Avec La femme qui ne vieillissait pas, Grégoire Delacourt parle de la perte, du décès et de la solitude qui surviennent. De la sensation d’abandon à la vie qui s’avance, un roman sensible et fort.
Le 21/05/2018 à 10:05 par La Licorne qui lit
Publié le :
21/05/2018 à 10:05
Qui d’entre nous n’a pas un jour soufflé ses bougies d’anniversaire en se disant « ça commence à faire beaucoup, de petites flammes » ? Qui d’entre nous n’a pas fait le triste constat un matin devant le miroir, après une soirée un peu trop arrosée, « définitivement je n’ai plus 20 ans. » Les cernes bleutées qui affaissent le regard, la semaine entière à se remettre de cette maudite dernière tequila de 6 heures du matin avalée en hâte dans un after enfumé.
Quête constante d’une vie sans maux et sans fatigue, sans triceps qui pendouille, sans ventre qui se détend, sans genou qui craque, sans sillon qui creuse ce front autrefois si lisse. Nous dépensons des sommes faramineuses en pilules « jambes fines et abdos d’acier », en emballages de vitamines A, B, C et tout l’alphabet, en teinture blondeur effet californien, en abonnements au fitness « 3 mois gratuits pour être belle avant l’été ».
Botox, liposuccion, DHEA, silicone, implants mammaires et capillaires font désormais partie du triste vocabulaire de générations entières qui refusent de vieillir. Même Beigbeider a commencé a cherché un moyen d’échapper à la fatalité, c’est tout dire...
Mais a-t-on réellement et raisonnablement imaginé ce que cela aurait comme effet d’être jeune, ou tout du moins paraître jeune pour toujours ? Dans son dernier roman, Grégoire Delacourt a décidé d’y penser pour nous. Et croyez-moi, l’auteur de La liste de mes envies, qui soit dit en passant m’a redonné l’envie d’écrire pour vous, a bien fait de nous mettre devant l’évidence : ne pas vieillir, c’est la galère absolue…
La femme qui ne vieillissait pas raconte Betty.
Betty est une jeune femme, ordinaire, enfin presque. Jolie petite fille aux mensurations parfaites, Betty va pourtant vieillir d’un coup. A 13 ans, elle perd sa mère, cette maman qu’elle croyait immortelle, « elle riait, elle chantait, elle dansait sur la chaussée et une Ford Tanus de couleur ocre l’a emportée ».
Betty est élevée par un père, aimant, attentif, hanté par ses souvenirs d’Algérie, d’où il reviendra avec une jambe en moins. Betty traverse toutes les étapes avec vérité et légèreté, avec profondeur et sensibilité, et, sous la plume de l’auteur qui la dépeint si bien, elle devient une femme. Elle aime, elle pleure, elle ressent, elle prend une direction, puis une autre, elle part et elle revient. Betty lit Goldoni et Proust, se coupe les cheveux à la Jane Seberg, écoute Janis Joplin et Queen, se passionne pour mai 68. Betty se marie avec André, le sculpteur sur bois et Betty fait un bébé, Sébastien. Betty a la vie de toutes les femmes, enfin presque.
Car Betty ne vieillit plus, Betty a toujours 30 ans. Car Betty refuse de vieillir. Car Betty en veut inexorablement à sa mère de ne pas lui avoir appris à apprivoiser la « peur du grandir ». Betty voit le monde autour d’elle évoluer, changer, s’éroder. Betty est spectatrice : André devient célèbre ; Sébastien devient un adulte ; Henri, son père, devient sénile ; et Odette, son amie, s’abîme à coups de bistouri et de liftings.
Mais elle, Betty, sur chaque cliché que son ami photographe « du temps » prend d’elle, année après année, elle est la même. Mains sur ses hanches, lèvres entrouvertes, portant ce joli chemisier blanc dont elle détache les premiers boutons, « la peau est la même, le grain de peau est le même, aucune ride en cinq ans, aucun flétrissement… » Le temps ne passe pas.
Cette jeunesse éternelle, après laquelle nous courons de manière effrénée et obsessionnelle, se transforme en une monstruosité, une faute de frappe « parce qu’il n’est pas normal d’avoir trente ans pendant 30 ans ; parce qu’il faut bien que ce que l’on a aimé un jour s’altère, que l’image que l’on en a eue s’amenuise petit à petit, s’efface pour nous rappeler son éphémérité et la chance que nous avons eue de l’attraper comme un papillon au creux de la main ; il faut que les choses meurent pour que nous ayons la certitude de les avoir un jour possédées. »
Comme à son habitude, Grégoire Delacourt porte avec justesse la voix d’une femme, une femme qui vous, me, nous ressemble tant. Une femme qui possède certaines des clefs de son bonheur, mais qui se veut être une autre, car elle est soudainement confrontée à la perte et à l’obligation de se construire « sans ». C’est pour cette raison qu’à 23 ans, Martine est devenue Betty, pour être une autre, pour renaître une seconde fois et ne jamais disparaître… vaine illusion de supposer qu’un prénom puisse combler le manque laissé par une maman.
Voici quelques mois que la talentueuse rédaction d’ActuaLitté n’avait pas reçu de mes nouvelles. Mes livres ne m’ont pas quittée, rassurez-vous, mais, comme Betty, j’ai voulu vivre, un peu. J’ai virevolté, exploré de nouveaux cieux et découvert de nouveaux nuages ; j’ai voulu être cet autre et j’ai caché ma corne sous un tas d’artifices ; j’ai assumé et parfois regretté.
Mais contrairement à Betty, mon apparence, ma silhouette, mon visage, mes pattes sont les témoins de ce temps qui a passé : quelques poils argentés dans ma crinière ; des petites rides d’émerveillement au coin de mes yeux ; un minuscule bourrelet de plaisir sur mon abdomen. Nous aussi, créatures légendaires, nous subissons les affres des secondes qui s’égrènent. Notre sablier est simplement un peu plus lent, un peu plus lourd.
Alors que je suis sur le point de souffler mes XX bougies (je garde le nombre pour moi, mais pensez fort à moi dans quelques jours), j’ai compris que ces marques font de nous ce que nous sommes aujourd’hui et ce que nous serons demain ; que ces traces sont les souvenirs visibles de nos erreurs, nos bonheurs, nos deuils et nos choix ; et que ces bougies toujours plus nombreuses sont une excellente excuse pour réunir les personnes que l’on aime et déguster un gâteau toujours plus grand…
Alors, cessons de nous entartiner de crèmes anti-âge, de nous goinfrer de remèdes miracles et d’essayer à tout prix de ressembler à ce que nous ne serons plus jamais. Tout cela a un sens que nous devons respecter. Apprenons du chemin déjà parcouru et regardons au loin vers l’horizon. La route est encore belle et le soleil brille encore au zénith. Alors, oui, nous avancerons moins rapidement, nous serons plus vite essoufflés et nous aurons à nous arrêter plus souvent. Mais au final, il n’y a pas de mal à prendre son temps…
Carpe diem et à bientôt, mes licornettes et mes licorneaux, vous m’avez manqué.
Grégoire Delacourt – La femme qui ne vieillissait pas – Lattès – 9782709661836 – 18 € | Ebook 9782709662093 – 12,99 €
Par La Licorne qui lit
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 28/02/2018
245 pages
Jean-Claude Lattès
19,00 €
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