Google ou la propagande 2.0 contre une directive européenne
Face au très polémique article 13 de la directive européenne, portant sur la modernisation du droit d’auteur, les créateurs se mobilisent. Via les réseaux sociaux, pour tenter de contrer les GAFAM et leur propre campagne de propagande, une opération « Error 404 Creators not found » vient de voir le jour.
via Facebook
Un compte, trois réseaux, et un message unique, porté par Vanessa Bertran, qui propose un billet d’humeur (pas forcément enjouée, mais très engagée), proposé ici dans son intégralité.
Depuis novembre, Google utilise le canal YouTube pour répandre un message aussi clair que mensonger : la directive européenne sur le droit d’auteur va tuer internet et empêcher la jeunesse de visionner les séquences de ses humoristes ou influenceurs préférés. La propagande touche même les cours d’école puisque le public crédule qu’est la jeunesse est le premier visé. Face à la déferlante, son opinion est faite : le fameux article 13 de la directive serait un texte liberticide, et Google un rempart contre la censure et un défenseur des libertés. Mais qui peut encore y croire ?
Les opinions se propagent sur les réseaux sociaux à une telle vitesse qu’elles ne se contentent plus de commenter la réalité : elles l’influencent et la façonnent. Ces réseaux ont contribué à faire sortir un pays d’une entité politique, monétaire et culturelle et ils ont rendu possible l’élection d’un président dans une république contre l’avis d’une majorité de ses citoyens.
#NoCreatorsNoContent#CreateyourInternet#WeNeedCopyrightDirective#YouTubersJoinUs
Cultural players advocate fair pay for web-based creation.
— CREATORS NOT FOUND (@CreatorsNot) February 20, 2019
A story in 404 episodes.
Le monde de la culture pour une juste rémunération de la création sur Internet. pic.twitter.com/D8bIsOdWES
Ce qui se joue, c’est simplement la souveraineté politique, l’identité et la survie économique de l’Europe. Une holding américaine toute puissante ne supporte pas l’idée de devoir partager ses revenus avec ceux qui lui fournissent les contenus dont elle se nourrit.
Nous, écrivains, compositeurs, cinéastes, plasticiens, dramaturges, photographes, journalistes, et nos partenaires producteurs, éditeurs et diffuseurs, sommes les créateurs de ces contenus. Nous avons le devoir de monter au créneau.
En août dernier, le journaliste et Prix Albert Londres Sammy Ketz a brillamment démontré dans une tribune de l’AFP que Google était en train de tuer le journalisme en s’attaquant à son indépendance. Tous les secteurs de la création soumis à la propriété intellectuelle sont aujourd’hui visés : les musiques que vous écoutez, les films et séries que vous regardez, les romans, bandes dessinées et journaux que vous lisez.
Ce qui menace les œuvres, ce n’est pas une directive qui propose au mieux un partage de la valeur équilibré (sans que l’internaute n’ait un centime de plus à débourser). C’est la volonté hégémonique d’un consortium qui veut étendre son pouvoir en diluant le libre-arbitre des citoyens dans une nébuleuse d’informations non vérifiées, qui cherche à brouiller les pistes et à ériger le vide en valeur suprême, en une tentative inédite de déshumanisation de la pensée.
Le conglomérat « Alphabet » (avec toute la valeur symbolique de la première lettre d’un nouveau logos) créé par Google, engrangera en 2018 un bénéfice estimé à 36 milliards de dollars, à savoir plus que ce que la France peut investir dans le ministère des armées, ou encore dans ceux de la santé, de la transition écologique, de l’agriculture et de la culture réunis.
Alphabet, ce n’est pas seulement le moteur de recherche Google, ni la plateforme YouTube ou le système Androïd qui équipe nos tablettes et nos téléphones. C’est aussi la domotique qui vise à nous « simplifier » la vie, ou encore Calico, société de biotechnologies dont le projet est de « tuer la mort » ou Verily, avec le même objectif, qui s’est associée à Sanofi sur certains projets, ou même Deep Mind Technologies dont les recherches se concentrent sur l’intelligence artificielle.
Si le noble dessein de cette entreprise est d’approfondir la connaissance du fonctionnement du cerveau, ses travaux ont pour finalité d’externaliser la pensée pour l’accélérer et faciliter la prise de décision. A priori, l’intelligence artificielle ne fait que reproduire un mécanisme déjà existant en agrégeant à sa base de données des exemples de prise de décisions humaines. Idem en matière de création artistique : un portrait à la manière de Rembrandt a été peint par un logiciel d’intelligence artificielle à partir de l’analyse d’un millier de tableaux de l’artiste. Mais l’I.A. reste un faussaire et le tableau obtenu n’est pas un Rembrandt.
