La température grimpe à Angoulême, et c’est Paris qui fait monter la moutarde au nez. Après des années houleuses, le festival de la BD vient enfin d’instaurer une pax romana, et s’apprête à repartir. Pourtant, un coup inattendu porté dans la fourmilière agite, et inquiète. Les éditeurs voudraient-ils concurrencer Angoulême, depuis la capitale ?
Le 05/07/2018 à 13:25 par Nicolas Gary
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Publié le :
05/07/2018 à 13:25
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yves Tennevin, CC BY SA 2.0
Il fallait être vigilant pour remarquer dans Sud Ouest cet entrefilet, une réaction du président du Grand Angoulême et maire de La Couronne, Jean-François Dauré. Il dénonce « un projet concurrentiel de création d’un nouveau festival de bande dessinée au Grand Palais à Paris pour juin 2019 ». Quid ? Cette « initiative du syndicat national des éditeurs (SNE) [est] prise sans aucune concertation et nous avons mis l’Etat devant ses responsabilités ».
Et le président de conclure : « L’État doit confirmer le FIBD d’Angoulême comme le festival de référence au niveau national. » Quid, bis : un festival BD au Grand Palais, cela étonne ? Pourtant, l’idée ne date pas d’hier, bien que sa concrétisation reste encore lointaine.
L’an passé, la présidente de la Réunion des Musées Nationaux (RMN) et du Grand Palais, Sylvie Hubac, projetait en effet d’organiser une manifestation dans ses murs. S’appuyer sur la BD permettait alors de décliner le thème à travers plusieurs approches – cinéma, jeu vidéo, animation, etc. Pas nécessairement de stands d’éditeurs, peut-être des dédicaces. C'était début 2017.
Selon nos informations, le Syndicat national de l'édition avait été approché à l’époque, mais d’un côté, le refus du Grand Palais de coorganiser – donc prendre une part d’investissement – d’autre part le refus des éditeurs de financer avait fait plonger l’idée dans l’oubli. D’autant que, nommée à la présidence de la section de l’intérieur du Conseil d’État, Sylvie Hubac avait d’autres phylactères à fouetter.
Entre temps, le SNE a connu un changement de présidence pour le groupe BD, et Moïse Kissous (groupe Steinkis), a pris les commandes, à la suite de Guy Delcourt. Est ainsi revenu le dossier : installer des bandes dessinées au Grand Palais semble séduire le président du groupe, qui projetterait avec ses confrères de mettre le projet en route. Surtout que l’un de ses membres, Jacques Glénat, a été nommé au conseil d’administration de la RMN par Françoise Nyssen, en février dernier. Une porte ouverte ?
« Que le SNE, réunissant les intérêts de sociétés privées, décide d’organiser une manifestation autour de la bande dessinée ne regarde pas les pouvoirs publics de la région Nouvelle Aquitaine », estime un proche du dossier. Certes non, les éditeurs ont bien le droit de faire ce qu’ils souhaitent. « Quant à interpeller l’État pour qu’il privilégie la manifestation d’Angoulême, ça ne manque ni de panache ni d’audace... ni de culot. »
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
On sait par ailleurs que Reed Expo, coorganisateur de Livre Paris, avait proposé au SNE de faire revenir la manifestation parisienne au Grand Palais. Projet avorté, car rejeté par le SNE. Qu’au sein même du SNE, le groupe BD décide d’investir le Grand Palais, voilà qui ne manque pas d’ironie – tout en envoyant un message ardu à décrypter.
Comment ne pas lire dans cette organisation prévue pour juin, une concurrence directe avec Livre Paris — salon qui participe au financement du SNE par ailleurs, avec près de 613.000 € pour l’édition 2018. « Que le groupe BD mette en place un projet concurrentiel d’Angoulême, rien à redire. Mais concurrentiel avec la manne économique qu’est Livre Paris, on y perdrait son latin. » Presque, effectivement.
