« Une rentrée exceptionnelle, qui fait la part belle à la société quelles que soient les époques, avec leurs vertiges, leurs failles et leurs peurs. » C'est avec ces mots que Manuel Carcassonne accueillait en juillet dernier les libraires à l’Institut du Monde Arabe pour la présentation des titres de la rentrée littéraire.
Le 13/08/2018 à 08:45 par Christine Barros
Publié le :
13/08/2018 à 08:45
À bord de l'arche de Noé qu’est ce paquebot, fuyant l’Europe embrasée et les persécutions, l’on retrouve André Breton et Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers, Victor Serge, Wifred Lam, qui auront tous un rôle exceptionnel dans l’histoire de l’art et de la pensée. Dans « les aléas de l’agonie », pour faire fi du désastre, la vie va s’organiser à bord par quartiers, recréant une « université, un société idéale. Car dans le péril surgit une lumière, ils vont retrouver une forme lumineuse de dialogue intellectuel, le lieu d’une extraordinaire élévation de pensée ».
Dans Capitaine, d’Adrien Bosc, l’histoire suit son cours au delà de la guerre, car, tel un fil un rouge, rien ne peut arrêter la création et la pensée. Ce sera « le moment absurde où le surréalisme est nécessaire, en tant qu’art décadent et dissident ». Au bout du voyage, aux portes de l’Amérique, ils seront enfermés dans un lazaret. C’est de là qu’André Breton fera traduire, pour les Etats Unis et les hispanophones, Aimé Césaire.
Le roi disait que j’étais diable mettait déjà en scène Aliénor d’Aquitaine, dans les ardentes années de sa jeunesse et son mariage avec le roi de France Louis VII. On la retrouve dans le nouveau roman de Clara Dupont-Monod, racontée par son fils Richard Coeur de Lion, fils de son deuxième époux le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt. Aliénor est en plein conflit de loyauté : elle adore son époux, mais lui en veut profondément de délaisser ses fils. Avec eux, elle choisira La révolte, et tentera de renverser le roi, dans une « guerre juste, où justice et violence sont également légitimes ». Une nouvelle fois, l’auteur nous plonge avec « poésie et crudité » dans ce Moyen Âge foisonnant, « lumineux, coquin et gourmand », dont la royale héroïne fut « un être d’exception qui n’a pu échapper à la banalité de la trahison ».
Elle purge une double peine à perpetuité en prison. Tout va bien tant que sa mère s’occupe de son fils. Mais un jour la nouvelle de sa mort lui parvient. Romy doit agir. Ancienne strip-teaseuse au Mars Club, Romy Hall est « très intelligente, assez psychologue, habitée par son fils ». Le rêve américain n’est pas pour tout le monde : Rachel Kushner, en allers-retours entre le récit de la prison, où règnent violence et intelligence de la survie, et le passé de Romy dans les bas fonds de Frisco, signe un « page-turner bouleversant, sans misérabilisme, où le lecteur est emporté par le personnage et une extraordinaire et très ambitieuse narration ». Et l'on vous confirme que le texte est également des plus poignants.
Lorsque son frère se suicide, Olivia de Lamberterie cesse de lire. Avec la volonté « de ne pas entrer en deuil, mais d’intégrer l’absence comme une présence au quotidien ». Avec toutes mes sympathies, hors d’une visée thérapeutique, se veut le portrait de ce frère romanesque et solaire. Les souvenirs d’enfance sont ceux d’une famille « à la fois traditionnelle et fantaisiste », avec le portrait en creux d’elle-même, et cette relation très forte qui trouve ses fondements dans les moments partagés. « Que fait-on de nos morts aujourd’hui? Comment joyeusement vivre en bonne compagnie avec eux? ».
Pierre et Déborah, qui viennent d’entamer une relation, ne sont pas victimes des attentats du 13 novembre. Mais les événements auxquels ils ont échappé de peu les plongent « dans un état d’urgence émotionnelle » ; ils ont besoin de partager un territoire, une histoire, et s’installent ensemble, alors que chacun a un fils, dont la cohabitation va être forcée de fait. Or « le fils de Pierre est un inadapté, non désiré, au QI de 150, dont sa belle-mère va avoir très vite peur ». Car Salomon est « porteur de la violence du monde, traversé par toutes ses formes, qu’il ne peut canaliser, et la déverse sur Deborah ». Dans Vivre ensemble, ( « roman mis en tension par la couleur de l’écriture, où la frontière entre intime et politique n’existe pas » ) Emilie Frèche affirme avoir voulu « revisiter le mythe de Caïn et Abel, car la fraternité est à construire à chaque instant. »
Sa vie est parfaite : sur son quant-à-soi, femme de ministre, et plongée dans un ennui abyssal. Seule joie secrète : sa cleptomanie, qui lui procure le frisson manquant. Mais sa vie va soudainement s’enrayer, et le vol de trop va lui faire découvrir quelque chose qu’elle n’aurait pas du voir. « Entre suspens et comédie », c’est par le portrait d’une victime de l’addiction que Florence Noiville, dans ces Confessions d’une cleptomane, poursuit son « exploration des dysfonctionnements et des dérapages psychiques. »
Elle marche. Ses pieds pensent à sa place, et se lancent indépendamment de sa volonté. Enfant, elle a vécu attachée, à sa famille, à la bibliothèque. A Damas, elle voit sa mère mourir devant ses yeux. Réfugiée dans la Ghouta, elle va vivre l’horreur. Femme-enfant, lectrice, attentive aux sons, aux couleurs, aux odeurs, elle va « faire opposition à la violence par l’appel au merveilleux et à la poésie ». « Métaphore des femmes dans le monde arabe », s’adressant à la conscience du lecteur par ce « tu » qui l’apostrophe frontalement, La marcheuse de la syrienne Samar Yazbek appelle « chacun à regarder ce que l’on se contente de voir du drame syrien. »
« Y a tellement de mots sales en français pour parler de moi! » Lui, c’est Antoine Orsini, l’idiot du village, le Simple. Il parle à sa chaise. À sa manière, il raconte son histoire, son lien avec Florence, pour l’assassinat de laquelle il a fait 15 ans de prison. Antoine est « un farceur, qui neutralise les formes de violence qui s’abattent sur lui », un personnage « plein d’une candeur qui fait de lui un résistant, avec une forme de pureté fondamentale ». En allers-retours, entre maquis corse et enfance, bilan de vie et accès de colère, Julie Estève libère « une langue au tempo rapide, pleine d’accidents, de contresens et de drôlerie », une écriture au plus proche des émotions de ce anti-héros très attachant.
