ESSAI – Anne-Laure Buffet, dans son dernier ouvrage, intitulé Les Mères qui blessent, se libérer de leur emprise pour renaître nous livre un écrit d’une qualité remarquable. Ce qui frappe, tout d’abord, c'est la construction de la pensée de l’auteur. Puis vient le regard tout à fait particulier qu’elle porte sur le thème qu'elle analyse avec acuité, aborde, décrit, et découpe quasiment au scalpel.
Le 23/07/2018 à 10:12 par Félicia-France Doumayrenc
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23/07/2018 à 10:12
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Tout est là : donner au lecteur le sentiment d’être, puisqu’elle est thérapeute, une de ses patientes, – j’insiste sur le féminin puisqu’elle parle avant tout des femmes, sans oublier, évidemment pas, les hommes.
Pas un seul instant, on ne se sent voyeur : au contraire, nous sommes participants, ce qui est par moment douloureux, voire à la limite du supportable. Dire, livrer, expliquer des blessures n’a rien d'une évidence. Ainsi, ce témoignage, parmi d'autres, donne la sensation d’entendre la voix de l’enfant : « Julia, issue d’une relation extraconjugale, n’a jamais été acceptée par sa mère. Cette dernière a préféré “refaire sa vie” que s’occuper de sa fille, et très vite s’en est débarrassée en la confiant à sa propre mère, qui s’est révélée également maltraitante. “J’appelais ma grand-mère Baba Yaga. Ça a été très dur.” »
L'auteure livre un descriptif, quasi exhaustif, de ces mères qui font du mal, donnant la parole aux victimes et permettant de sortir d’un silence si pesant – au point qu'on voudrait disparaître.
Qu’est-ce qu’une mère ? C’est évidemment la grande question de l’ouvrage. Mais, surtout, qu’est-ce qu’une mère qui blesse, une mère qui fait du mal à son enfant, une mère toxique ? Comment refuser à son enfant d'exister par lui-même si ce n’est par le regard qu’elle porte sur lui – et les coups et humiliations infligées, les violences, les maltraitances, les insupportables moments avec l’enfant ? Qu’est-ce qu’une mère qui se conduit ainsi ?
Le livre est d’autant plus intéressant qu’il est, surtout, un questionnement : les témoignages le rendent plus vivant, ils sont les secrets recueillis. La parole des enfants — enfants devenus adultes venus la voir en consultation — le rend totalement bouleversant. Ce qui touche tout au long des pages, cette dimension vivante, vient de ces mères toxiques, qui frappent, humilient, existent.
Ce qui rend espoir, c’est que l’auteur a su donner à ces mères une possibilité de rédemption. Comme elle l’écrit : « Une mère peut avoir mal agi — très mal agi — et avoir causé un tort considérable à son enfant. Mais la relation mère-enfant peut être réparée. Cela dépend de la mère et se joue au moment où, prenant conscience de la manière dont elle se comporte, elle devient capable de faire autrement et accepte d’être aidée. »
En effet, grâce aux échanges avec l’enfant blessé, la parole ouvre le champ d’une possible réparation. Pour cela, il faut que l’enfant fasse un long, très, très long travail : tout enfant, y compris victime, a pour référent premier sa mère. Il l’aime, la protège parce qu’il sort de son ventre, elle est une partie de lui, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Il y a, en effet, démontre-t-elle, ce lien très particulier, ce cordon ombilical qu’on coupe ou non, symboliquement. L’enfant martyrisé, que ce soit physiquement ou psychiquement, l'entretient avec sa mère et se rend coupable de ne pas être à la hauteur de ses impossibles attentes.
La thérapeute insiste sur le fait que la maltraitance n’est pas que physique et que les ravages quand ce sont des vexations, des humiliations permanentes, du harcèlement moral quotidien sont tout aussi graves, sinon pires. Se soulève, alors, la question de l’adulte. Que se passe-t-il, lorsque l’enfant devient adulte et qu’il a fait un chemin mental, car c’est bien d’un chemin dont il s’agit : peut-il enfin arriver à sa construction ?
Dans ce livre, Anne-Laure Buffet nous fait sortir des idées toutes faites; non, ce n’est pas parce que l’on a été harcelé par sa mère que l’on deviendra soi-même un bourreau. Il n’y aurait pas de syndrome de répétition nécessaire.
En revanche, il y a la souffrance — toujours — et Anne-Laure Buffet nous livre ses réflexions sur le pardon et l’oubli : « Il faut bien comprendre ce qui est entendu par “pardon” : son rôle n’est pas au profit de la mère, mais au profit de l’enfant prêt à pardonner. Le pardon ne peut permettre d’oublier ou d’excuser. Il n’est jamais obligatoire, tout comme il n’a rien de valeureux ou de courageux. Il a pour bénéficiaire non la mère, mais soi-même. Il ne fera pas de la mère maltraitante une mère idéale, car il ne va pas duper celui qui pardonne. En revanche le pardon “à soi-même” nettoie ce qui reste de douleur ou d’aigreur, il nous libère de ces mauvais occupants. »
Même si le pardon existe, même si le travail pour un aller mieux, une construction existe, l’oubli est-il possible ? Le pardon est un pas vers la santé physique de l’enfant blessé, mais l’oubli semble un chemin bien plus long, voire infaisable. Le pardon quant à lui est un pas vers un mieux-être parce que même adulte, on reste toujours l’enfant de sa mère. On naît et on meurt enfant de sa mère. Mais il faut déjà un bon thérapeute, avoir mené un long travail sur soi, réalisé une réflexivité aboutie pour que le pardon soit total.
Sans jamais — et là est tout son talent — tomber dans l’empathie à l’égard de ces mères, l'essai fait apprendre et comprendre. Aux récits de ces enfants, le lecteur ne peut pas prendre parti pour ces mères.
Toutes les mères peuvent-elles se reconnaître ? Non pas parce qu’elles ont été maltraitantes, mais simplement parce qu’elles sont mères. Et qu’est-ce qu’une bonne mère ? C’est sans doute la question que toute femme qui a mis un enfant au monde, l’a adopté, élevé (devient maman) se pose. L'interrogation intervient au fil du livre, à travers le concept de bonne ou mauvaise mère. Or, il n’y a pas de mère rêvée, il y a des mères qui font au mieux pour élever l’enfant. En effet, la femme n’est ni idéale ni parfaite. Elle n’en reste pas moins une mère aimante qui donne à l’enfant la possibilité de s’épanouir, de se construire, d’être au monde.
Ce livre est à lire absolument. Anne-Laure Buffet nous fait grandir, et, surtout, brosse le tableau de cette mère toxique. Tout pousse à l'interrogation, la remise en question. C’est aussi un livre qui brise les tabous, laisse la place à la parole et surtout à l’intelligence. On ne peut que remercier l’auteur de nous faire un tel cadeau.
Anne-Laure Buffet – Les mères qui blessent - Se libérer de leur emprise pour renaître – Eyrolles – 9782212569827 – 18 €
Par Félicia-France Doumayrenc
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 21/06/2018
163 pages
Eyrolles
18,00 €
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