Pour la deuxième fois dans son histoire, le Prix Renaudot a sélectionné dans sa liste de romans en lice un livre autoédité par un auteur. Bande de Français, signé par l'auteur franco-israélien Marco Koskas, fait cependant apparaitre pour la première fois un livre autoédité et commercialisé par Amazon dans une liste de prix littéraire de la rentrée. L'auteur est revenu avec nous sur ses choix, ses motivations et leurs conséquences.
Marco Koskas : Je me suis résigné à publier mon livre à compte d'auteur, car aucun éditeur n'en a voulu ; aussi bien les éditeurs qui m'avaient déjà publié que les autres. Je me suis demandé si mon livre posait un problème, pour qu'il fasse l'unanimité contre lui, et je n'ai pas vu où était le problème. J'en ai conclu que le problème, c'était moi. Soit j'avais fait mon temps, et ils en avaient marre de ma tronche ; soit il y avait un autre problème moins avouable.
Un problème disons idéologique, et c'est cette interprétation que j'ai donnée à leur unanimisme. Parler des juifs français qui quittent la France à cause de l'antisémitisme et qui s'installent en Israël, c'était un sujet tabou. À ne surtout pas aborder. En choisissant de publier à compte d'auteur, je savais que le risque principal était d'entrer dans une sorte de clandestinité, ou de grande solitude en tous cas. Mais je voyais que les arguments qu'on me servait étaient incohérents, alors j'ai foncé.
Amazon ne pratique pas de censure, et ne cherche pas à savoir si ce que vous écrivez est politiquement correct ou pas. Il n'y a rien à payer, ils impriment à la demande et expédient les exemplaires commandés, ceci pour les avantages ; il vous reste à faire connaître votre livre, et là, les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle. Amazon vous laisse également fixer le prix de votre livre et ne demande pas l'exclusivité. Enfin, ils vous rémunèrent deux à trois fois plus qu'un éditeur traditionnel et ce n'est pas négligeable.
[NdlR : l'auteur perçoit entre 30 % et 70 % du prix de vente public hors taxe du livre, selon le prix de vente, justement, pour la version numérique]
Marco Koskas : Je n'ai eu recours ni à un agent ni à un correcteur. Il aurait fallu par contre que j'aie un bon logiciel d'impression. Ça aurait évité les coquilles des premiers exemplaires.
Marco Koskas : Je n'ai pas d'opinion particulière sur Amazon. Chez les éditeurs traditionnels, j'ai surtout rencontré du mépris et une israélophobie délirante. Alors, la monstruosité d'Amazon, pardon mais j'ai vu bien pire chez les pétasses et les petits marquis des éditions germano-pratines.
Marco Koskas : Non je n'ai pas transcrit mon livre en format numérique. J'aime le papier et je veux qu'il reste pour l'instant sur papier uniquement. Si je trouve un accord avec un éditeur de poche, je ferai paraître mon roman d'abord en poche, et en tout dernier lieu au format numérique.
Marco Koskas : C'est évidemment un honneur et un bonheur, une revanche aussi, d'être sélectionné pour le Renaudot et je le dois en effet à Patrick Besson. Cet homme que je n'ai rencontré qu'une seule fois, il y a 35 ans, dans les couloirs de France Culture, me témoigne une attention constante.
Il a consacré cinq articles en vingt-cinq ans à mes livres. Je me suis disputé avec tout le monde dans l'édition et j'ai traversé tous les mépris. Besson est mon dernier soutien dans ce monde-là. Je pense que sans lui, j'aurais cessé d'écrire depuis pas mal de temps.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
9 Commentaires
LE PLUMIER D'EUGENIE
06/09/2018 à 15:27
C'est ignorer qu'en France il existe des imprimeurs capables de faire ce travail de réalisation d'un livre et il existe aussi EDILIVRE pour les impressions à la demande.
En fait Amazon a réalisé un véritable lavage de cerveau car cette plateforme est un véritable réflexe.
Thierry Reboud
06/09/2018 à 20:49
Marco Koskas est probablement un auteur éminent, voire carrément indispensable à la culture de notre temps. Néanmoins, en plus de 40 ans de lecture, dont une bonne trentaine en professionnel (libraire, puis représentant), je n'avais jamais entendu son nom qu'en passant et je n'ai souvenir d'aucun titre des livres qu'il a publiés.
Et si le problème était là, crûment commercial ? Et si Marco Koskas s'était dit qu'il n'est pas de mauvais rapport d'incriminer un antisionisme (qui, comme c'est à la mode de le dire, est la porte ouverte à l'antisémitisme, et gnagnagna...) au secours de sa petite entreprise commerciale ?
Un mot sur l'antisionisme de l'édition française : Marco Koskas s'est penché sur le nombre de traduction de l'hébreu vers le français ? A-t-il pensé à demander à Raphaël Jerusalmy (par exemple) à quel point la censure éditoriale est féroce à son encontre ?
La petite manip de Marco Koskas n'est pas forcément mal imaginée, c'est certain, ça peut même marcher, mais c'est quand même un peu nous prendre pour des benêts.
koinsky
07/09/2018 à 07:00
Le lavage de cerveau était d'autant plus efficace que le temps de cerveau était disponible du côté de l'édition traditionnelle.
