Durant tout le week-end, des lecteurs par centaines ont découvert que les auteurs n’étaient pas rémunérés pour leurs interventions, par le salon Livre Paris. Consternation. Suivant le fil #PayeTonAuteur, sur les réseaux, se sont alignés les témoignages de mécontentement, d’appel au boycott. Ou de profonde déception. La manifestation parisienne se retrouve acculée.
illustration : Sandrine Bonini
Dans un communiqué, Livre Paris s’étonne « de la polémique suscitée », estimant œuvrer depuis 1981 pour la valorisation de l’activité éditoriale, française et étrangère. Et de pointer le programme spécifique de l’édition 2018, « digne d’un festival littéraire ».
On souligne que l’engagement a été pris de « rémunérer tous les auteurs et artistes intervenant sur l’ensemble des scènes du Salon, hors situation de promotion de leurs ouvrages ou de dédicace ». Sur toutes les scènes, donc, les auteurs intervenant seront payés, mais avec une nuance.
Pierre Dutilleul, directeur général du Syndicat national de l’édition, explique à ActuaLitté : « L’acte de promotion concerne l’auteur quand il parle, face à un modérateur, de son propre ouvrage, sur une scène. C’est un des principes qui se pratique partout. » C’est en réalité tout le contraire.
Cependant, le directeur général insiste : « Le SNE a pris un engagement, et il n’a pas vocation à ne pas respecter sa parole : tous les auteurs, à l’exception des dédicaces sur les stands d’éditeurs et de la stricte promotion, seront payés. » Autrement dit, la question de la table ronde, jusqu’à lors encore laissée dans un flou artistique, est réglée – et sera réglée, financièrement. Enfin, devrait...
La question a d’ailleurs été posée à Reed, coorganisateur avec le SNE du Salon : combien de ces promotions sont organisées ? Il suffira alors de multiplier par 150 € le nombre pour définir l’ampleur de la dépense pour l’organisation. À cette heure, Reed n'a toujours pas apporté de clarifications.
Soulignons par ailleurs qu’entre 2016 et le 2017, le nombre de visiteurs payants a augmenté légèrement, + 1,3 %, passé à 34 % du public pour l’année dernière. De quoi alimenter le questionnement de nombreux internautes : pourquoi payer une entrée pour le salon, si les auteurs ne sont pas unanimement rétribués ?
Une éditrice jeunesse souligne : « Que les dédicaces ne soient pas prises en charge par Reed, cela semble logique. Cela relève de la relation de l’auteur à son éditeur, qui organise ses propres rencontres au sein du salon. En revanche, cette histoire de promotion est particulièrement étrange : pourquoi le speed dating, où un auteur passe une heure avec ses lecteurs, serait rémunéré, là où un face à face avec un modérateur ne le serait pas ? »
La Société des Gens de Lettres, elle aussi, a suivi avec attention les échanges du week-end sur les réseaux. Et prend acte que « malheureusement Livre Paris ne rémunère toujours pas les auteurs qu’il invite à intervenir sur ses différentes scènes ».
En effet, ce fameux temps de promotion, enfin éclairci, n’en demeure pas moins une intervention publique qui, souligne la SGDL « donne lieu à rémunération ». Depuis des années, l’organisation de défense des auteurs trouve « inadmissible que les auteurs continuent d’assurer bénévolement l’animation de Livre Paris ».
Et d’insister sur ce principe de rémunération, impulsé par le Centre national du livre, la Sofia ou encore les CRL. « Les éditeurs, siégeant dans ces instances, sont eux-mêmes favorables à cette reconnaissance économique de l’auteur. Pourquoi le plus grand salon du livre de France ferait-il exception ? »
Le respect des auteurs passe par cette rémunération, insiste l’organisation, et « libre à ceux qui peuvent s’en passer de renoncer à percevoir ce revenu ». Mais en attendant, se réfugier derrière la promotion pour justifier de la gratuité du temps passé n’est plus un argument recevable.
Pierre Dutilleul, de son côté, rappelle que le salon Livre Paris « n’est pas un festival, et ne perçoit pas de subvention du CNL ni d’argent public ». Or, dans le cas de manifestations aidées par le Centre, obligation est posée de payer les auteurs, pour leurs interventions. Et un plateau avec un modérateur, face au public, doit être payé 150 € selon les recommandations du Centre.
Bon, essayons de nous poser : qui vous a contacté pour participer à une table ronde au Salon, Reed ou le SNE ? Quelles étaient les conditions ? Était-il clairement stipulé que vous ne seriez pas payé·e ? Y avait-il un contrat ? Qui détermine ce qui promo ou non ? #payetonauteur
— Neil Jomunsi (@neiljomunsi) 5 mars 2018
« Je m’étonne de l’ampleur qu’a pu prendre la polémique, alors que, depuis trois ans, le salon porte ce principe phare de la rémunération des auteurs », souligne Pierre Dutilleul. En 2017, un accord trouvé avec les associations d’auteurs aurait d’ailleurs abouti à ce que les auteurs perçoivent un revenu. Quid, alors, de 2018 ?
