Le 6 novembre, le Président de la République était dans la Meuse, aux Eparges, lieu d’une terrible boucherie durant la première guerre mondiale. Recueilli devant la statue de Genevoix, grièvement blessé en ce lieu en Avril 1915, il annonçait sa prochaine entrée au Panthéon: Il y aura deux panthéonisations : celle du romancier et celle à titre collectif de ceux de quatorze annonçant la Nation combattante.
Par Elisabeth Guichard-Roche
Le 20/04/2019 à 19:00 par Les ensablés
Publié le :
20/04/2019 à 19:00
Depuis des années, les Ensablés explorent la littérature du XXème siècle, et il nous est venu l’idée de répertorier les écrivains qui ont connu la Grande Guerre et dont nous avons abordé les œuvres. Cela constitue en quelque sorte notre Monument aux morts, pour ne pas oublier… Et d’abord le plus connu de nos écrivains en voie d’ensablement… Maurice Genevoix.
Maurice Genevoix (1890- 1980) mérite à l’évidence pareil hommage comme l’illustrent les trois chroniques que nous lui avons consacré. Romans de Loire, Je verrai si tu veux les pays de la neige et La Mort de près où l’écrivain revient à 80 ans sur son expérience de la Guerre. Dans ce texte fort bref au regard des presque mille pages de Ceux de Quatorze, Genevoix analyse avec calme ses trois confrontations successives avec la mort. Autant le 24 Septembre, « blessé » indemne, j’avais, pendant d’affreuses secondes, pensé, vécu ma propre mort, autant cette fois j’en étais mentalement éloigné. On m’emmenait. On allait me soigner, me rendre la santé et la force. Cela seul devait m’importer : un long sursis pendant lequel, qui savait ? La guerre s’achèverait peut-être.
D’autres Ensablés ont vécu l’horreur des tranchées et mériteraient dans le sillage de Genevoix, de sortir de l’oubli.
Il y a d’abord ceux tombés au champ d’honneur. Au long de nos chroniques, nous en en comptons sept, qui morts pour la plupart à la trentaine, n’ont pu vivre assez longtemps pour connaître la notoriété. Ils figurent tous parmi les 560 noms de la stèle inaugurée en 1927 au Panthéon par Gaston Doumergue : ici sont enfermés les hommages rendus le 15 octobre 1927 aux écrivains morts pour la France.
auteur engagé et défenseur de la classe ouvrière, publie avec son frère Maurice, Les métiers qui tuent en 1905 et La Vie tragique des ouvriers en 1908. Il rédige Aubervilliers en 1912 et 1913 dont il ne verra jamais la publication. Il meurt des suites d’une blessure fin décembre 1914, trois mois après son frère.
Émile Clermont (1880-1916) publie son premier roman Amour Promis en 1909. Étoile montante de l’éditeur Bernard Grasset, il meurt à l’Epine Lambert, touché par un éclat d’obus. Sa citation de Croix de Guerre mentionne : Modèle de l’officier de campagne, insoucieux du danger, dévoué à son devoir jusqu’à la mort qu’il a trouvée au moment où, sous un violent bombardement et malgré les avis qui lui étaient donnés, il se tenait dans la tranchée, veillant personnellement à une attaque possible de l’ennemi.
René Dalize (1879-1917), de son vrai nom René Dupuy des Islettes, suscite l’enthousiasme des lecteurs du journal Paris Midi avec son feuilleton qui sera réuni sous le titre Le club des Neurasthéniques. Mobilisé en 1914, il est tué par un obus en Mai 1917 sur la partie orientale du Chemin des Dames. On ne sait où il fut enterré. Guillaume Apollinaire est profondément affecté. Je viens de perdre mon meilleur ami, celui qui est mentionné dans Alcools. Un obus est venu confirmer son récent pessimisme. Il a clamé sa mort dans des lettres. Il a su qu’il mourrait si on ne le tirait pas de l’épouvantable où il était depuis 1914… Je perds outre un compagnon délicieux, mon plus ancien ami.
Danrit (1855- 1916), de son vrai nom Émile Driant, militaire puis député de Nancy qui s’est volontairement réengagé en 1914 et fut tué à Verdun. Le 20 février 1916, il adresse à sa femme ce dernier courrier. Je t’écris quelques lignes hâtives, car je monte là-haut, encourager tout mon monde, voir les derniers préparatifs ; l’ordre du General Bapt que je t’envoie, la visite de Joffre, hier prouvent que l’heure est proche…A la grâce de Dieu ! Vois tu, je ferai de mon mieux et je me sens très calme. J’ai toujours eu une telle chance, que j’y crois encore pour cette fois . Il laisse une trentaine de romans mêlant aventure coloniale, anticipation où il accorde une vaste place à l’armée, Œuvres
Jean de la Ville de Mirmont (1886- 1914) publie en 1914, juste avant sa mort, un court roman Les Dimanches de jean Dezert. Il écrivait principalement des poèmes qui ont été édités post mortem par sa mère. Son dernier date de 1914. Cette fois, mon cœur, c’est le grand voyage, Nous ne savons pas quand nous reviendrons, Serons nous plus fiers, plus fous ou plus sages ? Qu’importe mon cœur, puisque nous partons.
