Durant ses études de Lettres en France, Corinne Fleury passait son temps en bibliothèques et en librairies. Elle y a découvert une production riche et dense de livres français. Revenue à Maurice au début des années 2000, elle a parcouru quelques librairies de l’île, se rendant compte du déséquilibre entre la production de livres étrangers et celle de la production locale. La littérature jeunesse mauricienne était quant à elle très peu visible. La maison Atelier des nomades allait naître.
Corinne Fleury, CC BY SA 2.0
Corinne Fleury : À l’époque, il y avait moins de librairies qu’aujourd’hui, moins de livres d’éditeurs locaux, et malheureusement souvent, les livres n’étaient pas très qualitatifs. Pourtant bien avant cette époque, Maurice avait déjà des auteurs et des artistes extraordinaires : Marcelle Lagesse ; Edouard Maunick ; Malcom de Chazal parmi tant d’autres. Tous ces auteurs ont eu tant à dire sur notre culture, mais pourtant ces voix, ces émotions ne transparaissaient que très peu en librairies.
Avec mon mari Anthony, nous nous sommes alors lancés dans l’aventure de l’Atelier des nomades pour valoriser la tradition et la culture mauricienne, pour donner une voix par le livre, pour que le livre passe de main en main, de pays en pays, pour qu’il soit nomade.
Notre premier livre a été un livre de recettes traditionnelles de Maurice : Petits plats gourmands de l’île Maurice de Robert Grenouille. Nous avons dépoussiéré le rayon art de vivre local avec ce livre qui a rapidement connu un vif succès ! Et ensuite, nous avons posé nos valises du côté de la jeunesse parce que je sentais que nous avions des choses à dire et à montrer.
Mon histoire entre la France et Maurice a influencé dès le début notre ligne éditoriale. L’Atelier des nomades est naturellement à l’image de cette histoire, ici et ailleurs, il se nourrit du métissage culturel et crée des passerelles entre les pays. Nos livres sont souvent un lieu d’échange et de rencontre entre auteurs et illustrateurs d’horizons différents. Dans notre prochain album Tizan et le loup, les co-auteurs sont Mauriciens (Amarnath Hosany) et Français (Véronique Massenot) et l’illustratrice est Réunionnaise (Solen Coeffic) !
Jusqu’ici nous avons exploré l’art de vivre et la littérature jeunesse, mais à partir de septembre, nous allons présenter une collection de littérature générale qui comprendra des achats de droits d’auteurs mauriciens publiés à l’étranger, la réédition de textes mauriciens disparus ou épuisés et la publication de romans inédits.
Corinne Fleury : Il y a 2 grands éditeurs à Maurice et ils sont spécialisés essentiellement en livres scolaires. Nous sommes parmi le top 3 des éditeurs jeunesse de Maurice et je suis très fière d’avoir contribué à changer le paysage de la littérature jeunesse à Maurice avec des albums de qualité.
Corinne Fleury, CC BY SA 2.0
Corinne Fleury : Le marché du livre est très difficile à Maurice. Il existe peu d’éditeurs qui publient régulièrement dans des domaines autres que le scolaire et les librairies doivent se diversifier dans la papeterie et les « goodies » pour continuer d’exister. Il y a 3 mois une librairie historique de l’île a fermé ses portes…
La majorité des bibliothèques sont de vieux antres très peu fréquentés. Les imprimeurs assurent des livres de haute qualité, mais les prix de production sont très élevés notamment dus à la forte taxe sur l’importation du papier. Avec l’absence de politique du livre, l’absence d’aide aux éditeurs et aux libraires, l’absence de formation en édition et en arts graphiques et le peu de manifestations littéraires, l’industrie du livre souffre fortement sur l’île.
Mais malgré tout, ceux qui résistent, ceux qui continuent d’y croire font pour la plupart un travail formidable. Les éditeurs ont peu de moyens, mais la qualité des livres s’est fortement améliorée depuis ces 20 dernières années.