Le directeur général du SNE reconnaît « un certain nombre d’anomalies signalées », et propose, s’il devait y avoir des ratés durant l’édition 2018, « de les analyser au cas par cas ». À condition que les cas se manifestent.
Pour autant, le salon a une manière très à lui d’appliquer les engagements pris par le Syndicat, qui est pourtant son mandataire.
La promotion sert l'intérêt de l'auteur dans tous les cas en lui donnant de la visibilité dans un événement qui accueille plus de 150.000 visiteurs, quel que soit le format, que ce soit une séance de dédicaces ou un débat / conférence / table ronde.
— Livre Paris (@Salondulivre) 5 mars 2018
Précisément l’inverse, donc, de ce que le directeur général vient à l’instant de nous expliquer.
Pour Denis Bajram, auteur de bande dessinée, « bien sûr, Livre Paris n’a pas à se soumettre à la règle des festivals subventionnés. Cependant, en tant que manifestation émanant du Syndicat des éditeurs, il pourrait adopter une saine conduite, parce que c’est l’usage légitime, que le CNL a institué ».
Comment expliquer que plusieurs auteurs sur une scène perçoivent de l’argent, et pas un auteur seul ? « Et pourquoi ne pas payer un auteur qui serait en dédicace, par ailleurs », interroge-t-il avec malice.
« Si ce salon veut revendiquer une politique culturelle, qu’il devienne un festival. Ici, on monte une librairie géante, qu’on tente de faire passer pour un événement culturel. » Et de pointer l’ambiguïté profonde de ce comportement : « Le culturel sert-il de caution à la librairie géante, ou cette dernière sert-elle à nourrir le culturel ? »
Par le passé, Angoulême, avant de devenir un festival, était d’ailleurs un salon. Et cette mutation a permis de percevoir des subventions publiques. « Après, les éditeurs se sont plaints de ce que le business n’était pas assez mis en avant. Mais avec Livre Paris, on est ans la dimension exactement inverse. »
Le fondement de toute manifestation, « c’est bien la caution culturelle apportée par les auteurs : dans un salon, et Livre Paris par excellence, il n’y a aucune raison pour que cette caution soit considérée sans valeur ».
Pour la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, à l’origine de la contestation, Livre Paris se montre « aveugle et sourd au royaume des livres ». Et d’argumenter : « Des auteurs jeunesse ayant entre temps demandé leur rémunération pour des interventions et tables rondes se sont vus éconduits. » D’ailleurs, nous le pointions dans un précédent article, certains auteurs tels que Olivier Gay, Stéphane Servant ou Nine Gorman ont d'ores et déjà annoncé annuler leur venue et leurs interventions, si le refus de rémunérer les auteurs persistait.
Pourtant, assure Thierry Magnier, président du groupe Jeunesse au SNE, « le Syndicat s’est engagé à ce que, indifféremment, atelier ou table ronde, sur les scènes Young Adult et Jeunesse, les auteurs soient rétribués ». Et d’avouer ne pas comprendre cette notion de promotion, et le vague qu’elle entretient.
Pour la Charte, c’est simplissime : « Ce terme de “promotion” est un glissement sémantique recouvrant en réalité ce qui relève de l’animation et de la médiation culturelle dans la sphère sociale, au titre d’un savoir-faire créatif. Il n’est même pas question des dédicaces. »
De son côté, le SNAC BD vient grossir les rangs, adressant une lettre ouverte au président du groupe BD du SNE, Moïse Kissous, ainsi qu’à Pierre Dutilleul et Sébastien Fresneau, commissaire du salon.
« [M]ême si aucune obligation juridique ne vous y contraint, nous sommes très surpris d’apprendre que le Syndicat national des éditeurs, co-organisateur du Salon du Livre de Paris, n’aurait pas prévu de rémunérer a minima tous les auteurs participants aux différentes rencontres (hors dédicaces) organisées pendant le Salon, et peu importe la situation de “promotion” de leurs ouvrages. »
Et de lancer un appel : « Nous espérons qu’il ne s’agit là que d’une négligence relative aux usages du passé et que le SNE et le Salon prendront toutes les dispositions nécessaires afin que tous les auteurs participants aux rencontres, conférences, ateliers soient rémunérés sur la base des tarifs proposés par la Charte des auteurs jeunesse, lors de cette grande manifestation très suivie autour du livre. »
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
Monalisa
07/03/2018 à 13:15
Même Actes Sud paie très mal ses directeurs d'ouvrage, ses auteurs et ses traducteurs. C est l'une des premières sociétés sur la liste noire. Que tous ceux qui ont travaillé avec cette société la dénonce.