Il y a quelques mois, j’ai observé une chose étonnante sur les médias sociaux, une chose qu’à vrai dire je n’avais jamais vu se produire, dans le monde du livre ou ailleurs. Osée, radicale, ou carrément casse-cou, cette opération a le mérite d’alerter sur une nouvelle tendance dans les relations avec les influenceurs digitaux du livre, tout en apportant des enseignements sur la gestion de cette relation.
Le 05/03/2018 à 15:49 par Stephanie Vecchione
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05/03/2018 à 15:49
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Il y a quelques mois, j’ai donc observé une maison d’édition, qui avait fondé une partie de son succès sur le soutien de blogueurs et de solides communautés de lecteurs, congédier la quasi-totalité de ses partenaires historiques. Je ne citerai pas le nom de cette maison d’édition dans cet article, car mon rôle n’est pas de créer la polémique, mais plutôt de tenter d’analyser et d’expliciter une démarche. De plus, c’est le mode opératoire plus que l’action elle-même, qui a choqué.
Photo de @lesbouquins via Instgram
Petit retour sur les faits pour comprendre ce qui s’est réellement passé.
Première étape, la maison d’édition annonce une nouvelle sélection de partenaires blogueurs pour 2018. Une étape somme toute assez classique puisque beaucoup de maisons procèdent de cette manière pour recruter leurs partenaires blogueurs (ceux qui vont bénéficier de l’envoi de services presse). Rien d’étonnant dans la démarche, donc, à un détail près : les partenaires historiques, ceux de la première heure, sont priés de se plier à l’exercice. Parmi ces partenaires historiques, on trouve des influenceurs avérés dans ce domaine éditorial, des blogueurs que je sais, pour avoir travaillé personnellement avec eux, être à même d’impacter les ventes d’un titre.
Étrange, donc, mais tout le monde s’y plie avec confiance. Et aussi parce qu’il n’y a pas vraiment le choix.
Seconde étape, environ un mois plus tard, la maison d’édition informe l’ensemble des postulants des résultats des sélections. Il semblerait alors la presque totalité des blogs partenaires aient été congédiés, y compris les partenaires de la première heure, y compris les blogs très influents que j’ai évoqués ci-devant.
Plusieurs arguments peuvent être légitimes pour expliciter cette décision. Les communautés de lecteurs associées à ces blogs sont déjà converties au genre et à la production éditoriale de la maison. Il n’est donc plus nécessaire d’investir autant du côté de lecteurs qui sont déjà conquis. Rappelons que l’envoi de services presse coûte très cher aux maisons d’édition.
Stratégiquement, le choix de la maison s’explique donc par l’ambition de toucher un nouveau lectorat, plus jeune et non encore sensibilisé à son catalogue. Or, il semblerait que les influenceurs possédant de larges communautés sur Instagram ou sur YouTube aient été conservés. De la même façon, les influenceurs positionnés sur le lifestyle (mode de vie), donc qui n’abordent pas exclusivement le monde du livre, ont été ajoutés. Il y a donc une cohérence dans le repositionnement de cette stratégie influenceurs, cohérence que nous allons tenter d’expliciter un peu plus dans la suite de l’article.
La troisième étape, celle qui finalement a créé le plus de remous,s’enclenche alors : les partenaires écartés, qui se connaissent pour la plupart, manifestent leur mécontentement sur les médias sociaux. Si le besoin de renouveler les partenariats de la maison est plus ou moins accepté, le mode opératoire est par contre dénoncé. Effectivement, la maison semble avoir oublié que les blogueurs ont investi du temps et de l’énergie à défendre et à faire connaître ses ouvrages et son catalogue. Un mail personnalisé, une explication précise sur ses choix et sa nouvelle stratégie auraient été souhaitables, voire indispensables. Et quid d’un remerciement pour « bons services rendus ».
