Publiées aux éditions Mnémos sous leur label jeunesse Naos, Les Sœurs Carmines n’ont pas fini de vous surprendre. Dolorine à l’école, le troisième tome des aventures de la sororité, promet d’être tout aussi tragiquement délicieux que les précédents. Parti chez l’imprimeur il y a quelques jours, le dernier opus de la saga devrait arriver de Grisaille pour les Imaginales, le 24 mai. Mais avant de se replonger dans les désastreuses aventures de la famille Carmine, on vous propose d’en rencontrer l’auteur, Ariel Holzl.
Le 05/04/2018 à 17:39 par Fasseur Barbara
Publié le :
05/04/2018 à 17:39
Après s’être essayé à la communication, avoir touché aux jeux vidéo et tenté d’écrire pour le cinéma, Ariel Holzl a eu envie de raconter ses univers autrement. « J’ai commencé à écrire autour de mes 19 ans. Je dois avoir 3 romans en réserve qui ne seront probablement jamais publiée. Et puis j’ai eu envie de faire connaître mes histoires » confie-t-il à ActuaLitté.
Et c’est qu’il s’en passe des choses sous son bonnet « symbiotique ». Pour l’instant, nous, simple lecteur n’avons pu arpenter que les rues (et les toits) de Grisaille. « D’ailleurs, l’idée de cette ville est née lors de mon stage à Cork en Irlande. J’habitais dans un petit appart typiquement anglais, à moitié enterré en haut d’une colline. Mais par la fenêtre, je dominais toute la ville, j’avais une vue plongeante sur les toits, histoire de profiter du temps souvent… gris » s’amuse-t-il.
Grisaille était née. Et attention, la ville est peut-être l’un des personnages les plus importants de sa saga. En bon citadin, il a apporté une attention toute particulière à bichonner cette cité à l’ambiance si spéciale. « Pour moi, c’est là-dessus que repose l’urban fantasy, il ne faut pas simplement que l’intrigue se passe dans un décor urbain. Il faut créer une ville comme on construit un personnage à part entière, à l’image d’Ankh-Morpork imaginé par Terry Pratchett dans Le Disque-monde. »
Et avec une héroïne telle que Grisaille, Ariel avait trouvé un terrain de choix pour y développer une satire sociale piquante aux multiples degrés de lectures. Bien que publiées sous un label jeunesse, les sœurs Carmines et leur véritable ironie du réel sauront trouver leur place entre toutes les mains. « J’ai voulu écrire de la fantasy qui ait un impact. Écrire une bonne histoire c’est important, mais il faut aussi qu’elle délivre quelque chose. »
Et pour cela, Ariel Holzl n’hésite pas à aborder les sujets les plus glissants. La famille Carmine est ainsi confrontée à la pauvreté puisque les sœurs luttent jour après jour pour subvenir aux besoins de la maisonnée. Mais Grisaille est aussi le théâtre d’inégalités sociales à peine déguisées, de cultes religieux douteux ou encore de crimes violents et d’adultères. Oui, oui quand on vous dit que ce n’est pas QUE pour les enfants.
Ses porte-paroles ? Le trio de choc, Merryvère, Tristabelle et Dolorine, soit la sororité Carmine. Et il n’y a pas à dire, les trois jeunes femmes remettent les pendules à l’heure dans le monde de l’héroïc fantasy encore bien masculin. « J’ai voulu rétablir la balance sans pour autant tomber dans le cliché de l’héroïne bateau trop parfaite qui fait de la figuration », reconnaît l’auteur. D’ailleurs, en parlant de cliché… Ariel n’hésite pas à pousser le bouchon, mais jamais trop loin.
D’après lui, c’est comme avec les univers propres aux films de Tim Burton, l’important c’est de fixer toutes les règles de l’univers d’emblée. Ainsi le lecteur, rapidement familier, n’est plus surpris de ce qu’il y trouve et je ne parle pas que des goules et vampires qui gambadent dans les rues de la cité brumeuse... Avec Ariel, on trouve ses marques en quelques pages, rigolant des sous-entendus comme des critiques plus acerbes sans s’en offusquer é-vi-de-mment.
