Pour les amateurs de fantasy, 2018 est une année bénie : Steven Erikson, auteur aux multiples récompenses acclamé dans le monde, revient en France avec une réédition de son cycle majeur : Le Livre des Martyrs (Malazan Book of the Fallen chez les anglophones). Nouveau nom, nouvelle traduction, splendide couverture… Et enfin, la chance de pouvoir dévorer ce monument sacré de l’imaginaire d’une incroyable richesse, représentation ultime de l’épique et du merveilleux.
Dans un monde qui a vu naître et disparaître d'innombrables races et civilisations, l'empire malazéen étend implacablement sa domination, soumettant des continents entiers les uns après les autres, grâce à la discipline de ses armées et la supériorité de ses mages de guerre. Mais la loyauté de ses soldats, abandonnés et trahis par leur impératrice, est mise à rude épreuve. Perdus, abandonnés et déchus, les fidèles de l'empire vont devoir tenter de survivre, entre sacrifices et dangers mortels. Un complot bien plus vaste se joue en toile de fond. D'anciennes forces terrées dans l'ombre semblent se réveiller…
Si le nom de Steven Erikson vous dit quelque chose, ce n’est peut-être pas pour rien : avant que les éditions Leha ne lui offrent cette renaissance tant attendue, Les Jardins de la Lune, premier tome d'une série de 10, était déjà paru deux fois en langue française. Aujourd’hui, c’est une nouvelle vie qui s’offre à ce premier volume, alors que partout dans le monde, la saga a déjà acquis ses lettres de noblesse – considérée comme l’un des plus grands, des plus ambitieux, des plus épiques cycles de fantasy qui soient. Et on comprend rapidement pourquoi…
Dès les premières pages, Erikson nous plonge dans un univers ravagé par la guerre et la conquête, auprès de soldats désabusés et de personnages impliqués de façon plus ou moins directe dans des événements qui les dépassent. Le début du livre n’est pas pour autant le début de l’histoire malazéenne, et il faudra attendre quelques chapitres avant de rassembler les pièces du puzzle. Car, dans Le Livre des Martyrs, c’est au lecteur de se débrouiller avec ce qu’on lui donne – et il est bon, pour une fois, de se laisser totalement porter par l’intrigue.
D’autant plus que cette particularité ne fait que souligner la grandeur du monde qui se dévoile peu à peu devant nos yeux émerveillés.
Et quel monde ! Erikson a travaillé son histoire sur plusieurs centaines de milliers d’années, pour un résultat qui force le respect. Chaque ville, chaque peuple, chaque personnage a un passé, et, si peu d’indices nous sont donnés sur ces éléments, il est tout bonnement fascinant de constater à quel point l’univers de ce Livre des Martyrs est grand. Erikson nous invite ainsi à voyager entre Pale et Darujhistan, à rencontrer mages, voleurs et assassins, à nous régaler des jeux de dupe et trahisons qui parsèment l’intrigue, à assister à des combats des plus épiques – la fin du roman est par ailleurs impressionnante –, et on en redemande.
Le système de magie lui-même est d’une originalité bienvenue. Là encore, il faudra de la patience avant de saisir toutes les subtilités de son fonctionnement, mais chaque affrontement impliquant ces fameuses « Garennes » utilisées par les personnages nous laisse pantois. Il faut dire que l’on assiste à un véritable déferlement de puissance à chaque fois, qui se joue entre des entités au pouvoir inégalable, et c’en est jouissif pour le lecteur.
Quant aux personnages, préparez-vous là encore, car il y en a à foison. L’une des particularités du roman est d’ailleurs de nous présenter non pas un ou deux personnages principaux, mais toute une flopée de protagonistes répartis dans les différents camps qui, chacun à son échelle, auront un impact sur l’avancée de l’histoire. On regrettera le manque d’empathie ressenti à l’égard de nombre d’entre eux, mais certains sortent du lot !