Dans les stratégies de promotion digitale du livre, les influenceurs ne sont pas des maillons que l’on peut attacher ou détacher à sa guise. Souvent, et surtout quand ils sont présents depuis quelques années, ils connaissent personnellement les équipes, et parfois également les auteurs. Ils se sont impliqués pour défendre avec conviction une maison et un catalogue auprès de leur cercle, leurs amis et leur communauté. Ils ont parfois même été mêlés aux choix éditoriaux via des beta-lectures et/ou des retours sur des épreuves non corrigées.
En termes d’image, ce mode opératoire peut avoir des conséquences néfastes à moyen et long terme. Qui peut vraiment se mettre à dos toute une communauté littéraire, prescriptrice précisément sur son domaine éditorial ?
De plus, je parle souvent de l’importance de la relation. Ici, la confiance a été rompue.
Ce qu’il fallait faire, selon moi, pour repositionner la stratégie influenceurs sans faire de vague, c’est de le faire avec modération. D’abord, en prenant soin d’alerter les partenaires historiques en amont et en aval, de manière personnalisée. Mais surtout, il fallait conserver certains partenariats avec des influenceurs de la première génération. Si leur influence est moins palpable sur les médias sociaux, ces blogs restent très visités et très lus par un lectorat fidèle. La caractéristique de ces blogueurs, issus de la première génération, est que leur influence repose sur les liens qu’ils ont tissés avec d’autres influenceurs.
Une stratégie influenceurs équilibrée doit donc parvenir à les intégrer.
Sur le repositionnement stratégique lui-même, cet exemple pose deux questions essentielles :
1. Faut-il transférer une partie de ses relations influenceurs sur Instagram ?
2. Les influenceurs lifestyle, qui parlent donc de mode de vie plus que de lecture, sont-ils pertinents pour recommander le livre ?
Quatre observations sur les tendances qui se dessinent actuellement m’incitent à dire oui, un bien grand oui à ces deux interrogations que vous vous posez peut-être.
Le déclin des plateformes de blogging traditionnelles
Depuis deux ans environ, on observe une désertion des blogs. Ils sont soit purement et simplement abandonnés, soit relayés au second plan derrière un média social. Cette désertion s’explique essentiellement par les nouvelles stratégies des Facebook, Twitter, et Instagram, qui ne souhaitent plus être de simples courroies de transmission, mais des plateformes d’hébergement des contenus.
Les influenceurs de la seconde génération privilégient donc aujourd’hui un seul média, sur lequel va se concentrer le gros de leur communauté et de leur audience, tout en exploitant les autres médias pour leur visibilité ou leur veille.
Un exemple ci-dessous avec le blog BooksandBlackcoffee, abandonné en 2016, mais qui continue à vivre et à développer son audience sur Instagram.
Dans ce virage, amorcé il y a déjà quelques années, Instagram prend la part du lion. Une étude récente de REECH montre que si 61 % des partenariats entre marques et influenceurs étaient réalisés sur un blog en 2017, cela tombe à 20 % en 2018. Instagram devient la première plateforme sollicitée pour un partenariat avec un influenceur.
Le caractère de plus en plus prégnant d’Instagram résulte également d’un autre facteur : la baisse de la visibilité sur Facebook.
On sait depuis quelques années que les pages Facebook ont un impact extrêmement réduit. Si une publication parvient à toucher 10 % des fans, c’est un score que l’on juge bon.
Ce que l’on sait moins, c’est que les profils ont également été affectés dernièrement par une forte baisse de visibilité. Si vous avez observé votre fil Facebook récemment, vous avez dû remarquer que les mêmes personnes y revenaient en boucle : celles avec lesquelles vous échangez le plus sur Messenger, celles avec lesquelles vous interagissez le plus. Mais de vos centaines d’autres amis, plus aucune nouvelle.
Pour les influenceurs, il est en de même. Du coup, s’ils restent présents sur Facebook, ils reportent leur activité sur des médias plus ouverts comme Instagram ou YouTube, des médias sur lesquels leur visibilité n’est pas entravée par un algorithme.