Plus douloureux encore, la création d’une manifestation BD dans le prestigieux établissement interroge : même sans visée commerciale, est-ce à dire que l’approche artistique de Livre Paris, concernant la BD, est insuffisante ? Et que la fenêtre culturelle que représente Angoulême peut être grande ouverte – après tout, le SNE n’a aucun contrôle sur le FIBD.
Joint par ActuaLitté, Michel Filzi, président de Reed Expositions France, explique que « à ce stade, Reed n’a pas de déclaration à faire », et moins encore « sans concertation avec le SNE ». Contacté, Pierre Dutilleul, directeur général du SNE confirme que le projet est à l’étude, « mais au stade d’évaluation de sa faisabilité. Reed travaille sur le sujet, mais n’a encore remis aucune conclusion. Nous y réfléchissons comme nous le faisons pour trois ou quatre idées, en permanence ».
D’ailleurs, rien n’est acté : le Bureau du SNE n’a pas encore été saisi de cette hypothèse, qui « implique une délibération pour voir le jour », insiste Pierre Dutilleul. Or, dans cette perspective, Reed comme le SNE gagneraient sur les deux tableaux.
Comment se fait-il alors que la date de juin 2019 soit si clairement posée par les pouvoirs publics de la Région Nouvelle Aquitaine ? « Une simple question de calendrier et de disponibilités du lieu, pas de stratégie de notre part », balaye le directeur général. Et d’ajouter : « Nous n’avons pas une politique de destruction. Nous avons d'ailleurs pris part au renouveau d'Angoulême. »
Pour autant, s’il s’éloigne des projets initiaux de l’ancienne présidente de la RMN, le dossier tel qu'envisagé a déjà quelques contours. « Il n’y aurait pas de libraires avec des stands pour des dédicaces. Nous n'avons pas à l'esprit un salon du livre traditionnel. »
De fait, il s’agirait plutôt de réunir tous les participants du monde de la BD : imprimeurs, photograveurs, agences, auteurs, éditeurs, organisateurs... En somme « mettre ensemble ce qui pourrait fédérer autour de la BD, dans un événement accessible au grand public ». Précis, pour une ébauche. « C’est que, juin 2019, il n'y aurait pas vraiment de temps à perdre. Il faudra aussi que puissent se préparer les éditeurs qui y prendraient part. »
Champ de Mars - Johannes Martin, CC BY ND 2.0
L'implantation des bâtiments éphémères se fera devant l'École militaire
Toutefois, les curieux s'interrogent : « Alors que le Grand Palais doit fermer en 2020, quel message enverrait le groupe BD, pour une édition test en 2019, et d’hypothétiques suivantes sous des chapiteaux alignés sur le Champ-de-Mars ? »
Cette structure éphémère doit en effet intervenir pour les quatre prochaines années, validée par le Conseil de Paris ce 2 juillet. Du 1er septembre 2020 au 30 novembre 2024, cette succursale du Grand Palais palliera la fermeture de l’établissement durant la période des travaux...
Pierre Dutilleul confirme de son côté que l’hypothèse de ces bâtiments éphémères sur le Champ-de-Mars « ne déclenche pas l’enthousiasme des foules. Ce n’est pas tout à fait la même chose que les espaces du Grand Palais ».
L’autre problème qui se pose relève des financements publics de la manifestation angoumoisine, et de la schizophrénie qui s’installerait avec le Grand Palais. Après tout, dans les deux cas, on parle d’un investissement d’argent public – directement pour la RMN, sous tutelle du ministère de la Culture, et par les différentes aides et subsides que perçoit le FIBD de l’autre.
On parle de 145.000 € du CNL, entre autres, et plus globalement de 4 millions € de budget dont dispose le festival d'Angoulême, avec 46 % de fonds publics, expliquait le directeur du FIBD. Autrement dit, la Ville elle-même, l’Agglomération du Grand Angoulême, le Département et la Région.
