Avec Le Gang des rêves, le romancier Luca di Fulvio a connu un succès qui ne se dément pas en Europe. Le livre sera même adapté en série, Di Fulvio cosignant le scénario. Ce que les lecteurs ignorent encore, c’est l’extraordinaire histoire éditoriale du livre, et de son auteur, intrinsèquement liée à une maison qui venait tout juste d’ouvrir à Paris...
Le 28/03/2018 à 11:05 par Nicolas Gary
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Publié le :
28/03/2018 à 11:05
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Luca di Fulvio © Olivier Favre Klein
Au commencement, Bertrand Favreul, ancien de Robert Laffont et d’Albin Michel, Henri Bovet, ancien de la RMN, de Tallandier et de First, et la famille Slatkine réfléchissent à la création d’une maison généraliste. Michel-Edouard Slatkine, le père, Michel-Igor, et Ivan, ses deux fils, sont déjà à la tête d’un groupe genevois centenaire, Slatkine Reprints. Mais plutôt que de tenter de l'exporter en France, s’impose la création d’une nouvelle structure.
« Nous souhaitions une petite maison d’édition, de la taille d’une famille, où grands lecteurs et lecteurs occasionnels pourraient se retrouver, autour de 10 à 12 titres par an. Peu de livres, parce que la production générale est beaucoup trop importante et pour se laisser le temps de soigner et d’entretenir chaque titre comme un livre unique », se souvient Henri Bovet.
« Plutôt que de chercher à nous adresser directement à la très grande population de Français qui lisent 1,5 livre par an, nous cherchions à partager nos goûts avec ceux qui en dévorent deux par mois, mais avec l’ambition que la qualité de nos livres permette aux deux cibles de se retrouver. L’exercice supposait naturellement un soutien exceptionnel des libraires, renforcé dans un second temps par celui des éditeurs de poche. »
Lancée en mars 2016 et diffusée par Volumen, la maison commence par publier des auteurs étrangers, pour amorcer la machine. Rapidement, un premier auteur francophone va pourtant émerger, en août 2016 : Marc Voltenauer. « Marc avait publié son premier roman chez Plaisir de lire, un éditeur associatif suisse, où Le Dragon du Muveran s’était vendu à plus de 24.000 exemplaires. Nous avons proposé à cet éditeur de l’aider à franchir la frontière en publiant Marc chez Slatkine & Compagnie. Son premier, puis son deuxième livre, Qui a tué Heidi ? ont installé l’auteur bien au-delà de la Suisse romande. »
Un an plus tôt, Slatkine & Cie n’avait pas encore de nom. La vie s’organisait, et la maison se structurait, jusqu’à cette rencontre avec Luca Di Fulvio. « En tant que germanistes, nous avons toujours un œil sur les ventes en Allemagne dans le Spiegel. Alors que l’été approchait, nous avons découvert Luca, dont les livres occupaient les trois premières places. » Étrange... et suffisant pour attiser la curiosité.
À partir de là, la maison va entrer dans une dimension parallèle : « Nous avons adoré ce livre, mais n’avions encore rien publié, et nous voici à contacter Mondadori, l’éditeur de Luca, pour lui acheter les droits pour Le Gang des rêves», explique Louis Bovet, le fils. Mondadori contacte les éditeurs qui avaient par le passé traduit d’autres livres de Luca Di Fulvio en France. « Chance : c’est le mois d’août, personne ne répond. Et nous achetons les droits. »
D’autant que Le Gang était déjà ancien, publié en 2008. Manifestement, les maisons françaises n’avaient pas eu le goût du risque. Un gros investissement de traduction, des ventes pour les précédents livres qui n’étaient pas convaincantes, que ce soit dans la Série noire de Gallimard ou chez Albin Michel.
En Italie, La Gang dei sogni avait pourtant réalisé plus de 100.000 ventes. En Allemagne, Bastei Lübbe en avait écoulé plus de 1,4 million. Mais le pari reste audacieux pour ce roman de 800 pages. Elsa Damien se voit confier la traduction – elle a déjà traduit Elena Ferrante. Les deux autres livres, Le soleil des rebelles, comme Les enfants de Venise, seront traduits par Françoise Brun, connue pour son travail sur Alessandro Baricco.
Or, avant même la publication du Gang, l’équipe de Pocket se montre intéressée : « Charlotte Lefèvre, responsable éditoriale de la maison nous a signé les trois livres dont nous venions à peine d’acquérir les droits. »
Elle-même estime que le livre « correspondait parfaitement à notre ligne éditoriale. Nous avons acheté Le Gang, et deux mois plus tard, les deux autres livres étaient signés ». Le flair de l’éditrice étranger de Pocket, Amélie Pasquet, autant que la conviction de détenir là un livre « avec un véritable souffle. Un livre vraiment romanesque, et prenant comme un roman-feuilleton, qui tient en haleine sur 1000 pages ». Le tout avec cette impression que l’histoire est passée en quelques minutes.
Une littérature particulièrement visuelle accompagnant un roman qui semble convenir à tous, sans distinction d’âge ni de sexe. « Cela faisait longtemps que je n’avais pas ouvert un livre pareil », conclut Charlotte Lefèvre.