Depuis environ un an et demi, et après l’emballement médiatique autour des Booktubeurs, leur développement semble s’être stabilisé. On remarque surtout que les contenus des vidéos consacrées aux livres ont très largement évolué. Si, auparavant, la majorité était consacrée aux présentations et chroniques de livres, aujourd’hui, on y trouve plutôt des vidéos sur la vie de grands lecteurs : « Mes routines de lecture », « Comment je fais pour lire 20 livres par mois ? », « Réorganiser sa bibliothèque », etc.
Un exemple ci-dessous avec la vidéo de Margaud.
Ce repositionnement laisse donc beaucoup moins de place sur YouTube à la recommandation des livres elle-même.
Avec 16,4 millions d’utilisateurs en France derrière Facebook et YouTube, Instagram n’est plus un réseau émergent. La diversité de ses formats (Stories, Live, Evergreen) et leur simplicité d’utilisation en font un espace privilégié par les influenceurs. Ils y sont d’ailleurs à la fois plus présents en nombre, plus visibles et plus accessibles.
Ainsi, repositionner une partie de sa stratégie influenceurs vers des partenaires uniquement présents sur Instagram (bookstagrameurs) est une évolution incontournable.
Mais Instagram est un réseau dédié à des contenus inspirationnels. Donc si l’on veut toucher de larges communautés, au-delà de celles des grands lecteurs charriés par les influenceurs littéraires, il faut également intégrer ponctuellement dans sa stratégie des influenceurs lifestyle aux larges communautés.
Lifestyle, chez les influenceurs, cela veut tout et rien dire. Très souvent, ce terme désigne une ligne éditoriale ouverte qui peut aborder à la fois les voyages, les bonnes adresses, la mode, la culture en général, la décoration, la cuisine, etc.
Un exemple ci-dessous avec SophieMoods, qui regroupe 10,7 K abonnés sur Instagram, et qui peut ponctuellement recommander des livres en lien avec ses centres d’intérêt.
Publication sur Instagram de @sophiemoods, influenceuse lifestyle
Je reviendrai dans un prochain article sur la place actuelle d’Instagram dans la recommandation littéraire, sur son impact, et les stratégies possibles à y mettre en œuvre.
Pour revenir au cœur de mon article, repositionner aujourd’hui les partenariats éditeurs vers plus d’Instagrameurs, et ce quelque soit les thématiques qu’ils abordent, est incontournable.
Cela, par contre, ne peut pas se faire de manière chaotique et radicale, à moins de se désolidariser d’un réseau de grands lecteurs, certes moins suivis sur les médias sociaux, mais extrêmement solidaires et toujours très influents. Choisir cette voie, c’est oublier que ce sont ces lecteurs qui prennent la peine de donner de la visibilité aux livres sur des plateformes comme Babelio, ou de laisser un commentaire sur les sites des librairies en ligne.
La librairie est également un sujet que j’aborde peu dans mes articles, mais que je compte aborder prochainement. Le Labo de l’édition inaugure à ce sujet un cycle de rencontres sur la question du numérique dans les usages des libraires. La première session aura lieu mardi 6 mars prochain.
Stéphanie Vecchione,
La nouvelle promotion du livre
11 Commentaires
TAra
06/03/2018 à 07:59
Bonjour et merci pour cet article intéressant.
I have a dream... On dirait que des blogueurs et des blogueuses humanistes, animés par le sens du service, se mettraient en relation avec des petits éditeurs indépendants et inconnus. Ensemble ils pourraient collaborer de manière… équitable. Grâce à quoi tous ces petits éditeurs qui ne peuvent s’offrir les services d’agences de com’ ou les écrivains qui ne peuvent pas s’offrir d’attachée de presse (et ne trouvent pas d’agents littéraires) auraient leur chance. Au même titre que ceux qui vendent beaucoup avec parfois des livres dont il ne vaut mieux pas dire ce qu’ils valent. Des nouveaux modes de diffusions du livre pourraient se développer, bref, l’égalité des chances deviendrait une réalité.
