Le coup est dur, pour l’éditrice de trois prix Nobel, nommée ministre de la Culture ce 17 mai 2017. Françoise Nyssen, par décret, vient de se reconnaître en conflit d’intérêts sur différents points liés au secteur de l’édition. Et renonce, enfin, à prendre en charge plusieurs dossiers. Pour autant, les zones d'interventions ne coulent pas de source...
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Dans la lignée de sa consœur des Affaires sociales, Agnès Buzyn, la locataire de la rue de Valois avoue donc par décret qu’elle ne peut pas s’occuper de trois points précis : le groupe Actes Sud, le Centre national du livre ainsi que ce qui touche à la régulation du livre. Trois éléments qui sont autant de conflits d’intérêts, depuis sa nomination.
En avril dernier, c’est Agnès Buzyn, dont le mari dirigeait l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui était concerné par un problème similaire. En effet, le principal organe de recherche en France avait pu bénéficier d’une décision de la ministre : elle reportait un appel à projets pour la création de nouveaux instituts hospitalo-universitaires. Un sujet qui impliquait une lutte d’influence où l’Inserm avait des intérêts.
Dans le cas de Françoise Nyssen, son ancien statut de présidente du directoire d’Actes Sud, et son engagement dans le groupe éditorial, avaient posé problème dès les premières heures. « C’est un ancien dossier, qui aurait dû être réglé depuis longtemps », analyse un spécialiste de l’édition. « Le déontologue du gouvernement [Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique] demandait que ce soit corrigé, mais ça freinait. »
Pourquoi ? Mynistère et boule de gomme. D’autant que, la veille de la nomination des ministres, Emmanuel Macron avait choisi de reporter son annonce pour passer les candidats au crible de vérifications fiscales et déontologiques. À l’époque, Françoise Nyssen était passée à travers les mailles du filet.
Or, au terme de son mandat, Françoise Nyssen reprendra de toute évidence ses fonctions au sein du groupe éditorial. Que ce soit pour le Centre national du livre, qui apporte des aides à la traduction ou plus globalement dans l’économie du livre, toute mesure de la ministre pourrait aisément servir les intérêts de l’éditrice.
Pour cette raison, après 15 mois d’attente, la situation est corrigée, et reviennent donc au Premier ministre et son cabinet les dossiers liés au livre. « Après avoir passablement déchanté sur la nomination de Nyssen qui était au début considérée comme une bénédiction, le secteur du livre va apprendre à danser », souligne un éditeur, changé en fabuliste.
On le saisit aisément : un Premier ministre reste moins accessible qu’une ministre.
« Est-ce que cela concerne les réformes qui menacent les auteurs ? Si oui, espérons que cela va simplifier, et non compliquer, une vraie décision politique sur ces réformes. Le pire serait, au contraire, que ça remette en cause la concertation que les auteurs ont enfin obtenue après des mois de lutte », s’interrogeait légitimement le dessinateur et scénariste Denis Bajram.
Jointe par téléphone, Françoise Nyssen explique à ActuaLitté qu’elle « prend acte de cette décision, qui émane de la Haute Autorité, et la regrette d’une certaine façon ». Elle ajoute : « Ça pose la question, propre à toute personne venant de la société civile, et c’est pour cette raison – 40 années de travail dans le privé ou l’associatif – que l’on est venu me chercher. »
Et pour cause. « C’est une évidence que l'on conserve des liens. C'est logique pour toute personne venant de la société civile et particulièrement dans mon cas : on peut se douter que tout ne disparaît pas du jour au lendemain. »
La ministre affirme que ce sont « mes compétences, qui me donnent des possibilités de réflexion sur le secteur. Sur la réforme du statut des auteurs, je suis à la manœuvre, avec détermination. Et objectivement, je me trouve bien placée pour mesurer les enjeux, et faire, en lien avec eux, des propositions innovantes et audacieuses ».
Pour comprendre comment le décret 2018-591 est arrivé là, le ministère nous précise que depuis mai 2017, Françoise Nyssen et la Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP), ont eu de nombreux échanges de courriers. D’un côté, des demandes de précisions, et de l’autre des renseignements régulièrement fournis pour assurer que « tous les verrous étaient mis en place ».
