André Breton, Valentine Hugo et trois auteurs non identifiés, [Cadavre Exquis : Brésil]. Crayons de couleur sur papier noir, ca. 1930. Coll. Clo et Marcel Fleiss, Paris
Au pied de la Bibliothèque des Annonciades, dans l’enceinte de la vieille-ville, le jardin Valentine Hugo rappelle la naissance à Boulogne-sur-Mer le 16 mars 1887 de cette artiste proche des écrivains et musiciens de son époque : Tzara, Éluard, Cocteau, Radiguet, Man Ray, Satie, Ravel, Poulenc...
Épouse du peintre Jean Hugo, compagne d’André Breton en 1931-1932, Valentine était la fille d’Auguste Gross, professeur de musique, et Zélie Demelin, institutrice. Elle a grandi à Boulogne, « au pays de la mer sauvage, des tempêtes et des prodiges », selon ses propres mots rappelés par Nadine Ribault, l’une des trois commissaires d’exposition.
Pour qui l’a lue, il n’est pas surprenant que cette dernière se soit intéressée à cette artiste mystérieuse, alors qu’elle se documentait en 2014-2015 aux Annonciades lors de la rédaction de ses Carnets de la Côte d’Opale. « J’avais inséré des lignes qui ont pris tellement de volume et d’importance que j’ai fini par les en extraire – elles ont aujourd’hui pris place dans le texte publié aux éditions Invenit », raconte Nadine Ribault.
Pourquoi un tel engouement ? « Par l’intérêt que je porte à la liberté d’esprit ! » Un point commun avec les conservateurs des Annonciades, Karine Jay et Sandrine Boucher, motivées également par le cinquantenaire de la disparition en 1968 de Valentine Hugo, le 16 mars 2018.
Cette exposition, soulignent les trois commissaires dans la présentation officielle de leur projet, « sera la première à analyser en profondeur l’œuvre d’une artiste qui brouilla les pistes de sa vie, jouant de masques, de secrets, d’histoires et d’identité inventées, d’ombres et de vertiges ».
Partie pour ses études à Lille, à 18 ans, puis à Paris deux ans plus tard où elle entra à l’École des Beaux-Arts, Valentine Hugo se sentit parfaitement à l’aise parmi les artistes les plus audacieux de son temps, proche des dadaïstes et des surréalistes. En 1936 elle signait 23 dessins érotiques pour un exemplaire unique d’un livre de Pierre Louÿs (Trois filles de leur mère) appartenant à Paul Éluard et Gala ; en 1947, elle réalisait des décors jugés scandaleux pour Pelléas et Melisande, mais aussi elle soutenait les musiciens révolutionnaires Edgar Varèse et Érik Satie, ou acclamait le controversé Nijinski dans le Sacre du printemps.
De même, elle illustra le Marquis de Sade en 1948 en gravant un phallus étoilé. Dans le texte somptueux publié chez Invenit, Nadine Ribault rappelle la sentence de Valentine : « Ceux qui détestent le merveilleux sont déjà morts. » L’artiste ne collait-elle pas des plumes d’oiseau dans ses agendas, comme Nadine Ribault compose elle-même des collages romantiques et surréalistes où des oiseaux fantastiques se disputent avec les plus étranges créatures féminines ?
« André Breton et le surréalisme ont eu dans l’œuvre de Valentine Hugo un écho infini, écrit l’auteure qui a longuement vécu au Japon. Attirés par l’irrationnel, l’astrologie, la botanique, la zoologie, les forces régénératrices de l’inconscient, ils étaient tous deux amoureux éperdus du merveilleux, de la féérie, du noir, de Lautréamont, de Rimbaud, de Sade, intrigués par l’amour... »
Marquée par la mort tragique de son père, tombé à la mer de la jetée de Boulogne quand elle avait 16 ans, imprégnée par la constance de sa relation affectueuse avec son mari Jean Hugo (arrière-petit-fils de Victor) dont elle était séparée, Valentine restera aussi l’amoureuse malheureuse d’André Breton celui qu’elle appelait « son astre sombre » comme l’a découvert Nadine Ribault dans un brouillon de lettre daté du 18 décembre 1931, conservé au fonds Carlton Lake de l’université d’Austin. S’ils se sont « portés admiration et inspirés l’un l’autre », Valentine est la seule à avoir aimé son bref amant jusqu’à la fin de sa vie.
« Le fonds Valentine Hugo existe aux Annonciades depuis les années 90 », détaille Karine Jay, conservatrice en chef et directrice du Quadrant. Béatrice Seguin, alors conservatrice, avait créé le fonds Valentine Hugo et entamé des acquisitions qui se sont poursuivies depuis, en surveillant les ventes publiques. Un vrai jeu de piste, car beaucoup d’œuvres ont été dispersées, perdues, brûlées, et se cachent en Angleterre, Suisse, Espagne, États-Unis...
