L'accessibilité par le numérique aux livres
Des années après sa signature, en 2013, le Traité de Marrakech a été ratifié par l'Union européenne et par la France. Ce texte de loi à la portée internationale devait faciliter la production et l'échange de textes adaptés pour les personnes aveugles et malvoyantes, mais il laisse un goût amer aux associations et personnes concernées : la France n'a pas transformé l'essai que le Traité mettait en œuvre, en ne transposant que partiellement ses dispositions.
Alex Bernier, directeur de l'association BrailleNet et vice-président de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), fait le point sur la situation, le peu de moyens déployés en France, et appelle à une véritable politique en la matière.
Pour célébrer la naissance de Louis Braille, le 4 janvier a été déclarée journée mondiale du braille en 2001. Au XIXe siècle, Louis Braille a inventé le code qui porte son nom, qui permet aux aveugles de lire et d’écrire grâce au toucher. Le principe en est simple : des combinaisons de points en relief sont utilisées pour représenter l'alphabet, la ponctuation, les chiffres et potentiellement tout autre type d'information.
Le braille (le mot est devenu un nom commun en français) est ainsi utilisé par les aveugles et les personnes fortement malvoyantes dans le monde entier pour lire n'importe quel texte, mais aussi des formules mathématiques ou des partitions musicales.
Avec le temps, le braille a su évoluer. À l'origine réalisé manuellement à l'aide d'un poinçon, puis imprimé avec des embosseuses, il est devenu numérique. Grâce à des appareils électroniques nommés "plages braille", un aveugle peut aujourd'hui lire en temps réel le texte qui s'affiche sur l'écran de son ordinateur ou de son smartphone. Dans un monde où l’importance du numérique est croissante, le braille est indispensable pour l'autonomie des aveugles et des malvoyants, qu’il soit utilisé seul ou complété par d'autres dispositifs, tels que des logiciels de synthèse vocale ou d'agrandissement.
Le numérique permet ainsi de diversifier les modes d'accès à l'information, et bien utilisé, c'est à dire lorsque les contenus respectent certaines normes d'accessibilité, c’est un outil efficace au service d'une meilleure inclusion scolaire et professionnelle des personnes déficientes visuelles.
Malgré les progrès techniques récents, les aveugles et malvoyants restent en France plus qu’ailleurs confrontés à des difficultés importantes dans le domaine de l'accès au livre et à la lecture. Selon un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) de 2013, on estime que seulement 8 % des livres disponibles en France existent dans une version en braille, sonore ou en caractères agrandis adaptée à ce public, tous supports confondus, numériques et imprimés.
Aux États-Unis, la bibliothèque virtuelle Bookshare compte plus de 680.000 livres adaptés à son catalogue, alors qu’en France, la Bibliothèque Numérique Francophone Accessible (BNFA) qui propose pourtant le fonds le plus fourni dispose d’à peine plus de 50000 références.
Sachant que les délais nécessaires à l'adaptation d'un livre sont d'autant plus longs que le document est complexe (ils peuvent atteindre plusieurs semaines), cette pénurie est encore plus forte pour les manuels scolaires et universitaires, les textes scientifiques ou les ouvrages professionnels.
En conséquence, les aveugles et malvoyants rencontrent d'importantes difficultés pour mener à bien des études supérieures, passer un concours, trouver un emploi, évoluer professionnellement, ou tout simplement pour lire un roman conseillé par un ami, ou un essai afin de se forger un avis sur une question politique.
L'indigence de l'offre de livres adaptés disponible en France s'explique par plusieurs facteurs, principalement de nature économique et technique. Une exception au droit d’auteur permet à des organismes habilités, la plupart étant des associations, de produire et de diffuser une version adaptée d’une œuvre sans le consentement des titulaires des droits d’auteur, ni contrepartie financière. Ces activités qui doivent pour être légales s’exercer dans un cadre non lucratif, reposent largement sur de l’autofinancement et des subventions publiques.
Malgré des demandes constantes du secteur associatif et des préconisations émises dans un rapport rédigé en 2016 conjointement par les inspections générales des affaires culturelles, des affaires sociales et de l'éducation nationale mettant en avant la nécessité d’agir fortement pour rattraper le retard accumulé, le soutien du gouvernement à l’édition adaptée relève davantage du saupoudrage et du symbole que d'une politique construite.
