Il y a un mois naissait la Ligue des auteurs professionnels, rassemblant des auteurs de tous les secteurs du livre (littérature générale, jeunesse, BD...) autour de la professionnalisation et la défense du métier d’auteur. Aujourd’hui, l’association publie un constat riche, précis et inédit de la situation des auteurs du livre en France.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« Aujourd’hui, la Ligue des auteurs professionnels dévoile le constat de la place de l’auteur en France, fruit de mois de travail entre experts et instances représentatives d’auteurs. Ce constat offre une présentation synthétique et complète des enjeux sociologiques, économiques, fiscaux et sociaux qui fragilisent actuellement les fondements d’un pilier majeur de la création littéraire et artistique en France », déclare Samantha Bailly, présidente de l’association.
Qu’est-ce qu’un auteur en France ? Qu’est-ce même que le droit d’auteur ? Et plus délicat encore : existe-t-il un statut professionnel de l’auteur ? En onze points, le document expose largement l’ensemble des problématiques propres au métier. La question est ouvertement posée : quel statut pour les auteurs ? La réponse est connue par avance : les auteurs ne disposent pas de statut propre, mais de bouts de régimes sociaux et fiscaux, pris ici et là, dans la tentative d’opérer une synthèse.
La Ligue soulève nombre d’injonctions paradoxales desquelles les auteurs sont prisonniers, entre l’univers de l’édition, leur régime social, leur baisse de revenus et leurs cotisations en hausse continue : « Le droit d’auteur est-il un revenu du patrimoine ou un revenu du travail ? Par sa philosophie même, c’est un revenu de propriété, un système de rémunération proportionnel aux ventes et décalé dans le temps. »
Elle poursuit : « Ceci explique des revenus extrêmement fluctuants, y compris pour des auteurs bien installés. Le revenu des droits d’auteur n’est juridiquement pas un revenu du travail. Si c’était le cas, ce travail serait soumis au Code du travail, et donc à des minima de rémunération et à un encadrement bien plus strict juridiquement que les conditions actuelles de création des auteurs. »
Et d’ajouter : « Une ambiguïté certaine dans la situation actuelle est que, dans les textes officiels de la Sécurité sociale, les auteurs sont définis comme des actifs, alors que les contrats d’édition ne sont que des cessions de droits détachées de toute idée de travail. Si on y regarde de près, cette ambiguïté travail/patrimoine n’est levée que très partiellement : dans les faits, les contrats d’édition n’impliquent pas seulement la cession de l’œuvre, mais des injonctions professionnelles : date de rendu, calendrier de travail, obligations de promotion et de déplacements, obligations de communication, voire cahier des charges très précis. »
Elle relève : « Il y a un vrai problème : c’est qu’à l’heure actuelle, nos spécificités liées au droit d’auteur, droit d’auteur que nous souhaitons voir consolidé et renforcé, ne sont pas prises en compte par l’État, dans notre régime social. Les cotisations augmentent, il n’y a pas d’aménagement spécifique venant correspondre à ce mode de rémunération unique, lié à une histoire et une philosophie. Le droit d’auteur est par ailleurs porté comme étendard français au niveau européen par le gouvernement. C’est un vrai souci de cohérence, alors que, d’un autre côté, nous sommes tiraillés par une industrie dont les codes et les exigences ont profondément muté en plusieurs décennies. »
« Un éditeur qui souhaite signer un contrat pour une œuvre, sans verser d’avance, peut tout de même exiger tous les droits d’exploitation de cette œuvre jusqu’à la mort de son auteur et 70 ans au-delà. C’est totalement disproportionné vu le peu de risque financier pris par cet éditeur. Dans la loi, rien ne protège un auteur de ça. Ça repose sur sa seule capacité à négocier, à résister. », déclare Denis Bajram, vice-président.
« Le principe du droit d’auteur, c’est que l’auteur est de fait propriétaire de son œuvre. Or, quand il ou elle opère un transfert de propriété, par la cession contractuelle, il a besoin de pouvoir conserver un certain contrôle. » Lequel n’existe que trop peu aujourd’hui, pose la Ligue en guise d’observation.
« Le droit d’auteur doit être défendu et renforcé. Mais ce qui nous manque, ce sont les garde-fous. Trop d’auteurs se retrouvent dans les faits à perdre le contrôle de l’exploitation de leurs œuvres. » Une couverture imposée, un résumé de l’œuvre, l’opacité des chiffres de ventes ou les manquements dans les redditions de compte, les exemples de cas où le fameux droit moral est pris en défaut sont très nombreux.
Pourtant, rappelle l’enquête, le secteur de l’édition emploie plus de 80 000 personnes, soit un job sur cinq pour la France dans le milieu culturel. À l’origine d’une création de richesse estimée à 1 % du PIB, admirés dans le monde entier, les auteurs sont un pilier du rayonnement culturel de la France.
« Les études se multiplient, montrant qu’entre 41 % et 53 % des professionnels gagnent déjà moins que le SMIC et que leurs revenus continuent de baisser, en particulier pour les plus jeunes », pose l’étude pour balancer. Avec ce constat encore tabou : les auteurs « sont mal protégés socialement et fiscalement, mais surtout ils ne sont pas du tout protégés par le Code du travail et n’ont donc pas non plus de rémunération minimum garantie ».