Pour autant, l’HATVP a estimé que les preuves fournies n’étaient pas toujours de nature à préserver les uns et les autres du conflit d’intérêts.
Pour le cas du Centre national du livre, les aides versées aux maisons d’édition – comme Actes Sud peut en bénéficier – continuaient de poser un problème. Certes Françoise Nyssen ne dirigeait plus le groupe, et un tiers de confiance était entré dans l’actionnariat, mais elle a encore l’usufruit de la maison. « Sur ce point, il n’y a pas eu de contestation », indique le ministère.
Fin janvier, la ministre a demandé à l’HATVP qu’un avis conforme soit rendu, en réaction aux doutes exprimés par la Haute Autorité. Après réunion et délibération du collège, était clairement établit qu’elle devait se déporter. Les montants importants perçus par Actes Sud, émanant du CNL, étaient susceptibles d’avoir des conséquences directes.
En 2016, les sommes perçues du CNL par Actes Sud s’élevaient à 264.000 € et pour 2017, ont diminué à 111.000 €. Elles impliquaient tant du développement numérique que des aides à la traduction (extraduction et intraduction).
Le reste du décret – passé de 6 pages aux quelques lignes que l’on connaît – découle de cet avis. Après avoir été modulé et réduit par la ministre, évidemment.
Alors quid ? Eh bien, désormais, restera dans le giron de la ministre tout ce qui touche aux librairies, aux bibliothèques, à la politique de la lecture. En revanche, dès lors que l’économie du livre est impliquée – comprendre, les relations avec les éditeurs – alors les dossiers passeront dans les mains du Premier ministre. « En somme, le cabinet réaliserait les travaux, et Édouard Philippe signerait les documents », résume un observateur.
Pour ce qui est de la concertation autour du régime des auteurs, le sujet est toujours aux mains de la ministre. Si cependant l’implication accrue des diffuseurs était validée, alors Françoise Nyssen sortirait de la concertation, et l’arbitrage de Matignon interviendrait.
Convaincant ? Pas vraiment. D’abord, parce que la chaîne du livre vient officiellement d’éclater en deux segments : d’un côté les éditeurs, diffuseurs, distributeurs, et de l’autre tous les autres acteurs. Comment peut-on parler d’économie du livre, et restreindre le champ d’intervention de la ministre, en maintenant malgré tout les secteurs de la librairie et des bibliothèques dans son périmètre d’action ? Et quid des librairies Actes Sud, propriétés du groupe, susceptibles de répondre aux appels d'offre des bibliothèques de la région PACA, ou d'ailleurs ?
Soit la chaîne du livre est une, forte et entière, soit elle relève d’un ensemble fragmenté.
Du reste, si l’on examine le mandat en cours, la ministre a-t-elle des choses à se reprocher ? Eh bien... oui, un peu. Tout d’abord, sa prise de position sur le prêt numérique en bibliothèque. Ayant fait savoir qu’elle y était défavorable, peu après un arrêt spécifique de la Cour de justice de l’Union européenne.
C’était en octobre dernier, et se prononçant contre l’idée d’une formule 1 ebook = 1 prêt, Françoise Nyssen abondait dans le sens de ce que défend le Syndicat national de l’édition. « C’est une position que les précédentes ministres ont également défendue », rétorque-t-on. Oui, mais dans un contexte bien distinct, et à des époques où le Prêt Numérique en Bibliothèque n’était pas aussi avancé.
Donc ça veut dire que quand @FrancoiseNyssen s'est prononcée contre le droit de prêt numérique en bibliothèque, elle était en conflit d'intérêts. J'ai bon ? https://t.co/C6Ae2cnFp4https://t.co/VZMSeILDU5
— S.I.Lex (@Calimaq) 10 juillet 2018
Autre point, plus discutable encore : la volonté affirmée de voir renaître des cendres qu’on avait oublié de balayer le projet ReLIRE. Mise à terre par la CJUE, cette solution de numérisation des œuvres indisponibles, sans accord ni information préalable des auteurs, provient là encore du SNE.