À la mort de sa mère, le narrateur retrouve dans ses tiroirs 5 textes dactylographiés et des brouillons de polars jamais terminés. Qui était-elle en réalité, cette femme engoncée dans un capharnaüm, vivant dans l’isolement, en proie à la paranoïa? Qui était ce Guetteur qui donne son titre à l’un des manuscrits retrouvé? Se lançant dans l’enquête, Chris, le narrateur (à moins que ce ne soit Christophe Boltanski lui-même?) va chercher à faire le lien entre son passé et cette vie de recluse, pour finir par dresser un portrait mosaïque de celle qui fut porteuse de valises pour le FLN, militante politique, et « resta prisonnière à jamais de cette première vie » .
Robert est dramaturge, mettant en scène sa femme Elisabeth et ses maîtresses, devant les yeux de sa fille Julie. Elisabeth l’observe et commente, et laisse voir qu’il n’est pas qui l’on croit. Ce qui le préoccupe, c’est « le vivant qui s’échappe, improvisation et surprises le nourrissent». Jusqu’à sa rencontre avec Natacha, maîtresse réelle et sur les planches, qui veut de lui un enfant. Création / procréation, dramaturge / démiurge, « comment reproduire et représenter la vie » est au coeur du premier roman de Judith Sibony ; La femme de Dieuest un « vaudeville, car chacun vit avec non pas sa vérité, mais avec ses mensonges. »
Avenue des Gobelins, il écoute. Il est policier, et intercepte officieusement un flot ininterrompu de sms, textos, photos, que la foule de la rue échange via téléphone, pour « exister plutôt que vivre ». Et soudain, le suspect s’incarne : il n’émet rien. Ecoute, de Boris Razon, est une « création poétique, ludique et absurde » qui raconte comment nos échanges numériques sont le reflet de nos envies d’évasion du réel ; à l’heure où « nous pouvons tous devenir un autre, où médecine, sciences et techniques rendent cela possible, chacun de nous devient son propre auteur et son propre personnage. »
Tsigane, roumain d’origine, Youri est un « garçon sans âge, qui porte en lui magie et divinité ». Il croise la route d’Elie, « vieux psy, un peu narcisse, qui se demande pourquoi c’est toujours sur lui que tombent les cas les plus bizarres, ce petit moine dont il doit s’occuper », qui semble avoir des dons de guérison et « un pouvoir sur les objets qui conduisent la puissance du monde ». Mais, alors que tous déclinent la puissance de cet enfant, « incongru dans le monde d’aujourd’hui », sa mère et le psy vont s’allier, jusqu’à installer un culte. « Entre fétiches et fantoches », « roman véridique », L’évangile selon Youri parle du « retour, de la (re)naissance de divinités nées de la pourriture », dans un mouvement proche du réalisme magique que Tobie Nathan a appris « à reconnaître comme une réalité pour ceux qui y croient ».
à paraître 22/08
Adrien Bosc - Capitaine - Editions Stock - 9782234078192 - 22 €
Clara Dupont-Monod - La révolte - Stock - 9782234085060 - 18,50 €
Rachel Kushner, trad. Sylvie Schneiter - Le Mars Club - Stock - 9782234085015 - 22,50 €
Olivia de Lamberterie - Avec toutes mes sympathies - Stock - 9782234085800 - 18,50 €
Emilie Frèche - Vivre ensemble - Stock - 9782234081734 - 18,50 €
Florence Noiville - Confessions d’une cleptomane - Stock - 9782234081284 - 17,50 €
Samar Yazbek, trad. Khaled Osman - La marcheuse - Stock - 9782234083615 - 20,99 €
Julie Esteve - Simple - Stock - 9782234083240 - 17,50 €
Christophe Boltanski - Le guetteur - Stock - 9782234081710 - 19 €
Judith Sibony - La femme de Dieu - Stock - 9782234085916 - 18,50 €
Boris Razón - Ecoute - Stock - 9782234082434 - 19,50 €
Tobie Nathan - L‘évangile selon Youri - Stock - 9782234081772 - 19,50 €
Par Christine Barros
Contact : cb@actualitte.com
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