Dans le même temps, pour Slatkine et Compagnie, l’achat des autres livres, Les enfants de Venise, et Le Soleil des rebelles, prolonge cette folie douce, mais saine.
« Quand Luca a présenté son deuxième roman à Mondadori, en dépit des ventes, la maison n’a pas fait preuve d’un enthousiasme débordant. Il a alors contacté son éditeur allemand. » La légende veut que ce dernier ait pris un avion, pour signer en direct l’auteur italien. « Luca di Fulvio est désormais publié directement par Bastei Lübbe. En Allemagne, comme en Italie », raconte Henri Bovet. Ubuesque.
Pour la sortie du Gang des rêves, en 2016, l’équipe de diffusion du Seuil recommande à la maison Slatkine & Compagnie un lancement en mai, « pour en faire un livre de l’été ». Avec une mise en place de 3 500 exemplaires, le démarrage est pourtant assez long à venir. »
Le décollage surviendra quand la journaliste Pascale Deschamps, en plein mois de juillet, présente une sélection de trois livres, au 13 h de France 2. Le Gang des rêves en fait partie. C’est la couverture qui a interpellé la journaliste, et pour cause : il s’agit d’un cliché réalisé par Jacob Riis, un Danois immigré aux États-Unis, devenu photographe documentaire.
Ce dernier s’était engagé dans la lutte contre la pauvreté. Sa photo, prise sensiblement à l’époque où se déroule le roman, illustre parfaitement le combat de l'héroïne du roman, Cetta Luminata. Dans les années 20, cette jeune Italienne est décidée à vivre le rêve américain avec son fils, baptisé Christmas. Entre la violence que les gangs induisent et la pauvreté, trouver sa place et une existence heureuse relève du défi. À moins que l’amour ne vienne bousculer un destin hasardeux.
Le même été, « la Maison de la presse de Deauville nous écrit pour dire qu’elle “a arrêté de vivre” pour lire le roman », indique Louis Bovet. Dans la foulée, Lydie Zannini, de la Librairie du Théâtre, à Bourg-en-Bresse, se prend d’amour pour LeGang, et le propose à tous ses clients. Elle en parle à Gérard Collard, à Saint-Maur… « C’était comme une chaîne, nous avions, partout en France, des dizaines de libraires, qui nous soutenaient, parfois de tout petits points de ventes, qui écoulaient 500, 700 exemplaires. » Le phénomène s’accentue sur les réseaux sociaux : le livre de 800 pages se vend chez Slatkine & Compagnie à 20.000 exemplaires.
Quand vient la sortie en poche, un an plus tard, en mai 2017, tout reste à faire. « Cette seconde vie a démultiplié les ventes », indique Louis Bovet. Les éditions Pocket n’ont pas lésiné, explique Charlotte Lefèvre : « Il a fallu faire un travail de fourmis, notamment auprès des libraires, avec les représentants. Nous avons imprimé des épreuves pour un roman poche de 1000 pages ! » Le projet avait alors tout pour devenir le véritable phénomène qui a depuis largement conquis les lecteurs.
À date, plus de 100.000 exemplaires ont été vendus en poche. Le deuxième roman, Les Enfants de Venise, est paru en grand format le même où Le Gang sortait en poche. « Un lancement qui a une fois encore profité aux deux ouvrages. » En une année, Les Enfants s’est vendu à plus de 22.000 exemplaires. Chez Pocket, le tirage initial est de 45.000 exemplaires.
Louis Bovet poursuit : « Le partenariat avec Pocket nous a permis de gagner le secteur des grandes surfaces culturelles, mais également celui des hypers. C’est une très belle synergie pour les livres de Luca. Le 5 avril prochain, la parution est de nouveau simultanée entre Le Soleil des rebelles, son nouveau roman, et la publication des Enfants chez Pocket. » D'ailleurs, les livres de Marc Voltenauer sont également publiés par Pocket.
Et cerise sur le gâteau, Luca Di Fulvio comptera parmi les invités de Quais du polar. Et comme il comprend parfaitement le français, les lecteurs pourront découvrir celui qui fait vibrer les tables des libraires...
Luca Di Fulvio, trad. Elsa Damien - Le gang des rêves - Editions Pocket - 9782266272438 - 9,40 €
( à par. 5/04 ) Luca Di Fulvio, trad. Françoise Brun – Les enfants de Venise – Editions Pocket – 9782266272445 – 9,40 €
( à par. 5/04 ) Luca Di Fulvio, trad. Françoise Brun – Le soleil des rebelles – Editions Slatkine et Cie – 9782889440481 – 23 €
Paru le 04/05/2017
943 pages
10,30 €
Paru le 05/04/2018
987 pages
10,30 €
Paru le 05/04/2018
636 pages
Slatkine et Cie
23,00 €
2 Commentaires
Fanny
11/04/2020 à 13:54
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Helo
09/08/2020 à 14:24
Bonjour, j’ai découvert cet auteur Luca di fulvio, et je souhaiterai lire l’échelle de dionisos, mais je ne le trouve nul part , savez vous où je peux me le procurer svp ? Merci