« La France continuera d’œuvrer pour sécuriser cette démarche dans le projet de directive européenne sur le droit d’auteur », jurait Françoise Nyssen. Alors même que la justice européenne avait mis un terme au modèle français, la ministre repartait de plus belle. Et cherchait à creuser le gouffre financier que cette numérisation représente.
Deux exemples significatifs, s’il en fallait, pour montrer que les preuves sont déjà là. Du reste... « Les éditeurs, de par la loi Lang qui leur permet de fixer le prix de vente des livres, sont au cœur de toute l’économie du livre. Soit on laisse le marché faire, sans régulation, soit il est difficile de comprendre ce que ce décret signifie », conclut un observateur.
7 Commentaires
Marie
11/07/2018 à 08:11
OH, l'HOrreur : "une demI-ministre" (et non une demiE); certes, elle eût préféré être une ministre et demiE...
Miralb
11/07/2018 à 23:49
Eh non ! C'est bien une demi-mnistre, comme on écrirait une demi-pomme !
anissa
11/07/2018 à 21:51
les ministres de macron sont les pires dep uis des decennis uand ils ne sount pas venaux ils sont stupides condescendant et abrutis
si on a ce quon merite la france n'est pas 7e puissance derriere li'nde mais bon vingtieme dans cinq ans >:-(
Malo
18/07/2018 à 15:33
Vous lire est déprimant. Un peuple de 60 million ne peut pas rester la septième puissance mondiale. Notre pays va bien. On est pas les meilleurs mais on va très bien. Si on recule dans le classement c'est que les autres pays dont les populations sont plus grandes vont de mieux en mieux. Vous proposez quoi comme solution pour garder votre badge de 7ème mondial? Arrêter de profiter de la vie pour travailler plus et remonter dans le classement? Entretenir la misère dans tout les pays qui pourrait nous prendre notre place? Le seul moyen de nous sentir en sécurité sans souhaiter la misère des autres c'est de trouver des alliés. D'où l'Europe, mais les gens comme vous sont généralement contre. Une chose est sûre, si on se maintient au classement, ce ne sera pas grâce à vous.
Koskas
12/07/2018 à 08:18
Avec cette affaire, on atteint les limites de la " société civile " en politique. Depuis JJSS dans les années 70, les dirigeants politiques croient se refaire une vertu en engageant des entrepreneurs comme ministre. Or un entrepreneur defend des interêts privés, un ministre l'intérêt public. Il y a une incompatibilité fondamentale entre les deux fonctions. Mais, en dehors du livre, (et de la physique-chimie ) quelles sont les compétences de Françoise Nyssen? Un editeur qui plante ses auteurs pour satisfaire ses ambitions politiqyes, c'est déjà quelqu'un de peu fiable....
Malo
18/07/2018 à 15:41
C'est déprimant de vous lire aussi. L'intérêt général défend l'intérêt public comme l'intérêt privé. Il n'y a pas comme vous dites d'incompatibilité fondamentale. Il faut faire plus attention quand les ministres ont des intérêts privés c'est vrai. Mais nous y gagnons sur le tableau de leur connaissance du milieu, des intervenants et des dossiers.
Deuxième point, changer de métier n'est pas une trahison. Elle n'a qu'une vie, qu'elle en fasse ce qu'elle veut.
Miralb
19/07/2018 à 23:10
Cela me fait penser à ce que l'on appelle "le conflit d'intérêt". A force de vouloir des personnes qui n'ont aucun conflit d'intérêt, on en arrive à (malheureusement) avoir des ministres qui n'ont aucune connaissance du ministère qu'ils ont en charge.
Même chose pour les médecins, scientifiques, chercheurs, qui ne peuvent prétendre à une quelconque responsabilité pour peu qu'ils aient travaillé (quelle que soit la durée ou la nature du contrat), voire été même stagiaire dans le privé, surtout (mon dieu, quelle horreur) s'il s'agit d'un laboratoire pharmaceutique...