André Lafont (1883-1915) publie L’élève Gilles en 1912 récompensé par le Grand prix de littérature de l’Académie Française. De santé délicate, il est reconnu apte au service. Affecté comme ambulancier, il succombe à la scarlatine à l’hôpital de Bordeaux.
Louis Pergaud (1882-1915) a déjà publié De Goupil à Margot (Goncourt 1910), La Guerre des boutons (1912) et le Roman de Miraut (1913) lorsqu’il dépose le manuscrit des Rustiques chez son éditeur la veille de partir au front. Il disparaît dans la boue de la Meuse en Avril 1915 lors de l’attaque de la côte 233 de Marchéville. Dans sa cantine militaire, son épouse découvre son Carnet de guerre décrivant sa vie quotidienne au front. On a relevé les blessés. Quelques-uns sont encore entre les lignes avec des tas de morts. Le service d’évacuation a fonctionné normalement. Le bombardement cesse. Le soir, nous gagnons P2 sud, nos anciennes tranchées. Nuit calme.
Viennent ensuite, les romanciers tel Genevoix, revenus souvent blessés de l’enfer des tranchées. Nombre d’entre eux, terriblement marqués par ce qu’ils ont vu et vécu, utilisent leur plume pour témoigner. Des récits souvent à l’origine de leur notoriété.
Gabriel Chevalier (1895-1969) appartient à la classe 15. Incorporé, formé et jeté sur les champs de bataille de l’Artois, il témoigne de son atroce calvaire dans La Peur publiée en 1930. Elle avait l’atmosphère plus tiède des lieux qui sont habités ; il y flottait la pénétrante odeur des corps, un mélange de fermentation et de déjections, et celle des nourritures aigries..
Georges Duhamel ( 1884-1966), engagé volontaire comme chirurgien sur le front, publie sous le pseudonyme de Denis Thévenin, Civilisation, Goncourt 1918. Sa conclusion illustre à merveille ce mélange de désarroi et d’espérance sur l’état du monde : Le monde me semblait confus, incohérent et malheureux ; et j’estime qu’il est réellement ainsi…la civilisation, la vraie, j’y pense souvent. C’est, dans mon esprit, comme un cœur de voix harmonieuses chantant un hymne, c’est une statue de marbre sur une colline desséchée..
Luc Durtain (1881-1959), ami fidèle de Duhamel, effectue également la guerre comme médecin. Il publie en 1922, Douze cent mille long roman consacré au conflit. Dans les années 20, les deux hommes voyagent ensembles notamment aux Etats-unis et en Russie. Les écrivains français à Moscou.
Roland Dorgelès ( 1885-1973) connaît la notoriété grâce à ses témoignages du front : Les croix de Bois en 1919, Le Réveil des morts en 1922. Bouquet de Bohème, l’un de ses romans montmartrois paru en 1947, insiste trente ans après sur le traumatisme provoqué par la Grande Guerre qui rythme le récit tel un triste refrain. En deux jours, Montmartre se vida : tous les artistes appartenaient aux jeunes classes. Puis, se fut le tour des engagés, pressés de rejoindre les camarades. Aucun ne pensait que c’était un adieu. On se retrouverait dans quelques semaines, au pis dans quelques mois. Ca remplacera les vacances… Or ces vacances-là devaient durer quatre ans.
Galtier Boissière (1891-1966) appartient à la classe 1911, qui après trois années de service militaire enchaîne quatre années de guerre. Il publie La fleur au fusil en 1917 sous le titre En rase campagne dans lequel il décrit au plus près ce qu’il voit ou à vécu.
D’autres, en revanche, choisissent d’occulter cette terrible période dans leurs écrits, probablement une façon pour eux d’oublier cette triste période.
Ernest Perochon (1885- 1942), mobilisé en 1914 et victime d’une crise cardiaque près d’un camarade tué par un obus. Il avait publié Les Creux de Maison en 1913. Il profite de sa convalescence pour terminer Nène, Goncourt 1920.
Philippe Heriat (1898-1971) engagé volontaire dans l’artillerie à 18 ans est gazé à l’hyperite. La Saga des Boussardel , histoire d’une famille bourgeoise de 1815 au milieu du XX ème siècle, passe totalement sous silence le premier conflit mondial.
La prochaine entrée au Panthéon de Genevoix symbolise le premier désensablement d’un de nos auteurs préférés et sonne comme une promesse pour tous les autres de quartorze. Joie, fierté et espérance se conjuguent pour espérer sauver d’un injuste oubli d’autres Ensablés.
Commenter cet article