Déposer sa candidature à l’Académie française est logiquement possible pour toute personne – sans limitation aucune, sinon l’âge : avoir moins de 75 ans le jour du dépôt de candidature. Jean Martin, lycéen de 16 ans, remplissait largement ce critère. Pourtant, sa candidature « a été regardée comme irrecevable ». Quid ?
Le 13/02/2018 à 13:41 par Nicolas Gary
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Publié le :
13/02/2018 à 13:41
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Audrey Xavier Brulu, CC BY SA 2.0
Dans un courrier émanant de l’Académie, et qu' ActuaLitté a pu consulter, le Quai de Conti souligne que dans « les circonstances de l’espèce et eu égard aux termes de votre lettre, qui comporte de nombreuses expressions en langue anglaise », la candidature n’était pas valide. Le courrier, signé par Jean-Mathieu Pasqualini, directeur de cabinet du secrétaire général de l’Académie, ne laisse planer aucun doute.
« Donc, l’Académie a considéré que ma lettre n’était pas écrite en français ! Dans les règlements/statuts, aucun article n’interdit les anglicismes ou le langage moderne/urbain ; et aucun article n’impose l’utilisation d’un français “classique” », s’interroge Jean Martin.
Et de reprendre l’ensemble des différents statuts qui encadrent l’Académie, pour tenter de comprendre : « Le premier article (des statuts de 1635) demande à celui qui est “reçu” d’être “de bonnes mœurs, de bonne réputation, de bon esprit et propre aux fonctions académiques”. Dans mon cas, il n’est pas question d’être reçu, mais d’admettre une candidature. »
Or, même à envisager que la lettre pourrait laisser accroire que le jeune garçon n’est pas fréquentable, et « démontre mes mauvaises mœurs, ma mauvaise réputation, mon mauvais esprit, on ne peut pas refuser ma candidature (c’est, d’ailleurs, pour cela qu’on ne refuse pas les candidats négationnistes ou les candidats n’ayant jamais publié) ».
Tout cela va plus loin, souligne-t-il à ActuaLitté : « Les articles XXIII et XLIV, interdisant l’utilisation de “termes licencieux ou libertins” et veillant au respect de “l’orthographe”, ne s’appliquent qu’aux Académiciens – ce que je ne suis pas lorsque je candidate. »
Et de poursuivre dans le burlesque : « Plus globalement, même si le rôle de l’Académie est de travailler le français (article XXIV), rien n’oblige le candidat à rédiger sa candidature en français (et, encore moins, à respecter des normes stylistiques quelconques). De plus, aucune règle n’autorise l’Académie française à statuer sur la recevabilité d’une candidature. »
L’institution, indépendante de l’État depuis le 18 avril 2006, n’est par ailleurs soumise qu’à son propre règlement, lequel ne « justifie aucunement le refus de ma candidature ». On s’amusera d’ailleurs d’apprendre (Article XLVII) que les Immortels sont soumis à une omerta terrible : s’ils venaient à dévoiler quoi que ce soit, « concernant la correction, le refus d’approbation ou tout autre fait de cette nature, qui puisse être important au général ou aux particuliers de la Compagnie, sur peine d’en être bannis avec honte, sans espérance de rétablissement ».
On pourra se pencher sur le règlement intérieur, à cette adresse, ou les statuts, à celle-ci.
Contactée par ActuaLitté, l’Académie française estime « ne pas avoir à se justifier sur sa décision », et fin de la conversation. En revanche, nous avons demandé si d’autres refus de candidatures avaient été consignés – la réponse nous proviendra prochainement.
Ce qui conduit Jean Martin à déplorer que « pour l’Académie française, le langage urbain (c’est-à-dire le français qui emprunte à l’anglais, à l’arabe, à l’argot,...) n’est pas français. Et, comme pour mieux exprimer sa haine du “français populaire”, l’Académie outrepasse ses droits ! »
Dans son célébrissime dictionnaire, il est vrai que les mots issus de l’anglais ne sont pas nombreux. On retrouve en effet toast, sandwich ou club, voire docker, mais pour autant gentleman a toute sa place, interview s’y trouve référencé... bref, les emprunts existent.
Pour ce qui est de l’argot, c’est plus compliqué : braquemart figure bien dans la 8e édition du dictionnaire, mais pour évoquer une épée courte, et non... autre chose. Le cancre, en ce qu’il évoque le crabe, oui, et par analogie l’élève qui ne veut rien faire... Etc.
« C’est de son bouillonnement, de son foisonnement, de son mouvement que naît la beauté de notre langue », achève Jean Martin, déçu. Dans son courrier, l’aspirant l’avait pressenti : « Bon, j’te l’dis : Je postule [...] mais j’suis ap dèbe : j’sais qu’j’vais me planter et que je serai ap selected. » Fulgurance... On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, mais on peut sérieusement avoir les boules, à 16, de se faire refouler par des Immortels.
A ce jour, et les candidatures s’arrêtant quatre semaines avant la date de l'élection (ce 8 mars), plus aucune ne pourra être retenue pour le fauteuil d’Alain Decaux,
Pierre Perpillou
Michel Borel
Patrick Grainville
Dominique-Marie Dauzet
Michel Carassou
Yves-Denis Delaporte
Isaline Remy
Carolina Steiner
Eduardo Pisani
Roger-Gérard Schwartzenber
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
Kate
15/02/2018 à 09:57
Quelle belle intelligence ! Quelle belle jeunesse ! Merci Jean-Martin pour tant de finesse !