« La question des rémunérations des écrivains touche le cœur de notre travail. » C'est ce que disent Olivier Chaudenson, directeur de la Maison de la poésie, et Bertrand Morisset, directeur de l'agence Tome 2. Grands absents du débat autour de la redevance réclamée par la SCELF pour la lecture publique, les organisateurs d'événements littéraires sont pourtant en première ligne. Retour sur une situation qui pourrait dégénérer.
D’autant que le produit de la taxe risque d’être bien maigre pour les auteurs : après déduction des frais de fonctionnement de la SCELF, l’éditeur conservera sa part et versera éventuellement le restant à l’auteur (si ses ventes sont parvenues à couvrir son à-valoir)… Mais la machine se met en route et les rendez-vous promis par la SCELF n’arrivent pas – alors que les courriers réclamant des sommes pour lecture publique, oui. Jusqu’à l’absurde parfois. Ainsi, durant le off de Manosque, fut réclamée l’adresse d’un habitant qui avait fait une lecture dans la rue. Médiatisée, elle avait attiré l’attention de l’organisme…
« Quand La Grande Sophie et Delphine de Vigan expérimentent une lecture musicale pour le festival littéraire Tandem à Nevers puis la présentent à la Maison de la Poésie, nous jouons le rôle de laboratoire créatif, d’incubateur. Il se trouve qu’à la suite de cela, un producteur intervient pour que cela devienne un spectacle en finançant un temps de résidence puis en organisant une véritable tournée. On bascule alors dans une autre économie qui peut assumer une redevance sur les recettes. Au fond, on revient dans le périmètre qui est celui des adaptations scéniques et pour lequel agissait la SACD avant l’arrivée maladroite de la SCELF sur ce champ. »
Sans même prendre en compte toute la paperasserie que l’organisme impose pour les déclarations…
Pour le directeur de l’agence Tome 2, Bertrand Morisset, c’est un constat politique qui s’impose : « Le grand débat qui va agiter la France et la chaîne du livre en France, ce sont la rémunération et le statut des auteurs. » Et de réaffirmer, avant toute chose, qu’il faut écouter les auteurs. « Nous sommes, avec la loi Beaumarchais de 1957 dans un système vertueux, qui a prouvé sa valeur. La loi du 11 mars a permis de structurer le droit d’auteur, et d’apporter aux créateurs une certaine sécurité. » Depuis, le monde a changé. Et la reconnaissance des métiers se fait plus grande.
« La chaîne doit, c’est impératif, se structurer en aval, pour garantir cette tranquillité sociale, culturelle de l’auteur, et lui garantir un statut. Nous avons tous besoin que les créatrices et créateurs disposent des meilleures conditions réunies pour aboutir à des livres qui susciteront le désir. » Vivre mieux, pour écrire mieux, en somme. L’équation semble évidente.
Il reviendrait alors au Syndicat national de l’édition de pouvoir construire, sinon participer, à ce mieux-être. « Les auteurs parient, quand leur livre est publié, sur des ventes entre 1000 et un million d’exemplaires. Et l’on sait qu’il y aura plus d’auteurs à 1000 qu’à un million. Cela insiste sur la nécessité de mieux considérer les auteurs qui feront de petites ventes. Les auteurs font vivre toute la chaîne du livre, tous les auteurs. Pour cela, ils ont besoin d’un statut a minima. »
Et de revenir : « Tout la chaîne souffrira de ce que les auteurs soient mal considérés maltraités, malheureux – ou décident de faire des grèves. Cela porterait préjudice à tout le monde, y compris au lecteur. Tout comme les gardiens de prison ont déposé les clefs des cellules pour protester, dans le cadre d’une grève, les auteurs pourraient, de guerre lasse, déposer leur stylo. » Si le contrat signé représente l’assurance d’une considération, cette dernière ne suffit plus : « On doit faire mieux et plus pour les auteurs. »
La SCELF entend appliquer une taxe pour les lectures, et s’appuie sur l’article L-122-4 pour justifier sa démarche. « Je me demande comment un nouveau code des usages pour les illustrations photographiques a pu être signé, alors que cet article de loi, lui, ne serait pas amendable », questionne le patron de Tome 2.
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Pour autant, la SCELF est dans son plein droit, dans l’encaissement et la répartition. Simplement, « de quoi parle-t-on avec cette histoire ? Les bibliothèques sont exemptées, très bien. Les libraires n’ont jamais eu à payer, c’est entendu. Mais les festivals littéraires, qui sont le poumon culturel dans les régions, eux, seraient moins importants, et pourraient être taxés ? »
« Un festival ne vit que par sa qualité culturelle. La question à se poser est simple : que va-t-on devenir ? Mais surtout, comment traite-t-on les auteurs, qui n’ont pas même été sollicités pour cette redevance ? Demander aux représentations publiques qu’elles rémunèrent les auteurs est sain, sous réserve qu’ils soient consultés au préalable. »
Mais voilà : demeurent les mêmes problématiques. Comment la SCELF et les éditeurs qui la constituent, ont-ils accordé une exemption originelle aux libraires ? « Heureusement, la ministre s’est prononcée, et pour l’heure du conte, a réaffirmé la nécessité d’une exemption. Mais qu’en est-il des festivals littéraires ? Les prend-on pour la dernière roue du carrosse, alors qu’ils sont vecteurs d’un dynamisme profitant à tous : ils favorisent le travail des éditeurs, de l’auteur, du libraire qui réalise les ventes, les médias, mais en fin de course, le plus important, cela profite aux visiteurs. »
Conclusion : « Les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est une exemption pour tout le monde. » Bien entendu, la SCELF est habilitée à demander une perception à tout moment, mais « quelle est la réalité économique de ce pactole dont on parle ? Une lecture de rue ou celle faite devant un public de cent personnes est taxée 30 €. Sur une année, quel est le montant final ? Quelques centaines de milliers d’euros, pour n’avoir finalement fait qu’impacter l’enjeu sociétal que représente la lecture ? »
Au cours des dix dernières années, note Bertrand Morisset, les coûts ont été démultipliés pour les organisateurs d’événements – notamment pour ce qui touche à la sécurité. « La prise de conscience et le soutien qu’apportera le CNL en sont une preuve. » Est-il raisonnable, ou pertinent, d’ajouter un coût qui n’a aucune consistance économique ? « Qu’on nous lâche : laissez-nous faire des salons magnifiques, qui mettront les auteurs en contact avec leurs lecteurs, et les inciteront à produire un nouveau livre, plus beau, plus inspiré. »
Et de poursuivre : « Quand on en arrive à se demander combien on pourrait taxer une manifestation, pour une lecture faite par un auteur, c’est une histoire de cornecul, de cornegidouille. Qu’on réfléchisse plutôt à la manière de lever 50 millions € pour que les festivals rémunèrent plus encore les auteurs et les éditeurs. Que les visiteurs viennent gratuitement, assister à de belles rencontres, qui raviveront l’envie de lire, le goût des livres. »
Le temps et l’énergie investis dans les négociations aujourd’hui, démontre l’absurdité de toute cette démarche. « Nous sommes, nous organisateurs, responsables redevables de l’argent public, donc des impôts des français, qu’on nous confie. Et notre mission est de transmettre ce plaisir que donnent les auteurs. Qu’on exonère tout le monde, durant cinq ans, et ensuite, réfléchissons ensemble... »
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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