Les auteurs publient beaucoup à compte d’auteurs avec l’aide de mécènes et parfois de sponsors parce que les éditeurs n’ont pas les moyens d’accueillir leur projet. Grâce à eux, la poésie continue à vivre sur l’île, on voit naître aussi de beaux projets de livres photos ou de bandes dessinées.
Les libraires accueillent de plus en plus de manifestations pour faire vivre le livre : dédicace, atelier, lecture à haute voix, etc. La médiathèque de l’Institut français organise chaque année une Fête de la littérature jeunesse qui est très suivie par la population locale. Les bibliothèques de l’Alliance française travaillent avec les écoles pour faire venir lire les enfants.
Même si le constat n’est pas joyeux, le paysage éditorial de l’île est en train de bouger, il s’enrichit d’année en année et je suis convaincu que les meilleures années sont devant nous.
Corinne Fleury : Nous ne nous sommes pas préoccupés du numérique pour l’instant. Il ne répond pas encore à une vraie demande sur le marché mauricien bien qu’il existe une librairie numérique locale.
Corinne Fleury CC BY SA 2.0
Corinne Fleury : Au-delà de sensibiliser les lecteurs à nos ouvrages, nous tentons de sensibiliser le public à la lecture. La population a un des meilleurs taux d’alphabétisation de la région, mais elle lit peu, la lecture revêt encore un caractère élitiste. Nous devons donc constamment aller au-devant du public pour l’attirer vers la lecture. Nous organisons des lectures à haute voix, des ateliers dans les écoles, bibliothèques et associations. Cette année nous organisons même le premier festival du livre jeunesse à Maurice au mois de septembre avec le concours de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Pour nos ouvrages, nous travaillons étroitement avec les libraires pour une meilleure visibilité. Nous faisons parfois venir nos auteurs étrangers et nous organisons des séances de dédicaces. Nous avons un bon réseau de journalistes qui nous suit régulièrement sur l’île et a qui nous faisons parvenir des services de presse.
Nous sommes aussi très présents sur Facebook afin de donner à nos followers des nouvelles régulières. Nous organisons des jeux-concours, etc. Nous essayons d’offrir des goodies : marque pages, sacs en toile, etc. à chaque nouvelle sortie de livre.
Corinne Fleury : Ce n’est pas un sujet auquel nous avons été confrontés jusqu’à présent.
Corinne Fleury : Il y a peu de manifestations sur l’île. Nous participons chaque année à la Fête de la littérature jeunesse organisée par l’Institut français de Maurice.
L’an dernier, nous étions présents au Salon du livre de Paris et à la Foire du livre de Francfort sur un stand commun d’Africains francophones. Et depuis 2 ans, l’île de la Réunion nous accueille avec beaucoup de gentillesse sur leur stand pendant le Salon du livre de Montreuil. Cette année nous serons aussi au Salon du livre de Bologne.
Ces manifestations sont indispensables pour nous. À Maurice, elles nous permettent d’approcher la population locale. À l’étranger, elles permettent de faire voyager le livre mauricien au-delà des récifs ! Les gens sont toujours très étonnés de voir les livres mauriciens parce qu’ils ne savent pas à quoi ressemble l’esthétisme de l’île, ils connaissent mal sa littérature, sa culture et ses traditions. En général, ce sont de beaux temps d’échanges et un partage précieux avec la population, mais aussi avec les professionnels.
Corinne Fleury, CC BY SA 2.0
Corinne Fleury : Nous serons distribués très prochainement par Des livres et des îles à la Réunion.
Nous travaillons aussi à trouver un distributeur en France puisque pour l’instant nous servons nous-mêmes les librairies. De plus en plus de librairies françaises nous suivent et nous en sommes ravis, mais nous ne sommes pas équipés pour la diffusion et la distribution en métropole.
Depuis la Foire du livre de Francfort, des ententes et amitiés se sont liées avec d’autres pays francophones africains. Un de nos titres est vendu au Togo par Ago Média.
Nous avons rejoint l’Alliance internationale des éditeurs indépendants en 2017 et nous espérons que d’autres partenariats pourront en découler.
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