Pour la lecture numérique, le développement des mesures techniques de protection reste au cœur des interrogations. Avec la création d’une DRM interopérable LCP, poussée par l’EDRLab, le format EPUB 3 devient plus simple à commercialiser. Et à ce titre, la bande dessinée vient de faire un pas de plus.
Le 06/04/2018 à 16:15 par Nicolas Gary
Publié le :
06/04/2018 à 16:15
Le livre numérique n’est pas mort, loin de là. Il est vrai que l’euphorie des premiers temps retombe. Du fait des contraintes économiques qui pèsent sur toute la chaine de valeur. Par exemple les livre enrichis sont trop chers à produire par rapport à leur diffusion, etc. Et l’engouement que l’on pouvait attendre a été freiné. Pour autant, on continue de travailler à l’élaboration du format interopérable EPUB, et plus spécifiquement à la protection des fichiers.
À ce titre, la DRM LCP pousse régulièrement de sa corne la DRM Adobe vers la poubelle. Chose d’autant plus facile que la firme ne semble pas s’intéresser outre mesure au format EPUB 3. Pour Stéphane Michalon, directeur d’ePagine, une nouvelle victoire vient de sonner.
« Quand izneo a décidé d’arrêter la commercialisation de ses BD en streaming, nous avons proposé la solution LCP. C’était un moyen simple pour que les indépendants puissent malgré tout accéder et commercialiser le catalogue », indique-t-il à ActuaLitté.
Jusqu’à lors, la solution présente sur ePagine n’était pas satisfaisante : uniquement en streaming, avec une version PDF proposée aux bibliothèques. À partir de décembre, une autre approche était possible. « Nous avons récupéré les fichiers d’izneo, pour mettre en place sur lcp.epagine.fr ce que Pierre Danet [ancien responsable du numérique chez Hachette, NdR] souhaitait : une version proof déployée à grande échelle et ouverte au public. »
Le tout avec un fonctionnement simple, car tout l’enjeu est là : proposer une solution d’achat qui ne devienne pas un casse-tête pour le lecteur. « La seule contrainte était de passer par l’application Lisa pour iOS, car c’était le seul acteur qui nous permettait de décrypter la DRM LCP que nous posions sur les fichiers. »
Vincent Piccolo, à l’origine de l’application Lisa, explique qu’avec ePagine, il n’y a pas eu besoin de collaboration dans un tout premier temps. « Nous mettons à disposition nos outils, et ePagine a décidé de s’en servir, comme d’autres pourraient le faire. » Lisa fut en effet la première app – et le reste – compatible LCP. La version iOS a quelques années déjà, et le modèle Android sortira d’ici peu. ePagine développe dans un deuxième temps (actuellement) la synchronisation des achats avec la bibliothèque des applications Lisa.
Avec plus de 10.000 utilisateurs revendiqués, Lisa « sert également de vitrine pour nous permettre de vendre des solutions en marque blanche ». Mais en l’absence de version Android, l’entreprise ne communique pas véritablement auprès du grand public.
« L’objectif général reste l’adoption large de la DRM LCP, tout en maintenant la plus fluide possible l’expérience de l’utilisateur. Le principe d’interopérabilité a toujours été porté par l’EDRLab, et nous travaillons dans ce sens », indique-t-il.
Luc Bourcier, directeur général d'izneo, n’est pas mécontent de cette méthode. « Précédemment, le streaming que nous proposions avec ePagine avait des inconvénients, notamment pour des questions de sécurité. » Le flux envoyé manquait en effet de traçabilité.
Avec la refonte de la plateforme, opérée fin 2017, décision fut prise de mettre un terme au streaming, tout en cherchant les solutions pour maintenir l’offre. « La solution DRM Care de TEA avait déjà été choisie pour la commercialisation de notre catalogue. En soi, implémenter la DRM LCP n’était pas une nouveauté pour nous, puisque le système Care est très proche. »
Reste qu’avec la DRM LCP « ePagine nous a proposé de faire ce que TEA avait réussi avec succès ». Tout en travaillant à un moyen de généraliser sur les EPUB 3 une solution technique de protection qui avec le temps, espère-t-on, sera harmonisée.
Care est en effet une version personnalisée par les équipes de TEA de la DRM LCP. Readium LCP est une technologie de DRM, mais CARE n'est pas réellement au même plan : CARE est un solution industrielle client-serveur clé en main (en mode Saas), qui contient une implémentation de DRM et quelques fonctionnalités supplémentaires (en particulier la possibilité d'ouverture du livre sans jamais rentrer la passphrase, quand on est authentifié auprès d'un serveur CARE).
