Tout a débuté avec la création de la librairie Folies d’encre d’Aulnay en 2005, là où se trouvait précédemment un magasin de meubles. Depuis, Jaques-Étienne Ully est à la tête de trois établissements, ayant racheté récemment celle de Gagny. Mais son engagement en Seine-Saint-Denis est bien plus large.
Le 17/09/2018 à 15:29 par Nicolas Gary
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17/09/2018 à 15:29
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Folies d'encre à Gagny
Tout a débuté avec Jean-Marie Ozanne, et la création de la première librairie à Montreuil en 1981. « Il fallait être visionnaire à cette époque, parce que la ville n’était pas un summum d’attractivité. » Avec le temps, le créateur privilégie une approche qui a fait recette : agir comme un incubateur, pour ouvrir de nouveaux lieux. Pas sous une forme contractuelle de franchise, tout en bénéficiant de la marque, Folies d’encre.
Avec le temps, plusieurs librairies sont ainsi lancées, et, à ce jour, on compte neuf Folies d’encre – la dernière en date étant celle de Pavillon-sous-Bois, voilà près d’un an. « Le maillage s’opère, avec un rapport amical entre chacun des gérants », poursuit Jacques-Étienne Ully. En favorisant une approche qualitative des métiers, les établissements ont aussi une orientation jeunesse – liée à leurs origines et à l’historique avec le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil.
En reprenant Gagny, c’est un pari qui semble maîtrisé. Céline Lavallée, après 10 années à la tête de la librairie, décide de partir vers d’autres horizons. « Gagny est une belle endormie, une ville avec un fort potentiel mais qui manque d'un centre ville attractif. Mais la librairie se porte bien avec 515.000 € de chiffre d’affaires, et occupe une place cruciale dans la ville : c’est le seul magasin culturel. »
Entrant dans le club assez fermé des libraires possédant plusieurs lieux, Jacques-Étienne Ully pose un constat simple : « L’idée qu’à un lieu est rattaché un libraire est passée. Aujourd’hui, s’agrandir nécessite de trouver des approches différentes. Pousser les murs, c’est compliqué, et quand bien même, les loyers pourraient mettre en danger le commerce. »
Pour lui, « la croissance doit passer par une vision externe, tout en diversifiant les produits. Loisirs créatifs, carterie ou papeterie, jeux sont autant de produits que nous réclament les clients. Et de toute manière, sur nos territoires – et c’est certainement vrai ailleurs – une boutique basée strictement sur le livre, ce n’est plus réaliste. On doit répondre à d’autres demandes ». Voire en créer.
En Seine-Saint-Denis, La malle aux histoires, située à Pantin, fut la première « à faire tomber ces œillères, en élargissant son spectre aux jeux ». Quand disparaissent les boutiques spécialisées, la librairie peut alors occuper, même partiellement, une place laissée vacante. Et l’on sait combien la nature, ayant horreur du vide, ouvre alors la porte à l’achat en ligne.
Sur le fonctionnement de ses établissements, le gérant semble avoir trouvé un fonctionnement efficace : un responsable, secondé par une libraire spécialisée en jeunesse, qui peut également prendre en charge les volets jeux et loisirs créatifs. « C’est un binôme qui repose sur la complémentarité et l’indépendance. Du fait de la connaissance pointue des impératifs et besoins liés à chacune des structures, les 6 libraires de l’entreprise peuvent traiter directement leurs commandes avec les représentants.. »
Folies d'encre du Perreux-sur-marne
Supervisant l’ensemble des trois librairies, Jacques-Étienne Ully s’occupe de la gestion quotidienne, mais également des animations et de la gestion des marchés collectifs. « Je laisse toute liberté à mes librairies dans le choix des livres, je trouverais idiot d’imposer des choix qui ne seraient pas en adéquation avec ce que chacune de mes librairies vend. J’essaye d’anticiper au maximum, je contrôle les flux parce que notre faible trésorerie l’impose, mais la liberté d’action reste le maître mot. »
Ainsi, Gagny (93) vient s’intégrer à la galaxie Folies d’encre d’Aulnay-sous-Bois (93 itou) et celle de Perreux-sur-Marne (94). Avec une dynamique de fonctionnement reposant sur les échanges. « Nous bénéficions d’un coursier mutualisé qui nous permet d’échanger les marchandises entre les trois librairies au gré de nos besoins et d’être donc très réactifs. Notre coursier nous permet également de faire du “picking” et ainsi d’obtenir nos livres en quelques heures, une réponse idéale à la problématique posée par Amazon. »
Le coursier se rend directement dans les entrepôts des distributeurs, « cela marche très bien pour les commandes urgentes de nos clients. On récupère les ouvrages à l’unité du jour pour le lendemain. »
C’est là l’un des plus grands enjeux, au-delà de ses trois commerces, indique-t-il. « L’ennemi du libraire, c’est l’isolement. Et en province, quand il y a parfois 50 km ou plus entre deux, c’est encore plus difficile. Or, nous avons traversé la vague livre numérique annoncée en 2005, et d’autres crises. La rapidité de la livraison au client final, c’est là l’un de nos plus grands enjeux », indique-t-il.
