éditeurs, compte tenu de la masse qu’elle représente. C’est également un chiffre d’affaires qui deviendra significatif à l’avenir. Mais, bien évidemment, nous parlons d’un métier qui est totalement différent de celui de l’éditeur. »
Ce segment, longtemps ignoré – ou passé sous silence – se trouve désormais très surveillé. De plus en plus, le marketing des maisons joue sur l’histoire d’un livre, en expliquant qu’il vient d’une auteure qui l’a publié par elle-même.
Pour Henri Mojon, fondateur des Éditions du net, plateforme offrant des services d’autopublication et d’impression à la demande pour des acteurs comme l’Insee ou l’Observatoire français des conjonctures économiques, la démarche est bancale. « Il est très bien qu’on indique aux auteurs qu’il existe des méthodes de publication autres que celle passant par des maisons d’édition. »
Pour autant, « si cela se faisait dans l’intérêt de l’auteur, on conseillerait des plateformes gratuites. En l’état, si l’on doit s’acquitter d’un ticket d’entrée, on entre dans le domaine du compte d’auteur – quel que soit le montant initial ».
Mais Henri Mojon reste perplexe : « Dans le contexte des offres qui existent pour entrer dans l’autopublication, demander de l’argent aux auteurs, c’est irrespectueux. L’autopublication, c’est gratuit pour l’auteur : dès lors qu’il lui est demandé de payer quelque chose, c’est du compte d’auteur. Et cette discrimination par l’argent n’est pas normale, alors que l’autopublication incarne justement une démocratisation de la publication. »
En somme, il s’agirait là d’une question tant morale que commerciale : « Un modèle qui repose sur un financement apporté par l’auteur est un aveu douloureux à comprendre pour les écrivains. D’un côté, le prestataire reconnaît que le modèle économique reposant sur la vente de livre est, sinon insuffisant, du moins pas pleinement crédible. De l’autre, les auteurs doivent s'interroger avant de s'engager : quelle confiance une plateforme accorde à la vente de livres, avec cette orientation ? »
À orienter les auteurs vers l'indépendance, ne les pousse-t-on pas vers l'hégémonique Amazon et son programme Kindle Direct Publishing, solution numérique gratuite ?
31 Commentaires
Zoe Gilles
10/10/2020 à 00:23
Lecture intéressante : https://journals.openedition.org/ticetsociete/3274
La société "évolue", disons plutôt qu'elle explose:-) Les gens écrivent de plus en plus. Les maisons d'édition ne peuvent pas suivre. Les solutions proposées comme celles de Librinova, bien plus rémunérantes que celles des grandes ME, sans oublier la conservation des droits d'exploitation, sont à étudier. Reste à tester la qualité des services proposés (résumé, etc.).
GABY
16/02/2021 à 10:02
Je suis extrêmement contrarié. Je viens de recevoir une réponse négative de la part d'une maison d'édition. Effectivement si nous ne recevions que des réponses positives se serait trop beau. Ce n'est pas cela qui me contrarie le plus. Dans leur mail de réponse cette maison d'édition me fait savoir qu'ils ont transmis mon manuscrit a une autre. Leur message est le suivant" nous nous sommes permis de transmettre votre manuscrit aux éditions p......... Et de quel droit se permette t'il de le faire sans m'avoir consulté? Heureusement j'ai pris bien soin de protéger mon manuscrit. La maison d’édition ou il a été transmis n'aurait jamais été un choix volontaire de ma part, même si cela aurait été l'ultime recours pour être publié. Dans la mesure ou mon écrit est encore pleinement ma propriété avait t'il le droit d'agir ainsi. Une réponse a ce sujet par mail serait appréciable Merci
Van Eeckhoutte
21/01/2023 à 18:19
J'ai déjà refusé le manuscrit d'un auteur, lui ayant proposé de s'autoéditer. Et il s'en est sorti très bien. Il fait d'ailleurs souvent des séances de dédicaces...
Laurent Tournesac
25/04/2023 à 21:44
Bonjour, je viens d'écrire un livre sur les manuscrits refusés, intitulé "Cher Monsieur l'éditeur", publié par les éditions du Cherche Midi (2023). Il vous intéressera sans doute.
Bien solidairement et amicalement,
Laurent Tournesac
https://www.facebook.com/laurentournesac