Toutefois, les financements publics autour d’Angoulême ne se résument pas au FIBD : c’est tout le pôle Image qui est soutenu. Une paille en comparaison des 30,7 millions € pour RMN-GP (projet de loi de finances 2018). Mais ayant un pied dans une manifestation, l’autre dans un établissement, comment l’État peut-il donc se positionner ? Soutenir les deux événements, voilà un risque réel pour la tutelle, et l’État.
Tout cela sans même prendre en compte le coût du Grand Palais pour un pareil chantier – autour de 1,5 million € pour trois jours. Et ce, en une période où les sponsors se font rares – même Angoulême peine à conserver les siens. Où le groupe BD du SNE puiserait-il les fonds pour ce faire ?
Angoulême - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Dans le même temps, quelle perte pour le SNE ? Économique ? À voir. Mais en terme d’image pour Livre qui resterait dans le hall de la Porte de Versailles, c'est un autre discours... Que se profile un salon du livre audio (prévu en juin 2019 également), piloté par les éditeurs du groupe dédié au SNE, c’est une chose : le marché de la BD représentait 277 millions € en 2017, avec 13 % de croissance.
L'événement autour de l'audiobook sera d'ailleurs porté en partenariat avec la mairie de Montreuil et les équipes du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, confirme Pierre Dutilleul.
Et puis, toutes considérations mises à parti, les crises successives du FIBD avaient défrayé la chronique depuis 2011 – au moins ! Avec l’édition 2018, la poussière était retombée. Fallait-il vraiment agiter le tapis ?
Franck Bondoux, patron de 9eArt+, société privée organisatrice du Festival de la BD, indique pour sa part que « les discussions sont en cours, quant à la potentialité même de cette réalisation. Un tel événement nécessite une coordination, et bien des choses ne sont pas encore ni définies ni n’ont de contours clairs ».
Pour autant, la réaction du président du Grand Angoulême lui semble « assez logique, sur la base des éléments actuels. Après tout, l’État a souhaité créer une association en coordination avec tous les acteurs concernés, incluant les pouvoirs publics. Il est compréhensible qu’il y ait des réactions des élus ».
Mais rien ne se fera sans que le FIBD et Angoulême ne soient dans les boucles, laisse-t-il comprendre : « Le Festival d’Angoulême a tout de même 45 ans d’existence. Ce qui est essentiel, c’est de discuter, comprendre et définir quelque chose. Derrière ce projet [du SNE, NdR], il y a la nécessité d’avoir un regard avec le plus de hauteur possible sur les enjeux de la création et du marché de la BD. »
Pierre Dutilleul conclut : « Nous n’avons pas pour intention de faire de la concurrence à tel ou tel, mais de dynamiser les secteurs. Nous pouvons entendre les inquiétudes que manifestent les pouvoirs publics. Mais avant tout, nous soutenons Angoulême. »
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
Renaud Chavanne
07/07/2018 à 12:57
Bonjour Nicolas,
Menu a beaucoup râlé contre les journalistes BD. Il n'avait pas tout à fait tort. Enfin, leur travers sont assez largement partagé par la profession : une fascination pour les acteurs de taille honorable et un intérêt très relatif, voire inexistant pour les initiatives qui n'émanent pas des mastodontes institutionnels. Courir derrière les pontes, c'est valorisant.
Nous travaillons depuis près de 10 ans au développement d'un événement parisien. Qu'il ne vous vienne pas à l'idée que nous pourrions avoir des choses à vous dire, c'est votre problème de journaliste.
En revanche, que vous écriviez un long papier sur un événement parisien sans évoquer (je ne parle même pas de les citer) les (multiples) initiatives qui existent depuis déjà longtemps, c'est une faute professionnelle qui conduit à faire comme si elles n'existaient pas. C'est du travail de cochon.
Cordialement, mais très fâché,
Renaud
Renaud Chavanne
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7, 8 et 9 décembre 2018 - 8e édition - Espace des Blancs Manteaux (IVe)
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