Portrait de la princesse de Faucigny-Lucinge, dite « Baba », s.d. Pastel. Coll. BMB, Rés. VH Carte 1583 (1) © Bibl. municipale de Boulogne-sur-Mer © ADAGP, Paris, 2018
Aidée par l’État, le ministère de la Culture, la Bibliothèque des Annonciades a pu en acquérir notamment lors des ventes de la collection Pierre Spivakoff de 2006 et 2007. C’est ainsi que lettres, agendas, dessins, gravures, pastels ont pu entrer à la Bibliothèque des Annonciades. « Tout dormait dans les réserves et il fallait le montrer au public, justifie Karine Jay. La galerie du cloître a été aménagée spécialement pour l’exposition. Les vitres ont été exceptionnellement obturées afin d’éviter l’exposition à la lumière. »
Karine Jay et Sandrine Boucher, directrice adjointe et responsable du département Études et Patrimoine, se sont associées à l’auteure Nadine Ribault, qui a effectué d’impressionnantes recherches à Boulogne-sur-Mer et jusqu’à Austin au Texas, pour préparer cette exposition.
Pourquoi une exposition d’une telle envergure dans une bibliothèque ? « Valentine Hugo y a toute sa place, car elle a illustré une quarantaine de livres (un seul pour enfant) et a consacré une large part de sa vie à la poésie », explique Nadine Ribault.
Tout le monde a joué le jeu, car, outre les prêts du Centre Pompidou, de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, la Bibliothèque nationale de France (BnF) a vite adhéré au projet, notamment Mathias Auclair directeur de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Joël Huthwohl directeur du département des Arts du spectacle, ou encore Olivier Wagner le conservateur en charge du manuscrit des Vases communicants, publié par Breton en 1932, puis recopié et dédicacé par lui à Valentine Hugo : la BnF a accepté de le prêter aux Annonciades.
Un objet rare et symbolique, entrant en résonance avec les rêves peints par Valentine Hugo à la même époque. La ville de Boulogne et son adjointe à la culture Régine Splingard se sont promptement piquées à l’aventure comme en témoigne la carte de vœu de janvier 2018 du maire, Frédéric Cuvillier, présentant une gravure de Valentine Hugo accompagnée de son portrait par Man Ray.
Sur l’ensemble du réseau municipal, on profitera donc à Boulogne de conférences à plusieurs voix, de lectures, de présentation à destination scolaire, d’ateliers, de visites commentées dont certaines en langue des signes.
Commissaire, ou... détective ? L’enquête de la « co-commissaire d’exposition » Nadine Ribault l’a menée jusqu’au sud des États-Unis. On sait les universités américaines riches des dons de fondations. Des trésors ouverts aux chercheurs sélectionnés sur dossier. Nadine Ribault, qui vit sur la Côte d’Opale, a ainsi obtenu une bourse d’un mois et travaillé de 9 h à 17 h du lundi au samedi au Harry Ransom Center (HRC), un Centre de recherche et de conservation et de documentation privé, sur le campus de l’Université du Texas à Austin, « avec une âme de Sherlock Holmes » ! Des archives sur Henri-Pierre Roché, l’auteur de Jules et Jim, côtoient à Austin un remarquable fonds Valentine Hugo, constitué par un ancien conservateur du HRC, Carlton Lake...
Valentine Hugo à Hauteville House, 1920. Coll. © Archives Jean Hugo © ADAGP, Paris, 2018
Dans l’ouvrage Valentine Hugo, Écrits et entretiens, dirigé par Béatrice Seguin et publié par Actes Sud en 2002, Nadine Ribault avait repéré un article de Jean-Pierre Cauvin. Ce professeur émérite de littérature française, enseignant à l’Université du Texas, se plongeait volontiers dans les fonds du HRC. Cauvin a sans doute croisé Carlton Lake à la fin de sa vie. « Journaliste, Carlton Lake était venu à Paris dans les années 60, raconte Nadine Ribault. Il a alors acheté beaucoup d’œuvres et documents de Valentine Hugo à des libraires comme Jean Petithory ou Marc Lolié. À son retour aux États-Unis, il a travaillé au HRC comme conservateur dans les années 70. À sa retraite, il a légué ses collections au HRC – qui ont constitué le fonds Carlton Lake. »
Pour enrichir son texte publié aux éditions Invenit, Valentine Hugo, le carnaval des ombres, Nadine Ribault a puisé abondamment dans les écrits conservés à la Bibliothèqe de Boulogne-sur-Mer et dans ceux consultés à Austin comme en témoignent ses notes de bas de page. « Le HRC possède tous les agendas des années 50, tandis que la bibliothèque de Boulogne-sur-Mer détient ceux des années 60 », relève la co-commissaire. « De même, Boulogne conserve la correspondance entre Valentine et sa mère Zélie Gross durant la Grande Guerre, mais la suite est à Austin, tout comme le journal de Zélie Gross. »
Valentine Hugo consignait beaucoup. « Par exemple les dates de ses lettres à André Breton sont enregistrées dans un tout petit carnet. »
Si les 33 lettres d’André à Valentine des années 1931 et 1932 sont à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, attestant d’une relation distante évoluant vers une relation amoureuse, le fonds Carlton Lake d’Austin possède quatre lettres de 1930 donc au tout début de leur échange même si les deux artistes se connaissaient depuis 1918.
Si Breton a détruit les lettres de Valentine, comme il semble qu’il le faisait pour toutes les femmes qui ont partagé sa vie, on peut cependant prendre connaissance d’un grand nombre d’entre elles au Texas, car Valentine en conservait tous les brouillons, ou les recopiait.
Geoffroy Deffrennes
en partenariat avec l'AR2L Hauts de France
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
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