La problématique des travaux de Google est ontologique : selon le géant américain de la tech, qu’importe que ce tableau soit ou non un Rembrandt. La notion d’auteur disparaît, celle d’humain suivra bientôt. Pour « Tuer la mort », on sacralise l’idée de vie comme une fin en soi, une vie pour la vie et non pour le sens qu’on lui donne.
Mais quid de la campagne de Google sur YouTube contre la directive européenne dans l’affaire, et notamment des arguments bombardés contre la dizaine de lignes du satanique article 13, stigmatisé comme s’il allait priver l’humanité de tout accès à la culture (c’est-à-dire à YouTube) ? Ce texte de loi, qui de toute manière n’est qu’un point de départ puisqu’il devra, même s’il est adopté au Parlement, être transposé dans chaque pays d’Europe, n’est pas une censure orchestrée par les créateurs : nous ne demandons pas mieux que nos chansons ou nos films soient largement accessibles.
C’est avant tout un garde-fou pour ne pas que les auteurs soient spoliés, dépossédés de leurs revenus.
La force de frappe de Google est immense et ses arguments outrageusement démagogues. Non, la directive ne causera pas la perte des influenceurs du net. Non, il n’interdira pas aux YouTubers testeurs, critiques ou humoristes de faire référence à des œuvres protégées. Il a pour objectif que YouTube s’engage à identifier les références en question et qu’il en rémunère les auteurs. Techniquement, il en a tout à fait les moyens, puisqu’il met par ailleurs en place des algorithmes capables de faire de la chirurgie cardiaque…
Si Google souhaite censurer ces extraits pour ne pas avoir à en rétribuer les auteurs, c’est sa propre décision, guidée par sa cupidité, puisqu’il lui faudra reverser quelques miettes des milliards d’euros générés par la vente de messages publicitaires. Il est faux de parler de « filtrage » quand il n’est demandé qu’une « reconnaissance de contenu ». Par ailleurs, Google omet de préciser les conditions générales aliénantes qu’il impose à ses YouTubers quand ils créent leur chaîne : ceux-ci lui sont alors inféodés, comme le chauffeur de véhicule l’est à Uber.
Tel un Scrooge, l’affreux avare de Dickens, Google en veut toujours plus : priver les auteurs de leurs revenus, priver les journalistes de leur indépendance, se substituer à l’intelligence et devenir un démiurge. Donc on commence par laver les cerveaux à coup de campagne mensongère et anxiogène, puis on leur substitue des algorithmes paramétrables à souhait.
Le pilonnage disproportionné que subit cette directive a le mérite d’avoir fait tomber les masques : ce n’est pas tant contre l’article 13 que se bat Google, mais contre un monde libre. Face à un assaut plus idéologique encore que financier, nous avons tous le devoir de réfléchir, de peser nos arguments, de proposer — notamment via nos œuvres — une vision du monde alternative à celle que nous promettent les apprentis sorciers de Mountain View.
Car les auteurs ne sont pas une secte en numerus clausus : chacun peut être amené à composer, écrire, filmer, sculpter. Défendre le droit d’auteur, c’est faire acte de résistance. C’est continuer à inciter tous les hommes à exercer leur sens critique, à poser un regard distancé sur la réalité. C’est respecter l’humain en chacun de nous. La bataille autour de l’article 13 est hautement symbolique pour Google, qui ne supporte pas de devoir partager un peu de ses gains et obéir à quelqu’un d’autre que lui-même.
En protégeant la liberté des créateurs contre la volonté hégémonique d’une société commerciale américaine, la directive protège la liberté tout court.
Nous commençons à comprendre que le lobby des produits chimiques ne vise que le profit sans se soucier du bien-être des consommateurs et de l’avenir de la Terre. Et si la campagne de Google contre la directive européenne ne cherchait pas tout simplement à légaliser le Glyphosate de la pensée ?
Vanessa Bertran : Auteure des doublages de plus de 300 épisodes de séries (Zoo, Supergirl, Blindspot, Pretty Little Liars, Turn, Stalker, Night Shift, H2O, Sorcière mais pas trop), dessins animés, films musicaux (biopic Johnny Cash, Leonard Cohen, Les USA contre John Lennon), plusieurs dizaines de films et téléfilms, de sous-titrages d’opéras pour la télévision, également parolière de chansons et adaptation de comédies musicale.
2 Commentaires
Olivier Delevingne
26/02/2019 à 10:48
Merci pour la publication de cette tribune. La mobilisation du monde de la culture en Europe est intacte. Vous pouvez suive notre campagne jusqu'au vote final du parlement européen.
Merci de votre soutien, Instagram, Facebook, Twitter...
https://www.facebook.com/CreateyourInternet
https://twitter.com/CreatorsNot
https://www.instagram.com/404cnf/
Blanche L'Olive
26/02/2019 à 14:16
Ça fait peur en effet... Il faut espérer que les parlementaires européens tiendront bon face à la campagne de Google. Merci pour cette publication et bravo pour la super idée des photos, c'est très créatif, en plus!