Et de poser les observations avec une certaine lucidité : là où l’on parle de problème de répartition de la valeur, la Ligue observe plutôt que « les groupes éditoriaux occupent une position dominante et imposent leurs propres intérêts économiques à quasiment tous les auteurs ». Ces derniers assumeraient alors « la part la plus importante du risque » alors que, dans le même temps, les maisons procéderaient à « l’acquisition de la majorité [de leurs] droits patrimoniaux ».
Et la Ligue de trancher : « Aujourd’hui, le droit d’auteur protège surtout les intérêts de ceux qui exploitent les droits patrimoniaux des auteurs. Cela explique que les éditeurs, les producteurs et leurs organisations soient d’aussi ardents défenseurs du droit d’auteur au niveau national et européen. Pendant que l’État semble se couper des réalités économiques et sociales des auteurs, le secteur du livre subit de nombreux bouleversements, dont les auteurs sont systématiquement la variable d’ajustement. L’explication est simple : isolés, sans un statut fiscal ou social solide, sans régulation, les auteurs sont dans une position fortement asymétrique par rapport aux grands groupes. »
La question du statut devient alors centrale : il n’existe pas d’intermittence du spectacle pour les auteurs, et cela n’est probablement pas à attendre ni souhaitable. Seul le régime de la sécurité sociale sert de statut — avec des paradoxes liés au bricolage dudit régime, régime clairement mis à mal par les réformes qui s’appliqueront au 1er janvier 2019. Le constat est alarmant pour les jeunes générations : les jeunes auteurs perçoivent des rémunérations moindres que leurs aînés, avec peu de perspective d’évolution. Et les femmes, plus spécifiquement, sont encore moins bien loties.
Le document de la Ligue est lucide : « Le métier d’auteur est un métier d’incertitudes, de précarité et de déconvenues financières pour la majorité de ceux qui l’exercent. Mais les déconvenues financières n’interdisent pas la joie, le plaisir ou l’attrait des métiers d’auteurs. Il faut cependant bien noter que, contrairement aux salariés, les auteurs ne sont protégés par aucun salaire minimum. Leurs revenus dépendent donc de leur seule capacité personnelle à défendre leurs intérêts. »
Contraints, voire acculés au travail, beaucoup céderaient en effet sous la pression, en acceptant « une rémunération insuffisante ».
La conséquence directe des réformes et évolutions tant fiscales que sociales aurait, dans une projection des plus vraisemblables, plusieurs effets à redouter. Avec moins d’auteurs professionnels, la production francophone diminuerait, de toute évidence, au profit des Anglo-saxons. Les manifestations littéraires seraient alors impactées, et le territoire brillerait certainement moins fortement : c’est tout le soft power qui est alors affaibli.
Et l’argent reste le nerf de la guerre : d’un côté, l’avance sur droit n’a pas d’existence dans le CPI. De l’autre, elle « est devenue une façon de rémunérer la cession de droits, mais aussi de plus en plus le temps de travail de l’auteur ». De quoi entraîner une situation des plus ambiguës.
Aujourd’hui, à l’exception des best-sellers — à répéter avec prudence cependant —, les auteurs se retrouvent donc dans la position d’être à l’origine des œuvres, tout en se présentant, comme les libraires, comme le maillon le plus fragile de la sacro-sainte chaîne du livre. Ce constat ne s’effectue pas au mépris du travail éditorial qui transforme l’œuvre : simplement, les pressions exercées au sein même des maisons poussent à une surproduction qui détériorerait les échanges entre l’auteur et son éditeur, mais aussi les conditions des salariés des maisons d’édition.
En parallèle, le phénomène de concentration observé conduit des groupes à exiger plus de rentabilité, de leurs équipes, et conséquemment des œuvres publiées. « Être éditeur, ce ne peut pas être que publier tous azimuts, à moindre coût pour assurer ses flux financiers, en se disant qu’il en sortira bien quelques succès pour faire son bénéfice. Cela ne peut qu’être destructeur de valeur à terme pour le reste de la chaîne du livre », pointe la Ligue.
De là l’impératif de rééquilibrer les forces, avec l’introduction d’un véritable statut pour les auteurs. Et donc, « d’exiger plus de la part des maisons d’édition », conduites ainsi « à faire à nouveau de vrais choix, à faire de vrais investissements et à reprendre de vrais risques ».
Voilà qui « récompenserait les éditeurs talentueux aux dépens de ceux qui aujourd’hui se contentent d’envahir les tables avec des flux de livres mal rémunérés et mal commercialisés ». Et plus encore : « Mieux payer les auteurs, investir plus, ce serait moins publier pour, en échange, mieux travailler et enfin recréer un cadre favorable à la visibilité des livres et donc au succès. »
Posant que ni le droit d’auteur ni le statut social n’ont su, à ce jour, protéger les auteurs comme il aurait fallu, la Ligue interpelle tant les pouvoirs publics que les autres professionnels de l’édition.