Mentions spéciales à Kruppe, intrigant personnage au langage particulier, et surtout à Anomander Rake, Seigneur de Sangdelune et des Tistes Andii, qu’on a hâte de revoir dans les tomes suivants tant sa puissance, sa présence et les mystères qui l’entourent ont fait forte impression.
De manière générale, tous les personnages ont quelque chose à apporter et un rôle à jouer… Sans parler des divers peuples créés par Erikson. Barghasts, T’lan Imass, Moranths, dragons, Tistes Andii… Ils sont nombreux à parcourir le monde du Livre des Martyrs, et tous plus intéressants les uns que les autres. Même les dieux sont de la partie, n’hésitant pas à intervenir directement dans la guerre pour se mettre des bâtons dans les roues.
Bien différents du rôle qu’on leur attribue souvent en fantasy, ces dieux ne sont d’ailleurs ni inaccessibles ni invulnérables, et la mort elle-même prend une toute autre dimension dans le récit qui nous est proposé. En bref : au placard, les stéréotypes du genre.
C’est un vaste univers que nous présente Steven Erikson, soigneusement construit et d’autant plus réaliste que chaque élément y trouve sa place. Attention cependant : il est certain que ce roman est très différent de tout ce que vous avez pu lire auparavant en fantasy. Erikson le clame haut et fort dès sa préface : l’expérience du lecteur est encore plus immersive lorsqu’il n’est pas tenu par la main, et force est de constater qu’il a raison.
Les explications viendront donc parfois quelques centaines de pages plus tard, mais elles viendront ; et chaque élément que vous pourrez piocher vous donnera des clés supplémentaires de compréhension.
Voilà une fresque dont la complexité pourra en rebuter certains, mais soyez sûrs que le jeu en vaut la chandelle : accrochez-vous, et si vous acceptez les règles établies par Erikson, vous serez grandement récompensés. Bien heureusement, des cartes et un glossaire sont également là pour nous aider à nous y retrouver, donc pas de panique ! Assurez-vous simplement d’avoir un peu de temps à y consacrer…
Il serait dommage de ne pas évoquer le livre-objet, les éditions Leha ayant livré un travail remarquable en nous proposant la crème de la crème : la couverture des Jardins de la Lune est signée Marc Simonetti – dont le nom ne sera certainement pas inconnu aux amateurs de fantasy –, qui livre là une illustration absolument magnifique retranscrivant à merveille le souffle épique et la grandeur de ce cycle. Rien que pour ce type de couvertures, on a hâte de pouvoir mettre la main sur la suite, prévue pour l’automne 2018.
Au final, tous les éléments sont réunis pour nous faire passer un grand moment, un de ceux que l’on devine mémorables, avec pour nous accompagner un enthousiasme qui ne fait que grandir alors que se dessine peu à peu le récit du Livre des Martyrs… Et de tourner la dernière page avec une certitude : nous voilà face à quelque chose de très, très grand. Et d’incroyablement excitant.
Steven Erikson – trad. Emmanuel Chastellière – Le Livre des Martyrs, T1 : Les Jardins de la Lune – Éditions Leha - 9791097270193 – 25 €
Par Bouder Robin
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 18/05/2018
639 pages
Leha Editions
25,00 €
1 Commentaire
Stéphanie
29/05/2018 à 15:43
Rien à ajouter à cette chronique pertinente. On se demandera seulement pourquoi les grands éditeurs français n'ont pas osé présenter aux lecteurs français cette saga de fantasy épique anglo-saxonne au long cours (dix volumes), d'une richesse et d'un intérêt plus qu'évidents... Cela confirme que les vraies découvertes et les traductions indispensables (Steven Erikson, mais aussi, dans un autre genre, Nnedi Okorafor par exemple) sont désormais, la plupart du temps, le fait de jeunes éditeurs comme Leha ou Les éditions de l'Instant.
Invité par les Imaginales, Steven Erikson a trouvé son public à Épinal, et a rassemblé de belles salles lors des débats où il intervenait... Le Livre des Martyrs est appelé, j'en prends le pari, à rencontre un beau succès auprès des lecteurs français.