« Après la menace du livre numérique, nous devons désormais répondre au casse-tête que représentent Amazon et son modèle “prédateur”. »
À la tête de trois établissements qui réalisent chacun entre 400.000 et 500.000 € de chiffre d’affaires, Jacques-Étienne Ully, rentre dans un cercle assez restreint. Peu de possesseurs de librairies prennent le risque de gérer trois lieux de front. Or, c’est toute cette expérience qui lui sert également dans ses autres activités.
Président de l’Association Librairies93, il rappelle volontiers l’étude présentée voilà deux ans par le MOTif. Cette dernière passait en revue les difficultés du département – et pas des moindres. « Nous avons l’un des plus faibles ratios en nombre de librairies, par rapport à la population. Et nous sommes le seul département dont la préfecture, Bobigny, n’en a tout simplement pas. »
L’étude pointait bien des choses, comme l’évaporation des commandes du département, pour les marchés publics. « Nous le pressentions, mais, sans chiffres, nous n’avions pas les outils pour pointer ce scandale. » La réalité s’est imposée : même les bibliothèques ne se rendaient pas compte qu’elles participaient à nuire aux librairies séquano-dionysiennes, en passant commande auprès d’autres opérateurs, hors du territoire.
« Aujourd’hui, les librairies du département soit ont baissé les bras, soit se regroupent pour répondre aux appels d’offres. » Et ce, alors que les demandes de bibliothèques sont de plus en plus lourdes. « On nous demande beaucoup de nouveaux services qui pèsent lourd dans notre quotidien que ce soit en terme de temps ou économiquement par exemple des offices thématiques, des demandes de présentations de sélection en bibliothèques, le fait d'avoir Electre ou bien d'avoir un site Internet professionnel... »
Il faut bien des ressources pour assumer ce type de demande – d’autant que les livres présentés sont payés par la librairie. « Les établissements de prêt nous demandent aussi d’avoir un accès à la base Electre, parce qu’ils n’en ont pas. En fait, ils reportent assez logiquement sur nous des services dont eux sont privés. Et comme tout cela est inclus dans les appels d’offres, c’est la prime aux gros. »
L’association, qui réunit une douzaine de librairies, tente alors de reprendre la main. « Ce qui manque le plus, c’est l’échange d’informations entre libraires – il faut casser l’isolement » en partageant des éléments aussi divers que le tarif des assurances, du coursier, des loyers, « on peut du coup renégocier au mieux avec nos prestataires. Même constat pour le domaine stratégique des remises distributeurs.... Ainsi, alors que nous avons tous peu ou prou le même chiffre d’affaires, on constate que nos remises sont différentes chez les distributeurs. Sans qu’il y ait d’explications logiques ! C’est un peu la jungle. Alors, en se rassemblant, on devient plus fort, on négocie mieux. »
C’est qu’à l’image de toutes les librairies de France, l’union fait la force. Le développement d’associations de libraires, partout dans l’Hexagone, ne vise pas autre chose. « Nous avons tous à trouver des systèmes, en tâtonnant, pour nous en sortir. On teste, on cherche des voies. Mon modèle n’est pas forcément transposable à d’autres. Mais dans l’ensemble, j’ai l’impression que la situation ne se dégrade pas tant que cela, le secteur de la librairie va même plutôt dans le bon sens, avec ses atouts et ses faiblesses. »
Le lancement imminent du nouveau site internet permettra à l’association d’être beaucoup plus visible du grand public et de promouvoir notre vision de la librairie : indépendante, qualitative et imaginative.
Et de conclure : « Personnellement, depuis 2005 et mon arrivée dans cet écosystème, j’ai toujours eu des difficultés économiques liées principalement à la faiblesse de ma trésorerie, malgré cette expérience anxiogène, je reste résolument optimiste pour notre avenir... Je constate qu’au niveau national les libraires sont de mieux en mieux formés. De nombreux organismes sont présents pour nous aider comme l’ADELC, le CNL, les régions... »
« La livraison de nuit qui se développe en région parisienne nous permet par exemple de gagner un temps précieux... C’est ce message positif que j’essaye de transmettre notamment via les cours que je donne aux étudiants du Master Edition de Paris 12. Nous avons d’énormes défis à relever, mais nous avons tous les talents pour les relever... »
1 Commentaire
Dominique ROBICHON
12/05/2022 à 11:59
Très bien. Bon courage pour continuer de "tenir la barre !
Cordialement.