L'implémentation de DRM de CARE n'était pas jusqu'ici interopérable avec LCP : elle le devient maintenant (EDRLab va très bientôt pouvoir certifier les éléments de CARE comme conformes à LCP). C'est ainsi que TEA a mis en place avec Pocketbook un accord par lequel les liseuses de l’Ukrainien supportent la DRM Care.
Sauf que, pour le cas de la bande dessinée, personne ne se risquerait à la lecture avec un appareil à encre électronique. L’obligation de trouver une solution pour tablette imposait donc Lisa comme outil technique. D’autant que Lisa prend en charge la DRM LCP, indépendamment de l’œuvre : roman, manga ou BD, sans distinction.
À cette heure, aucune liseuse ne gère la DRM de l’EDRLab. On sait que Bookeen y travaille, et beaucoup se demandent si Kobo aurait un intérêt à s’y pencher. La réponse doit venir du hardware, certes, mais,
pour que ce dernier s’y attelle, encore faut-il qu’une offre de lectures avec la DRM LCP apparaisse.
En l’état, c’est toujours par Adobe que l’on passe, pour les fichiers EPUB 2. Mais ce format finira bien par laisser la place à sa version 3.
La grande différence entre Care et LCP réside d’ailleurs dans cette relation à l’usager : CARE pousse au confort de l'utilisateur dans un environnement bien défini, où il est authentifié. De son côté, LCP pousse à l'intéropérabilité la plus complète possible, dans des environnements très divers.
Et ce sera là un des grands paris de la LCP interopérable : que le sésame demandé pour la lecture soit le bon compromis entre la protection du droit d’auteur et les usages des lecteurs, indique Laurent Le Meur, CTO de l’EDRLab.
« Évidemment, TEA est pionnier sur l’emploi de LCP, dans la version qu’ils ont produite. Care défriche le marché, et permet l’évangélisation, puisque LCP peut protéger tout type d’EPUB, 2 ou 3 », rappelle-t-il.
Pour autant, la spécification sur laquelle repose Care est partie de drafts qui depuis ont été finalisés, avec des réglages qui ont pu évoluer. « La DRM LCP appliquée par ePagine sur le catalogue izneo est celle de la configuration finale », relève Stéphane Michalon. Et le tout avec un code open source et des spécifications ouvertes pour que d’autres puissent facilement réussir leur implémentation.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« De leur côté, les maisons n’ont pas de problème à adopter LCP : tout ce qu’elles font, c‘est autoriser un distributeur à appliquer cette protection. Tout en répondant aux problèmes d’usages que la DRM Adobe ne manque pas de poser. » Et c’est simple : pas de support de l’EPUB 3. En outre, l'industrie entretient un paquet de griefs à l'égard d'Adobe : un mauvais support de EPUB 3 – après avoir installé une vieille solution Readium dans leur SDK pour supporter EPUB 3 à minima –, des bugs non corrigés, des messages d'erreur abscons, l'obligation de s'inscrire chez Adobe, ... et des coûts d'exploitation élevés.
Cependant, on ne verra pas disparaître la DRM Adobe du jour au lendemain. Avant que LCP ne remplace définitivement Adobe, il se passera certainement quelques années. « Il est cependant plus intéressant pour l’ensemble de la chaîne de recourir à LCP, parce qu’il n’y a pas de système de facturation transactionnel. »
C’est sur cette période de transition que tout le monde planche donc : parvenir à faire cohabiter les deux DRM dans les usages et les appareils, jusqu’à ce que LCP prenne le dessus. « Le problème, ce sont les coûts de développement pour les fabricants d’appareils. Nous ne sommes pas dans un secteur où l’argent pour la R&D ruisselle. Il est difficile d’investir tout l’argent nécessaire dans ce type de migration, dans un court laps de temps. »
La DRM LCP prend son temps, multiplie les déploiements, et les outils de lecture, comme dernièrement avec la sortie d’une version alpha de Readium Desktop pour MacOS, Windows et Linux. Et nouvelle toute fraiche : « Notre appli iOS “R2 Reader” est dispo aujourd’hui sur le store Apple, et supporte LCP. C’est une app de démo des capacités de notre architecture Readium-2. Elle ne prétend pas concurrencer les applis des acteurs professionnels, mais plutôt pousser ces acteurs à adopter le kit de développement. »
Quant à la concurrence, Kobo ne peut pas être demandeur d’une pareille migration, mais il faudra voir si Fnac, de son côté, ne forcera pas son partenaire à se lancer. Et comme Adobe ne semble pas pressé de réagir, l’EDRLab peut continuer son évangélisation. Chi va piano, va sano...
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