Le ministère de la culture subventionne ces activités à hauteur de 150 000 € par an, et le Centre National du Livre (CNL) soutient l'adaptation depuis cinq ans de quelques livres de la rentrée littéraire ce qui représente moins de 10 000 euros. En comparaison, en Suède, il existe une agence gouvernementale responsable de la production des livres adaptés doté d’un budget de fonctionnement de plusieurs millions d'euros par an.
Sur le plan technique, les organismes qui transcrivent des livres en braille, qui produisent des versions sonores ou en gros caractères sont encore insuffisamment outillés pour répondre aux enjeux de la pénurie. Le développement de nouveaux logiciels visant à automatiser la production grâce à des technologies issues de l’intelligence artificielle constituent une perspective intéressante. Mais cette évolution ne pourra se faire qu’avec des soutiens publics pour accompagner les nécessaires travaux de recherche et développement ainsi que la formation des professionnels du secteur.
L’émergence d’une édition numérique nativement accessible, c’est-à-dire le fait que des éditeurs « ordinaires » fassent en sorte que les versions numériques de leurs ouvrages destinées au grand public soient également utilisables par des personnes déficientes visuelles constitue un espoir d’amélioration. Mais cela ne concernera qu’un faible pourcentage des nouveautés, et à moyen terme seulement les livres simples tels que les romans. L’édition adaptée a donc encore de beaux jours devant elle.
Autre difficulté, la réglementation actuelle ne différencie pas le droit d'adapter et le droit de diffuser. Les bibliothèques de lecture publique et les bibliothèques universitaires doivent alors obtenir une habilitation pour simplement diffuser des ouvrages adaptés et pour cela remplir des formalités administratives dissuasives. Bien que le dispositif existe depuis 2010, on ne compte ainsi que 22 bibliothèques ou réseaux de lecture publique (sur 16.000 en France) et 15 établissements d’enseignement supérieurs habilités.
Alors qu’il est légitime qu’une personne aveugle ou malvoyante puisse trouver de la lecture dans n’importe quelle bibliothèque au même tire que tout autre usager, la réglementation actuelle ne créée pas un contexte facilitateur et vient amplifier des inégalités déjà importantes dans l’accès au livre.
Cette situation est d’autant plus incohérente dans l’enseignement supérieur, puisque selon la loi sur le handicap de février 2005, les établissements qui accueillent des étudiants handicapés doivent assurer « leur formation en mettant en œuvre les aménagements nécessaires à leur situation dans l'organisation, le déroulement et l'accompagnement de leurs études ». Comment peut-il en être ainsi alors que si peu d’entre eux sont habilités et que le gouvernement de leur facilite pas la tâche ?
Le 22 décembre, le gouvernement publiait un décret pour transposer la directive européenne autorisant les échanges transfrontaliers de livres adaptés, ratifiant ainsi le traité de Marrakech. Pourtant alerté par les associations d’aveugles et de bibliothécaires, il ne s’est pas saisi de l’occasion pour revoir la réglementation actuelle et faire en sorte que les bibliothèques publiques et universitaires disposent d’un environnement favorable pour fournir aux déficients visuels les mêmes services qu’à tout un chacun.
Il est donc aujourd’hui urgent de mettre en œuvre une politique globale pour répondre aux enjeux de l’accès des aveugles et malvoyants au livre et à la lecture. Elle devra articuler convenablement édition numérique nativement accessible et édition adaptée pour que le pays qui a vu naître Louis Braille puisse enfin combler le retard accumulé depuis trop longtemps. Il doit être mis fin à une situation de pénurie qui reste injustifiable dans une des premières économies mondiales, tant les montants à investir restent minimes au regard des bénéfices en termes d’inclusion scolaire, professionnelle et culturelle.
2 Commentaires
emmanuel
05/01/2019 à 11:27
tous mes poemes et recit sont sur un blog en voix..off pour permettre a tout le monde de les ecouter a defaut de pouvoir les lire sur papier
nonnon
16/11/2019 à 19:52
nous sommes une asso est nous avons des millier sz livres en brail