« Je pense qu’on ne peut pas se laisser avoir. Les stéréotypes sont tellement poussés qu’ils sont immédiatement identifiés comme des outils critiques. Justement, je m’en sers de façades, j’y vais à fond pour mieux les démonter. Et puis je donne toujours des pistes, des clés au lecteur pour qu’il comprenne où je veux en venir. »
Et à l’image d’un Douglas Adams d’aujourd’hui, l’auteur n’épargne pas ses personnages. Les sœurs Carmines, c’est un curieux mélange, un roman feelgood dont le synopsis serait terriblement et volontairement déprimant. « J’ai voulu raconter l’histoire d’un échec. À l’origine, il ne devait y avoir que deux tomes. Celui de Merryvère, qui démontre que tout rater n’est pas forcément dramatique. Et puis celui de Tristabelle, où tout lui réussi, mais à quel prix. Sa victoire lui est bien plus coûteuse que la défaite de sa sœur ».
Ainsi avec ses contes macabres, Ariel délivre un message à l’image de la réalité et loin des morales manichéennes qui traînent encore parfois en jeunesse. La leçon, s’il y en a une, est teintée de gris, car parfois il vaut mieux être heureux dans la défaite que misérable dans la victoire. « En fait, j’ai voulu faire une Ode aux gens moyens. »
Il s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de Dirk Gently, série pseudo-policière de Douglas Adams où rien n’est laissé au hasard, aucun détail même le plus anodin, aucune rencontre même la plus capillotractée n’est à prêter au destin. « Je ne suis pas fan des détails inutiles, même mes personnages secondaires un rôle clé dans l’intrigue. Je ne laisse rien au hasard, alors ouvrez l’œil! »
Ariel Holzl aime savoir son lecteur actif et présent, pas seulement à grands coups de suspense et cliffhanger. À nous de mener l’enquête, de tirer les conclusions, de trouver les références littéraires et cinématographiques, les anagrammes et les jeux de mots. « C’est comme avec les différents niveaux de lecture. J’ai disséminé entre les lignes des dizaines de petits mystères, de petites enquêtes à suivre. Dans l’histoire évidemment, mais aussi dans le style d’écriture. »
Eh oui : jusque dans les mots et les tournures de phrases, rien n’est laissé au hasard on vous a dit ! Ayant été imaginé dans la grisaille de Cork, le texte est infusé de références anglo-saxonnes. Et puisqu’à personnage unique, style unique, Ariel Holzl revisite sa plume à chaque opus pour coller au plus près de chaque sœur, mais aussi pour s’adapter au genre dont il est inspiré.
On retrouve donc un premier tome en forme de roman de cape et d’épée supplément gothique à la troisième personne. Le second tome adopte des airs de roman d’éducation sentimentale avec un poil plus de caractère qui n’hésite pas à briser le quatrième mur. Et pour le troisième, il s’annonce comme un roman d’académie à la Harry Potter ou une référence à Martine, mais aux pays des zombies, c’est vous qui voyez.
Les anglicismes ne s’arrêtent pas là. Il traduit parfois littéralement des mots ou des idiomes de l’anglais vers le français, mais là c’est facile, on vous laissera chercher. D’autre fois encore, il emprunte des particularités typographiques de la langue de Shakespeare. Ainsi la Reine se pare d’une majuscule et les sœurs Carmines nommées toutes ensemble prennent un S.
« J’ai voulu ajouter à l’étrangeté de l’atmosphère de mon récit. Alors j’ai fait en sorte de mêler du latin de cuisine, du français et du franglais à ma sauce pour en faire un véritable outil. Par exemple, je me sers plutôt de termes à consonances anglaises pour la basse-ville alors que la haute société (et Tristabelle la première) utilisera un bon français parfois même un peu vieillot, du XVIIe-XVIIIe siècle », nous explique-t-il.
Seulement voilà, maintenant que Dolorine est entre les rouleaux de l’imprimeur, que va-t-il advenir de Grisaille et de la plume délicieusement tragique du jeune auteur ? « Je reviendrai à Grisaille, m’intéresser aux personnages que je n’ai pas encore eu le temps d’explorer comme Katryan, mais pas tout de suite ».
Il nous a confié avoir déjà exploré un nouvel univers. Une aventure post-apocalyptique plus moderne à mi-chemin entre Skins et Misfits, les créatures légendaires en plus. On quitte la jeunesse pour s’adresser à un public plus âgé. Il est également en train de plancher sur une nouvelle pour la revue Carbon à propos de la mystérieuse Lady Carmine…
Oh, et pour en apprendre un peu plus sur Grisaille, sa banlieue et ses familles, n’hésitez pas à fouillez le site qu’Ariel a monté de ses blanches mains à notre intention…
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