… Mais je m’égare, ce n’est pas un rêve… c’est une utopie !
Alain
06/03/2018 à 11:52
Je partage totalement le rêve et l'utopie de TAra
Tara
06/03/2018 à 14:41
... Commençons ensemble ! J'ai d'autres personnes prêtes à s'impliquer et nous avons un projet très avancé. Vous êtes dans quelle région ?
Cordialement.
Aurelie_et_ecrit
07/03/2018 à 14:11
Merci beaucoup pour cet article, très bien écrit et super intéressant. Tara, j'aime beaucoup votre rêve aussi, on en parle ?
Philco78
07/03/2018 à 14:17
Merci pour cet article très intéressant Stephanie. Je rejoins moi aussi vos rêves pour une aide à la promotion aussi livres ddes auto-édités, encore mois aides que les livres édités par des structures.
FelicieLit Aussi
08/03/2018 à 01:43
:) bonsoir et merci pour votre article très intéressant. Je suis lectrice et blogueuse et n'aime pas particulièrement les pratiques actuelles de partenariats avec certaines grosses ME. Je ne veux pas être une machine à lire juste pour être populaire sur FB ou mon blog, ou avoir plus de livres gratuits que mon voisin.. Par contre je soutiens très fort l'auto édition. Je vis dans l'utopie de Tara :kiss: je préfère 100 fois donner mon avis sur un indé ou sur une petite Me que sur un gros Machin. Si je peux vous aider Tara et les autres, n'hésitez pas !
Marie-Paule Dessaint
18/04/2021 à 15:34
J’aime votre commentaire. J’aimerais entrer en contact avec vous. Je suis auteure de 15 livres dont deux en autoédition et dans ce dernier cas, il est pratiquement impossible d’intéresser les médias. Le vieillissement et les soucis de mémoire, la crise du milieu de la vie, la retraite sont pourtant des sujet qui intéressent bien des gens!
Le Castor littéraire
09/03/2018 à 21:10
Article passionnant pour la blogueuse novice que je suis.
Bien hâte de vous entendre le 27 mars!
LapagedeRita
12/03/2018 à 13:18
Oui, il existe des sites créés par des gens qui lisent en achetant leurs livres (si l'on soutient le livre de manière générale alors il vaut mieux l'acheter et donner son avis en toute indépendance ; on peut aussi l'emprunter quand on n'a pas les moyens de l'acheter) et qui écrivent sans passer par un éditeur. Peut-être que tout ce micmac d’avis achetés, de mauvais livres encensés et d’avis dithyrambiques sur tous les livres, disons, ce feu de paille s’est éteint. Le réseau a créé une nouvelle forme de communication qui justement élimine les intermédiaires inutiles ou les intermédiaires trop consommateurs financièrement... La multiplication des réseaux de communication fait que justement, désormais, le contenu plus que la forme compte. C’est plutôt une bonne nouvelle, je trouve.
simona
04/05/2018 à 15:44
L'Influence marketing plateformes lire @bernard_jomard pour décrypter les meilleures plateformes et les meilleurs influencers http://bernard-jomard.com/2018/03/23/quest-ce-que-le-marketing-dinfluence-digitale-en-2018/
Violette Valorcy
11/09/2018 à 23:00
Bonjour tout le monde,
J’écris et je me rends compte qu'il est très difficile de se faire publier et connaitre sans l'appui d'un réseau solide que je n'ai évidemment pas. je suis référencée chez sur le site d'auto-édition de librinova mais comme personne ne me connait...
Je découvre en vous lisant qu'il existe des influenceurs-euses littéraires.
Certains d'entre-vous pourraient-ils me dire comment entrer en contact avec eux? Procédure? Coût? Etc...
merci de vos avis et aides éclairés.