On dit d’un éditeur qu’il est à l’image des livres qu’il publie : voyons voir ! Dans le cadre de sa carte blanche, la librairie Le Cadran lunaire invite Pierre-Jean Balzan, l’homme qui materne La fosse aux ours depuis maintenant vingt ans. Où l’on parle d’Italie bien sûr, de compagnonnage, de rugby et de verres de campari.
photo © Olivier Chassignol
Entretien réalisé par Jean-Marc Brunier,
Le Cadran lunaire (Mâcon)
Pierre-Jean Balzan : Quand j’avais vingt ans, je disais à mes amis que je voulais être éditeur. Puis la vie vous emmène ailleurs. Mais à trente ans, l’idée a ressurgi et si je n’allais pas au bout de ce e envie, j’allais avoir des « regrets éternels ». Ma démarche était modeste. Je n’ai jamais eu l’ambition de révolutionner la profession ou de combler un quelconque vide. Je me suis bien vite rendu compte que les titres de La fosse aux ours ne pourraient sans doute pas permettre aux libraires d’augmenter leur chiffre d’affaires de manière significative. L’important pour moi, c’était de les convaincre de toujours conserver une place à ces livres : vingt ans après, je les remercie de leur confiance.
Pierre-Jean Balzan : Les choix éditoriaux, ceux du papier et de l’illustration de couverture, sont associés au mot plaisir. Publier un livre, c’est aussi tirer un fil. Parfois mener une enquête. Pour le premier livre édité en 1997 par La fosse aux ours, L’Héritage Ferramonti de Gaetano Carlo Chelli, j’étais parti d’un entretien du cinéaste Mauro Bolognini – il réalisa le lm adapté du livre. Il racontait que Pasolini lui avait affirmé que c’était un des meilleurs livres de la littérature italienne ; le poète cinéaste voulait d’ailleurs en tirer lui-même un scénario. Ce n’était pas tout à fait vrai, mais c’était un très bon roman.
Tout de même, quand je regarde le catalogue de La fosse aux ours, j’aperçois un fil rouge autour de l’histoire, avec des auteurs tels que Rigoni Stern, Luciano Bolis, Renzo Biasion, mais aussi ce qui a trait à la question sociale : immigration dans Blacks Out de Vladimiro Polchi ou L’Homme qui ne comptait pas les jours d’Alberto Cavanna, précarité de la jeunesse dans Génération 1 000 euros d’Antonio Incorvaia et Alessandro Rimassa ou Prêts à tous les départs de Marco Balzano...
Pierre-Jean Balzan : En publiant de la littérature italienne, j’ai l’impression de payer une dette envers le pays de mon arrière-grand-père, un pauvre métayer du Piémont, vers le lac d’Orta, venu dans le Jura pour construire des routes à la fin du XIXe siècle. Un Balzano devenu Balzan au moment de son mariage, par souci d’intégration. Pour moi, l’Italie, c’est un peu chez moi. Turin est à trois cents kilomètres de Lyon.
L’exotisme, c’est quand je me promène dans l’ouest de la France. À partir de Tours, la lumière change, les murs des maisons sont en tufeau et il y a des ardoises sur les toits, ça, c’est très dépaysant. Dans son livre Il me semble désormais que Roger est en Italie, Frédéric Vitoux écrit : « Roger était entré en Italie comme on entre en religion, et ce fut, je l’ai dit, la religion du bonheur. » L’Italie, c’est aussi des choses simples : boire un campari au Chioschetto sur les Zattere à Venise, mais aussi l’hiver à la maison, ce e belle couleur rouge qui fait oublier le temps maussade.
Déguster des carciofi alla giudia (artichauts à la juive) en terrasse, le soir, chez Gigetto dans le ghetto, à Rome, au pied du portique d’Octavie et du théâtre de Marcellus. C’est croquant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur...
Pierre-Jean Balzan : De lui, une journaliste a écrit : « Lire Rigoni Stern, c’est s’abreuver à la beauté. » Mario Rigoni Stern est capable d’évoquer les petites histoires sur le haut plateau d’Asiago en Vénétie, mais aussi la grande histoire, dans la tourmente du XXe siècle. Quand j’ai commencé à éditer Mario Rigoni Stern, très peu de ses livres étaient traduits, l’incontournable Sergent dans la neige, le magnifique Histoire de Tönle et un recueil de nouvelles, La Chasse aux coqs de bruyère.
Peut-être parce que Rigoni Stern n’a publié que trois livres en vingt ans quand il travaillait au cadastre à Asiago. Il a attendu la retraite, à cinquante ans, suite à un accident cardiaque, pour publier de nombreux livres. Primo Levi disait à son propos : « On trouve rarement pareille cohérence entre l’homme qui vit et l’homme qui écrit, pareille densité d’écriture. »
Pierre-Jean Balzan : C’est vrai que La fosse aux ours n’est pas le royaume des livres à couverture pelliculée et dos collé. Je me suis inspiré des livres de la maison d’édition palermitaine Sellerio. Le mot artisanal est loin d’être pour moi un gros mot. Les livres de La fosse aux ours sont plus dans le XXe siècle que dans le XXIe, sans doute, mais est-ce bien grave ?