« Le Président de la République a déclaré devant le Parlement réuni en congrès à Versailles : “Nous devons prendre soin de nos auteurs, faire qu’ils soient rémunérés de manière adaptée, et défendre leur situation en Europe”. Nous le prenons au mot », relève la Ligue.
« Ce constat n’est qu’une première étape », note Samantha Bailly. « La Ligue des auteurs professionnels travaille d’ores et déjà sur des hypothèses de réforme. Mais ce que présente ce constat pose déjà une question simple à l’État, aux organismes sociaux et à la chaîne du livre : voulez-vous sauver le métier d’auteur en France ? »
5 Commentaires
koinsky
23/10/2018 à 09:11
« Le Président de la République a déclaré devant le Parlement réuni en congrès à Versailles : “Nous devons prendre soin de nos auteurs, faire qu’ils soient rémunérés de manière adaptée, (...)”.
Rémunérés de manière "adaptée". Génial la novlangue de bois. On dit ça à un cadre ou à un ministre ou même à un ouvrier ? Vous savez, vous allez être rémunérés de manière adaptée ! De qui se moque-t'on ! Bref ça dit bien ce que ça veut dire. Les mots sont des traîtres : ils balancent les intentions de celles et ceux qui les emploient. "Adaptés " ça veut dire que c'est pas bien grave après tout pour un auteur (qui se nourrit d'amour, de Bounty et d'eau fraîche) de pas être bien payé. Qu'il se réjouisse déjà d'avoir la chance inouïe d'être publié ! Allez un chupa-chop dans ta bouche et roule ma poule... Quel mépris de caste, quelle honte ! Y'a qu'un banquier pour se montrer aussi condescendant. Macron ? Du lait d'sa mère au bout d'son nez. Hihi!
Dominique L.
23/10/2018 à 10:09
Chaque fois qu'on parle d'éditeurs, seule la part industrielle est citée comme réalité, sans parler des dix mille maisons d'édition qui ont une vie à l'opposé de cet article!
Certes 95% du marché est dans les mains d'un conglomérat d'éditeurs qui ont tous des actions les uns chez les autres, possèdent des usines à papier, des boîtes de diffusion/distribution, des librairies, des actions dans les médias, ainsi, ils vampirisent le marché en noyant les tables de libraires chaque semaine de titres plus ou moins travaillés.
Mais ces petits éditeurs, eux prennent le risque de gagner moins que l'auteur, voire rien ! Jamais on en parle, et pourtant, ils sont des milliers à faire vivre la diversité littéraire.
Sur 600 titres de septembre, les médias se concentrent sur à peine 5
koinsky
23/10/2018 à 11:39
Ouais c'est vrai, gloire aux p'tits éditeurs qui se démènent corps et âmes et qui suent eau et sang pour publier de bons livres ! Mais pour qu'ils puissent sortir la tête de l'eau dans cet océan de livres, faudrait aussi de p'tits libraires, de p'tits distributeurs et de p'tits diffuseurs, bref un un système parallèle au système en place. On voit bien toute la difficulté qu'il y a à survivre dans un monde où tout est trusté par quelques mastodontes. Alors, p'tits éditeurs pour p'tites marges ? je sais pas. Perso je pencherais plutôt pour une politique de "coups éditoriaux", plus rares et donc plus chers (lucratifs) mais forcément plus sélectifs. Donc moins d'auteurs mieux rémunérés. Pas sûr que ça plaise à tout le monde.
Edouard Brasey
23/10/2018 à 11:30
Je partage les conclusions alarmantes de la Ligue des auteurs professionnels à laquelle j'ai adhéré. Auteur depuis plus de 30 ans, ayant publié près de 90 ouvrages, vivant exclusivement de ma plume, j'ai vu mes revenus d'auteurs divisés par 5 en dix ans, alors même que je suis obligé de publier davantage - trois romans cette année. A 64 ans, il est trop tard pour me reconvertir dans un métier présentant davantage de sécurité. Alors je comprends à quel point cela doit être difficile, voire impossible de vivre de son art pour un primo-romancier, un auteur de BD ou tout autre métier lié à l'écriture. Même les prête-plumes sont désormais sous-payés, sans parler des traducteurs. Et les contrats d'édition exigent, pour les comprendre, d'avoir un Master de Droit ou de faire appel à un juriste compétent. Et un fiscaliste. Est-ce normal? Est-ce juste? Est-ce digne? Non.
Dominique L.
23/10/2018 à 12:49
Les gros éditeurs tuent leurs auteurs avec le livre de poche.
Autrefois, il fallait attendre au moins 10000 ex, 2 ou 3 ans minimum pour passer en poche. Aujourd'hui, moins d'un an après, le poche sort. Si l'auteur sort un titre tous les ans, les lecteurs n'ont qu'à attendre quelques mois pour acheter le livre moitié prix. Ce que le lecteur ne sait pas, c'est que sur un broché à 20€, l'auteur va toucher 2€. Sur le poche à 8€, il ne va toucher que 0,5€, donc, il va devoir vendre 4 fois plus pour gagner autant!