Oui, les grands prix littéraires de la rentrée ont commencé, mais il n’y pas qu’à Paris que l’on lit, et que l’on aime les livres. Dans le sud de la France, non loin de Perpignan, s’organisent chaque année les Vendanges littéraires de Rivesaltes. Et son jury nous a écrit, pour nous raconter ses coulisses, partager avec nous son travail. Parce que, vraiment, on lit aussi en dehors de Paris. Et parfois avec beaucoup de passion.
Le 10/09/2018 à 10:52 par Auteur invité
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10/09/2018 à 10:52
Nous avons eu Decoin l’année dernière, Haddad… Onfray, Pivot… Le Bris, Cercas, Echenoz, Foenkinos, Cabré aussi… et cette année c’est Assouline qui va venir jusqu’à nous. Au premier week-end d’octobre. Dans la capitale du vin doux naturel.
Mais qu’il en faut de la patience, de l’opiniâtreté, de l’abnégation pour mener notre affaire. Et ça fait 16 ans que ça dure.
On en a lu des bouquins ! Et pas en diagonale ! On a écumé toutes les nouveautés de l’année… et bien souvent, on s’est dit que la production littéraire française contemporaine, ça laisse à désirer ! On alimente le blog de notes de lecture : pas toujours facile, non plus, il y en a qui ont des pannes d’inspiration. Mais on persévère…
On aime lire. On ne peut pas vivre sans lire ! Ça commence en janvier…
La rentrée de janvier, c’est un véritable vivier d’ouvrages en mal de notoriété. Et puis c’est aussi à ce moment-là que certains des meilleurs auteurs préfèrent accoucher de leur dernier bébé : l’atmosphère est plus sereine que durant les Grands Prix d’octobre. Parce que, là, c’est la foire d’empoigne. Toutes les maisons d’édition sont sur la brèche. Il ne faut pas leur téléphoner dans ces eaux-là, le ton est plutôt agressif.
On se réunit peu après autour d’une belle table (alsacienne, c’est devenu l’usage). Bonne chaire et subtils nectars. On rigole bien ! C’est à qui sortira LE NOM qui va nous permettre d’asseoir notre réputation, qui va attirer les foules. Pas simple ! On est quand même au point le plus éloigné de Paris.
Paris… Là où lorsqu’il s’agit de demander ne serait-ce qu’une petite place dans l’agenda des journaux et revues spécialisés, on vous fait répéter à plusieurs reprises le nom de la ville. « R… ? Où ça se situe ? … Ah ! On ne fait pas la province… ou alors : On n’annonce pas tous les prix, il y en a trop… ou encore : ce n’est pas le moment, il y a le Goncourt et le Renaudot qui nous prennent tout notre temps… ». Et surtout ne pas leur parler d’un petit reportage : là, on a déjà eu droit à quelques rires sarcastiques !
Bon an, mal an, après moult discussions, nous avons notre lauréat — et c’est là qu’on réalise, après tant d’années de fréquentation assidue au sein de ce jury, que chacun a ses marottes, ses préférences en quelque sorte : il y a celui qui a un faible pour l’Histoire, qui pour les récits de voyageurs, celle qui ne jure que par le ton décalé ou encore « la belle écriture »… et ce sera à qui saura persuader l’assemblée du bien-fondé de son choix.
Ne reste plus qu’à l’heureux élu de venir chercher son Prix, en l’occurrence sa barrique de vin, soit l’équivalent de 225 litres d’une cuvée personnalisée. Euh… pas à emporter, bien sûr. C’est la cuvée de l’année, il lui faut le temps d’être bichonnée dans les tonneaux et puis mise en bouteilles. Peu d’heureuse élue, il faut le regretter. Les femmes écrivains ne doivent pas trop aimer le vin semble-t-il. La faute à l’éducation ? À la prédominance masculine en la matière peut-être. Vous en connaissez beaucoup des restaurants où l’on fait goûter à la dame un Romanée-Conti ou un Leroy Musigny ? Les palais masculins sont toujours à l’honneur.
Arrive alors le grand jour. Le platane centenaire de la grand’place se fait l’ombrage d’une assemblée fort sympathique : tous les amoureux des livres sont là.
C’est tranquille, on entend le clocher égrener les quarts d’heure dans cette lumière si particulière du Sud. Les gens de la Municipalité n’ont pas de temps libre ce week-end-là : tout le monde est sur la brèche. Les jeunes ont mis deux heures à préparer les braises pour une cargolade en plein air. Le patron du plus grand resto de la ville, même s’il nous a malencontreusement mélangés avec un mariage dans la salle, va sortir le grand jeu ! Toutes les bonnes bouteilles vont être débouchées… jusqu’au porró final qui ne va pas manquer d’éclabousser les chemises blanches parisiennes.
Ce sera des Vendanges Littéraires inoubliables pour nombre d’entre eux. Loin des mondanités — discours empesés, creux bavardages, lieux communs et banalités d’usage que l’on assène à son voisin tout en jetant des regards aux alentours en espérant que tout cela va bientôt se terminer. Non, à la fin de ces deux journées passées ensemble, tout le monde se connaît, aura trouvé chaussure à son pied dans cette petite assemblée (4 prix, 7 membres du Jury sans compter les amis, quelques notables et écrivains du coin ou même d’anciens lauréats, tel Echenoz revenu goûter l’année suivante la belle atmosphère).
Je ne dirai pas que tout le monde se tape dans le dos, mais c’est tout comme. Naturel, bienveillance, authenticité, franc-parler et bonne humeur règnent en maîtres. L’hédonisme, c’est contagieux…
Les pieds en compote, quelquefois sur les épaules des coups de soleil tant celui d’octobre est encore bien vivace, les visages rutilants encore des mille feux de la satisfaction (ouf ! il n’a pas plu — ouf ! il y avait assez de chaises — ouf ! on a rattrapé de justesse le coup du taxi qui a oublié sa course — ouf ! ouf ! ouf !) : le dernier repas est toujours une apothéose. C’est le point d’orgue clôturant le travail de toute une année (si l’on considère que lire est un travail, mais il n’y a pas que ça, hein ! comme dirait le regretté Henri). Et tout le monde se lâche. On a même vu Charles Juliet prendre un fou rire au dessert (tout en se cachant la bouche, quand même !).
Et enfin, enfin ! Nous, membres du Jury, on a 3 mois pour enfin lire tout ce que l’on veut. Sans penser à rien d’autre. Juste le plaisir de lire ou relire les anciens, tous ces écrivains morts qui jamais plus ne connaîtront une telle consécration. Enfin le temps de se plonger dans « Le Génie des Oiseaux » ou « La Grande Anthologie des Polars » ! Ou de ne plus rien lire du tout… tant qu’à faire ! Jusqu’en janvier, où tout recommence…
Alors ? Cette année, ce sera les 6 et 7 octobre.
Et on se réjouit déjà de voir la tête à Pierre Assouline, de découvrir le génie d’un poète fou, d’offrir un baptême de l’air festivalier à notre coup de foudre et d’écouter la belle histoire d’une maison d’édition catalane, toute en élégance et précieuse érudition.
Anyils
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