Pierre-Jean Balzan : Indépendance et liberté. Amitié et convivialité. Humanité et délité.
Pierre-Jean Balzan : Compagnonnage, c’est un terme qui doit être partagé, je l’espère, par de nombreux éditeurs indépendants. Je ne conçois pas les rapports avec les auteurs autrement que chaleureux et apaisés. En définitive, on est tous dans la même galère. Pour Antoine Choplin, tout commence en 2002, avec un manuscrit arrivé par la poste avec une petite le re d’accompagnement très sobre où il était fait référence à Hubert Mingarelli. Et après, c’est la magie du texte qui opère. Antoine construit, avec humilité, une œuvre singulière empreinte d’une grande humanité.
Pierre-Jean Balzan : J’ai eu la chance de pratiquer le rugby jusqu’en 2014. Sans trop de bobos à part une oreille arrachée, un doigt retourné et de multiples entorses. Rien de plus apaisant que d’aller brouter de l’herbe et de courir après des types en short quand on a passé une journée de labeur sur une traduction épineuse ou un bilan comptable désastreux.
La fosse aux ours a publié le plus grand roman jamais écrit sur le rugby, Ma vie sportive de David Storey (l’auteur faisant partie, avec Alan Sillitoe, des Angry Young Men). L’histoire a été adaptée au cinéma par Lindsay Anderson, le réalisateur de If, Palme d’or à Cannes en 1969. Mais on trouve aussi au catalogue Mauvais coûts de Jacky Schwartzmann, avec un chapitre intitulé « Le rugby est un sport de gros cons ». Ça équilibre.
Pierre-Jean Balzan : Un regret, c’est peut-être de ne pas avoir créé une collection dédiée à l’histoire. Mais c’est surtout de voir que certains livres n’ont pas rencontré leur lectorat. Je pense notamment à Sacro romano Gra, une merveilleuse promenade autour du périphérique de Rome. C’est vrai que c’est moins glamour que la fontaine de Trevi ou la place d’Espagne.
Je regrette aussi que Jacky Schwartzmann – du Houellebecq revisité par Audiard – n’ait pas eu plus d’écho. Ces petites frustrations sont toutefois compensées par des bonnes surprises. L’Enfant qui devint fou d’amour du Chilien Eduardo Barrios (que les petits Chiliens étudient à l’école) et L’Homme qui ne comptait pas les jours (l’histoire intemporelle d’une amitié entre un vieil Italien et un jeune immigré tunisien) ont connu un petit succès grâce aux libraires. Un libraire parisien a vendu à lui tout seul plus de mille Barrios.
Pierre-Jean Balzan : Définitivement ours. En vingt ans, j’ai pris quelques kilos, j’ai tendance à hiberner et à émettre parfois des grognements comme Clint Eastwood dans Gran Torino.
2 Commentaires
Vuotto
06/08/2018 à 18:58
Bonjour, je viens de finir un recueil d’aphorismes, dénoncés succincts, de sagesses, de réflexions crées par mes pensées réfléchies, assis sur la réalité de la vie. Comme un grand coup de pied aux fesses de certaines fausses vérités, de ceux qui s'imaginent détenir la vérité, la leur surtout... sur 20 thèmes concernant entre autres, les femmes, les couples, la politique, l’église, etc... 466 au total- 120 pages environ
Ceci rentre t-il dans votre catégorie ? Merci à vous de votre réponse CDT
Vuotto
22/06/2021 à 16:51
Bonjour, en 1998 je vous faisais parvenir un mail ici même concernant des aphorismes de ma composition, bien sûr, vu de notre époque... et qui trouvent leur place au vu de l’époque que nous vivons.
N’ayant pas reçu de réponse de votre part, que devais-je en conclure ?
Par contre, je viens de finir un roman dont le sujet et celui d’un aidant, homme, 72 ans, qui veilla 30 mois auprès de son ancienne amie, atteinte de la maladie de Charcot dans un centre pour personne dépendante. Celle-ci étant paralysée et nourrie par une stomie (tube relié à son estomac) ne communicant que par l’intermédiaire d’un Abécédaire et battements des cils.
Ils s’étaient aimés. Il l’avait quitté au vu de son caractère égoïste et surtout de son avidité de toutes richesse pouvant en découler.
Elle voyagea... jusqu’au jour où un médecin lui découvrit cette maladie qui l’emprisonnera rapidement. Ce souvenant de son amant, 6 ans après, elle lui demanda de venir l’aider dans son calvaire. Des cendres toujours brûlantes en lui, oubliant les querelles du passé, il fit ses valises ; prit trois trains ( 800 kilomètres ) et la rejoignit dans ses souffrances à ses côtés. Lui donner la force journalière pour continuer son combat était le sien. Passant plus de nuit près d’elle qu’à sa chambre d’hôtel. Le passé revenant, il put prendre sa propre part d responsabilité afin qu’elle puisse partir en paix. ( 210 pages ) lui-même eut des problèmes cardiaques. En vous remerciant de me lire,
recevez monsieur, mes salutations les meilleurs.
Jean Vuotto
Dans l’attente de votre réponse.
CDT