Il y a un problème mongol qui dit quelque chose comme ça : "Ne pointe pas le nuage noir du doigt, prend plutôt tes jambes à ton cou".
Rien de mauvais ne pousse sur une terre travaillée humblement chaque jour, en revanche ça pousse à une vitesse incroyable sur du fumier.
Un écrivain regarde les choses en face : si Amazon pousse si vite, c'est que le terreau éditorial est propice à son avènement et lui laisse le champ libre.
Amazon est juste intelligent, c'est-à-dire qu'il observe, trouve la faille et s'y engouffre.
La question est : l'édition traditionnelle va-t-elle continuer de camper sur son orgueil et finir de crever ou va-t-elle décider de regarder les choses en face et de faire preuve d'humilité en proposant aux auteurs des contrats autrement plus attractifs.
Marie
07/09/2018 à 08:55
Amalgame israélophobie, antisionisme et antisémitisme...Du même ordre que de traiter un Français de Gaulois dans le but de le déprécier.
Lily
07/09/2018 à 10:26
Bravo! Un auteur courageux, dans un monde devenu ennuyeux, pusillanime et littérairement correct. Car il en faut du courage pour briser le tabou existant entre le bon auteur édité chez Machin et le mauvais auteur auto édité ici ou là.
En dehors de la bouffée d'oxygène que Marco Koskas apporte à nombre d'auteurs obscurs, les décomplexant, les extirpant des catacombes de l'écriture, les encourageant à ne jamais briser leur plume sur les falaises de l'adversité, il existe tout un réseau éditorial français qui tremble sur ses bases et acquis, voyant d'un très mauvais oeil la possibilité, non pas d'une île, mais d'un archipel de créativité autre que celle imposée par une poignée de grands "mépriseurs" publics, ces chantres
du bon goût littéraire, "Lumières de la science" affidées au pot de miel de la rentabilité, que l'ami Voltaire en son temps fustigeait.
Notre auteur courageux aura-t-il le prix Renaudot ? Nul ne le sait... mais l'on devrait d'ores et déjà lui décerner le Prix de l'Homme révolté. Après tout, Romain Gary agita les neurones endormis des éditeurs... Une bonne farce ne fait jamais de mal, au contraire, quand elle est bien tournée elle nous aère l'esprit et le coeur. :roll:
Thierry Reboud
08/09/2018 à 10:35
Mouais... Il est toujours de bon ton de rappeler que Proust et Gracq ont commencé en publiant à compte d'auteur : il n'en reste pas moins que, 999 fois sur 1000, un livre publié à compte d'auteur vaut à peine le prix du papier sur lequel il est imprimé.
Le seul éditeur que concurrence Amazon, c'est en fait La Pensée universelle.
JMB_SF
11/09/2018 à 23:58
C'est fatiguant cette victimisation constante : "israélophobie", "antisémitisme", etc. Mais s'il y a de "l'israélophobie" c'est peut-être parce que les éditeurs connaissent les pratiques douteuses, parfois mafieuses, de ce pays et sa "palestinophobie"...
Dalean
25/09/2018 à 16:29
Il se trouve que j'ai lu le premier livre de Marco Koskas " Balas Bounel" Je connaissais la société qu'il évoquait et c'était la première fois que je lisais un livre où je pouvais la reconnaître.C'était un livre remarquable : drôle, nostalgique, magique, picaresque, avec cette sympathie pour les personnages que l'on ne rencontre dans la bonne littérature d'Amérique Latine. Je ne sais pas ce qui a fait qu'il a peu publié après mais il est parfois difficile de se remettre d'un grand succès( voir le fiasco de certains après le prix Goncourt) Désolée Thierry Reboud le fait que vous ne vous souveniez pas de Marco Koskas ne veut pas dire qu'il ne vaut rien. Je n'ai pas lu son nouveau livre mais je l'acheterai, Quand à JMB_SF votre petit paragraphe est particulièrement vicieux, il pue,en le modifiant à peine il aurait pu légender les affiches de la fameuse exposition du Palais Berlitz en 1941. Décidément l'antisémitisme, (l'ancien et le nouveau) est toujours d'actualité.
Thierry Reboud
25/09/2018 à 19:45
@ Dalean
Eu égard à :on peu de connaissance de l'oeuvre de Koskas, je me garderai bien d'avoir une quelconque opinion à son sujet. J'ignorais même qu'il eût connu le succès, ce qui (à vous lire) semble être le cas. Si ça vaut quelque chose ou rien, je ne suis absolument pas qualifié pour en discuter.
Ce que je voulais dire, c'est que Koskas est titulaire d'un patronyme littéraire qui ne me dit rien, au contraire (ce ne sont que des exemples) de ceux de Modiano, Dan Brown Le Clézio, Marc Lévy ou Angot : pour tout vous dire, je n'ai jamais rien lu de Lévy ni de Brown (et pas grand chose d'Angot), mais je n'ignore pas leur existence.
C'est tout ce que ça veut dire, ni plus ni moins, qu'il y a peut-être dans l'indifférence des éditeurs au nouveau livre de Koskas une très simple explication commerciale.
Le fait que vous achetiez son nouveau livre signifie au moins que sa petite opération publicitaire de pseudo-victimisation (complaisamment entretenue par Besson) fonctionne : j'en suis heureux pour lui, et pour vous bien sûr.